Dans le village de Moutcho à Agboville (79 km à l’est d’Abidjan), une trentaine de femmes s’activent dans la bonne humeur. Là, au milieu de tiges et feuillages d’un vert profond, sous un ciel sans nuages, ces dernières arrachent, machettes à la main, les mauvaises herbes avec frénésie dans une plantation.
Ici, elles cultivent le Manioc, autrefois qualifiée de culture du « pauvre » et qui aujourd’hui a transformé leur vie en leur offrant un emploi stable et des revenus intéressants.
- Tra Lou peut en témoigner. Il y a cinq ans, lasse de chercher du travail en vain, elle a décidé de ne plus tendre la main aux hommes et de créer l’Union des coopérations de commercialisation du vivrier en Côte d’Ivoire pour cultiver ce tubercule, le transformer et le commercialiser.
Cette activité leur a permis à toute d’atteindre une indépendance financière et de soutenir leur famille, renseigne la jeune dame.
Le Manioc : Un fort impact économique
En Côte d’Ivoire, le manioc est le deuxième produit vivrier après l’igname. Il contribue à grande échelle à l’alimentation des populations, avec une production estimée 4,54 millions de tonnes en 2016, selon des données officielles de la direction de la Production et de la sécurité alimentaire du ministère ivoirien de l’Agriculture et du développement rural.
En 2016, la Côte d’Ivoire a même connu une pénurie de manioc due à la forte exportation de l’attiéké, mets très prisé fait à base de semoule de manioc.
Le manioc est non seulement utilisé dans l’alimentation, mais également dans les industries (textile, papier, bouillon, cole, etc.).
« Il existe en Côte d’Ivoire plus de vingt produits dérivés du manioc (attiéké, pâte de manioc, placali, foutou, toh, farine, amidon, gari, pain, gâteau…). Les deux premiers font l’objet de commerce au niveau national et international », apprend-on auprès du Centre National de Recherche Agronomique (CNRA) de Côte d’Ivoire.
Pour la présidente de l’Union des coopérations de commercialisation du vivrier en Côte d’Ivoire, Tra Lou, « le manioc est une activité véritablement intéressante pour les femmes les plus démunies ».
« Nous vendons une tonne de manioc à plus de 30 mille FCFA, avec une hausse des prix lors de la pénurie, et nous plantons plus de 12.500 pieds par hectare, en moyenne nous récoltons 32 à 34 tonnes chaque année », renseigne-t-elle.
« En raison de ces petits commerces, les hommes nous envient dit-elle dans un rire. Surtout que la culture du manioc a donné un sens à la vie de beaucoup de femmes. Ainsi, les veuves des villages, qui n’avaient rien à faire, trouvent désormais une activité pour s’épanouir et qui leur permet de subvenir à leurs besoins », explique avec fierté Kouamé affoué, une agricultrice de Didievi (centre).
« De mon côté, j’ai une petite production qui me rapporte environ 400.mille FCFA chaque année, ce n’est pas énorme mais cela me permet quand même de faire de petites économies. J’ai même pu entamer la construction d’un petit logement », souligne pour sa part Catherine Kouamé, également agricultrice.
Les défis de la filière
Le gouvernement ivoirien soutient déjà le secteur agricole, en développant des microcrédits et en finançant directement des projets liés à cette culture. Pourtant le potentiel du manioc demeure insuffisamment exploité, souligne Glue Diby, promoteur du Business Manioc forum.
«Aujourd’hui le manioc doit s’adapter à l’évolution de la technologie. C’est une culture industrielle, mais l’aspect industriel n’est pas vraiment exploité. Il y a beaucoup d’outils pour améliorer le rendement, mais l’accessibilité financière pose encore problème», déplore t-il.
Pour Tra Lou, la filière est confrontée à deux problèmes principaux : l’accès à la propriété foncière et les difficultés liées au transport des produits vers la ville.
« En Afrique, on nous dit que la femme n’est pas propriétaire terrien. Si aujourd’hui la femme se lève pour demander un terrain, on lui dit que c’est les hommes qui ont droit à la terre. Nous sommes donc encore obligés de dépendre des hommes et on aimerait que ça change», dit-elle.
« Par ailleurs, nos produits sont périssables et nous ne sommes pas bien encadrées ce qui fait que, lorsque nous produisons beaucoup de Manioc, nous ne savons pas toujours comment le stocker », poursuit-elle.
« Nous avons donc besoin de l’aide des autorités afin de trouver comment conserver nos produits. Et nous avons également besoin de matériel plus développé que nos simples machettes car cela réduit la production et freine la transformation, surtout qu’il y a des personnes qui veulent du manioc transformé en grande quantité. Nous voulons une production plus moderne, voilà notre cri de cœur », conclut la présidente de l’union des coopérations de commercialisation du vivrier en Côte d’Ivoire.
Du côté du gouvernement, on assure vouloir moderniser la filière. Le gouvernement a ainsi mis en place, depuis quelques années une stratégie visant à accroître la transformation du manioc pour un montant global de 1,675 milliard de FCFA, d’après la presse ivoirienne.
Ce projet veut structurer la filière manioc, notamment à travers l’introduction de systèmes de mécanisation dans les plantations de la récolte au processus de transformation, l’amélioration de la qualité et de la productivité, la promotion de l’exploitation moderne de type industriel, et le renforcement des capacités
Fulbert Y.