Spécialiste de la protection sociale, président du mouvement citoyen la Côte d’Ivoire sociale, Donatien Robé a fait des propositions dans son troisième livre pour rendre la Côte d’Ivoire plus sociale.
-Votre dernier livre est intitulé « propositions pour la Côte d’Ivoire sociale ». Qu’est ce que la Côte d’Ivoire sociale selon vous ?
La Côte d’Ivoire sociale est cette Côte d’Ivoire où toutes les politiques publiques sont financées par la solidarité nationale afin que les Ivoiriens démunis ne puissent pas être abandonnés sur le bord du chemin. Je milite pour la mise en œuvre de politiques sociales qui prémunissent les populations contre les risques sociaux liés à la vie et au travail. La Côte d’Ivoire sociale est ce pays où la politique sociale institutionnelle de base existe et est efficace pour l’ensemble de la population, surtout les pauvres.
-Pensez-vous que ce n’est pas le cas aujourd’hui ?
Cette Côte d’Ivoire n’est pas sociale. Il y a certes des institutions sociales qui existent mais elles ne sont pas efficaces. D’ailleurs celles qui existent comme le système de retraite, la CMU et toutes les autres branches de sécurité sociale ne couvrent pas plus de 10 % de la population, et ne couvrent même pas 30 % des risques sociaux.
-Que pensez-vous du système de retraite complémentaire que veut instaurer le gouvernement à la fonction publique ?
Ce système complémentaire ne peut qu’être une bonne nouvelle pour les fonctionnaires de Côte d’Ivoire d’autant plus qu’il leur permettra d’avoir un peu plus de revenus de remplacement quand ils seront à la retraite. Il reste à préciser le contenu et les contours de ce système. D’ailleurs dans mon dernier livre je propose un système complémentaire public par capitalisation géré par la caisse des dépôts et consignations.
-Ce système de retraite complémentaire à la fonction publique peut-il permettre aux retraités de Côte d’Ivoire de mieux vivre ?
Disons que le calcul de la pension est basé sur le salaire. Donc tant que le salaire est bas par rapport au coût de la vie, la pension le sera aussi. Mais mathématiquement, quand on ajoute la pension de la retraite complémentaire à celle de la retraite de base, on ne peut qu’avoir une retraite qui se rapproche du salaire qu’on avait quand on était en activité. Ce n’est déjà pas mal. Ce système complémentaire est globalement à la suédoise avec un système complémentaire associé à la retraite de base. Je souhaite cependant que le gouvernement aille plus loin en faisant en sorte que tous les fonctionnaires adhèrent obligatoirement à cette complémentaire. Selon les indications du gouvernement ce système complémentaire sera obligatoire dans une première phase pour les nouveaux fonctionnaires. Ce n’est pas économiquement intéressant. Ce n’est pas non plus une bonne option en termes d’égalité et d’équité. Il faut étendre cette obligation à tous les fonctionnaires. Il y va de leur intérêt. Ils se plaindront au début mais comprendront après. En clair, il faut une politique sociale hardie.
-En quoi faisant ?
D’abord en élargissant la retraite complémentaire aux salariés du privé et en formalisant l’économie informelle afin que tous les travailleurs dans notre pays aient une couverture sociale. Je rappelle que la réforme de 2012 a contribué à augmenter les charges sociales des entreprises par la hausse des cotisations-retraite. Or avec des charges sociales élevées, c’est malheureusement l’économie informelle qui a encore de beaux et longs jours devant elle. Il faut donc se donner les moyens de formaliser l’informel. Les salariés du privé ont aussi perdu du pouvoir d’achat par la hausse de leurs cotisations-retraite. Je souhaite que tout ça soit corrigé. Ensuite, il faut permettre aux travailleurs qui le souhaitent de continuer à travailler après l’âge légal de départ à la retraite sous certaines conditions. Il faut aussi penser à d’autres catégories de personnes.
-Lesquelles ?
Il y a par exemple les handicapés qui ont besoin de la solidarité nationale. À l’époque, le ministre Cissé BACONGO, alors ministre de la fonction publique avait ressuscité l’idée de la discrimination positive en faveur des handicapés dans le recrutement des fonctionnaires. J’exhorte madame Anne Ouloto à aller plus loin en augmentant le nombre de handicapés recrutés à la fonction publique. Il faut même élargir cette discrimination positive aux entreprises privées en échange d’aide sous forme de crédit d’impôt. Enfin je propose des solutions sociales pour l’école, les stages, l’emploi, la santé avec une taxe santé pour diversifier et renforcer le financement de la CMU, etc.
-Les instances dirigeantes de la MUGEF-CI seront bientôt renouvelées. Apparemment, vous n’êtes pas neutre dans ce processus électoral….
Je suis les activités de la MUGEF-CI depuis un moment parce qu’elle fait partie de mon champ de compétence. Aussi, n’oubliez pas que cette mutuelle fait partie du patrimoine social ivoirien. Elle fait partie de notre système de protection sociale. Pour toutes ses raisons, je souhaite en effet que cette entreprise soit performante. Je ne peux donc pas être neutre quand il s’agit de sa gestion. Aucun Ivoirien ne doit être neutre quand il s’agit de la MUGEF-CI. Disons que j’ai observé tous les candidats et lu les programmes. Je suis très critique vis-à-vis de l’équipe sortante représentée dans cette élection par Mme Laurence Assétou Camara et Paul Gnogbo. Je ne peux pas cacher ma déception car cette équipe s’est résolument éloignée des fondamentaux d’une entreprise de l’économie sociale. Elle a fait le choix du business lucratif au détriment du social, l’humanisme, la farouche volonté d’aider. Des valeurs qui ont toujours caractérisé les entreprises mutualistes en particulier et les entreprises de l’économie sociale en général.
-L’équipe dirigée par Mesmin Komoé a pourtant justifié ses choix par la volonté de trouver de nouvelles ressources financières après l’arrimage CMU-MUGEF-CI.
Elle avait aussi la possibilité de réduire le train de vie de la MUGEF-CI. Elle l’a au contraire renforcé. Elle aurait pu faire des économies considérables en réduisant les dépenses de fonctionnement. Simplifier le fonctionnement de l’entreprise a toujours été le premier réflexe d’un bon dirigeant d’entreprise mutualiste quand surviennent des difficultés financières. Ils n’ont rien fait de ce côté-là. Ils ont préféré lancer de nouveaux produits qui n’ont d’ailleurs pas prouvé leur apport financier à la MUGEF-CI. Dans le monde entier, les entreprises de l’économie sociale sont compétitives parce qu’elles réduisent considérablement leurs charges de fonctionnement. C’est ce qui leur permet de rivaliser avec les entreprises lucratives. Apparemment l’équipe sortante ne le sait pas.Je souhaite clairement l’alternance à l’issue de cette élection.
-Qu’entendez-vous par alternance ?
Je souhaite que l’équipe de Mesmin Komoé soit sanctionnée par les mutualistes dans cette élection et qu’une nouvelle équipe arrive aux affaires. C’est l’essence de la démocratie qui est une valeur essentielle en économie sociale.
-Pourquoi incluez-vous Paul Gnogbo dans l’équipe de Mesmin Komoé alors qu’il a sa liste dans cette élection ?
Paul Gnogbo est membre du comité de contrôle. Il a globalement validé les rapports de gestion de ce Conseil d’administration. En tout cas il n’a pas exprimé une opinion dissidente sur cette gestion. Il est donc comptable de cette gestion. Je rappelle que mes critiques concernent la gestion comptable mais aussi les choix stratégiques de ce Conseil d’administration. Or le comité de contrôle a approuvé les choix stratégiques de ce conseil d’administration. Normalement, les mutualistes doivent sanctionner madame Assétou Laurence Camara et Paul Gnogbo. Le dernier a été passif face aux mauvais choix de ce Conseil d’administration. L’alternance veut qu’ils partent tous afin que de nouvelles idées viennent gouverner la MUGEF-CI.Ce conseil d’administration, moralement n’a pas été à la hauteur.
-Pourquoi ?
En raison de cette gestion approximative de la MUGEF-CI. Il y a par exemple cette histoire du terrain du quartier Abatta qui appartient à la MUGEF-CI. Il est inacceptable que des membres du conseil d’administration y compris Mesmin Komoé lui-même, aient acquis des logements destinés aux salariés de la MUGEF-CI. Cela pose d’abord une question morale. Mesmin Komoé doit savoir que si les conseils d’administration antérieurs voulaient se servir comme il l’a fait sur ce terrain, aucun logement n’existerait pour son conseil d’administration. Pourquoi c’est sa seule équipe qui bénéficie de ces logements ? Pour plus d’équité, doit-on, tous les quatre ans, construire des logements pour les futurs conseils d’administration ?Il y a aussi un problème de droit dans cette affaire vu que l’article 46 du règlement 07 de L’UEMOA dit clairement que les fonctions de membre du conseil d’administration des mutuelles sont gratuites .Les membres du CA peuvent juste avoir une indemnité. Cet article dit même que les membres du CA sont assimilés à des bénévoles. L’article 35 des statuts de la MUGEF-CI reprend cette disposition. Oren droit ivoirien du travail, le logement lié à la fonction fait partie de la rémunération ou est un avantage en nature associé au salaire. On peut donc comprendre que les salariés de la MUGEF-CI aient cet avantage. Mais les dirigeants élus n’ont pas droit à cet avantage en nature parce que le règlement 07 de L’UEMOA et les statuts de la MUGEF-CI disent qu’ils ne sont pas salariés. Mesmin Komoé et ses amis ont donc violé la loi en s’octroyant des logements.
– Est-il faux de penser que l’arrivée de la CMU a fragilisé la MUGEF-CI ?
Je continue à penser que même avec l’arrimage avec la CMU, la MUGEF-CI pouvait continuer à satisfaire ses adhérents. Je vous rappelle que des milliers de fonctionnaires des régies financières ne se soignent pas avec la MUGEF-CI. Pareil pour des milliers de militaires et policiers qui ont des mutuelles sectorielles. Il faut savoir que le régime de base de la MUGEF-CI était largement excédentaire avant l’arrimage du fait que des milliers de fonctionnaires ne se soignent pas avec la MUGEF-CI, et en raison du rationnement de soins mis en place par les dirigeants qui se sont succédé à la tête de la mutuelle. Et c’est cet excédent qui était dilapidé par ces dirigeants pour faire des investissements fantaisistes, maintenir leur train de vie très élevé ou s’enrichir illicitement. Je rappelle que le déficitd’Ivoire-santé alongtemps été financé par les excédents du régime de base. On peut donc déduire que ce que prend la CMU est une bonne partie de cet excédent. Il appartenait aux dirigeants de réduire les dépenses de fonctionnement et de bien gérer.
-Cet argent qui est pris à la MUGEF-CI appartient aux fonctionnaires. Ne pensez-vous pas que c’est une injustice ?
On peut le penser. Mais je vous rappelle que nous sommes avec la CMU dans une logique de solidarité nationale. Il est normal que les fonctionnaires contribuent à cette solidarité nationale. Alors, on peut reprocher à la CMU de ne pas être performante pour l’instant. Mais on ne peut pas reprocher au gouvernement de faire contribuer les fonctionnaires qui ont la chance d’avoir des revenus réguliers comparativement à des millions d’Ivoiriens. Je prends quelques exemples pour mieux vous faire comprendre la solidarité nationale : je prends à nouveau l’exemple des militaires, policiers et autres fonctionnaires des régies financières qui ont des mutuelles sectorielles parce que la MUGEF-CI ne les satisfait pas. Ils cotisent pour la MUGEF-CI mais ne s’en servent pas pour se soigner. Ils ne s’en plaignent pas au nom de la solidarité. En France, au nom de la solidarité nationale, aucun adhérent du régime général n’a le droit de sortir de la sécurité sociale même s’il s’en plaint. C’est ainsi. Ce que vit la MUGEF-CI avec l’arrivée de la CMU n’est donc pas un cas unique en matière de sécurité sociale.
-Qu’aurait pu faire le conseil d’administration de Mesmin Komoé ?
Je l’ai déjà dit. Il appartenait aux dirigeants de supprimer les charges financières non essentielles pour économiser de l’argent en vue de reconstituer le panier de soins du régime de base de la MUGEF-CI. Ils ont malheureusement préféré garder leurs avantages et créer des produits censés générer des revenus de substitution. Sauf que ces produits ont renchéri les dépenses de santé des mutualistes. C’est le drame. Cette équipe a aussi fait le choix d’opter pour une communication agressive, voire insultante à l’endroit des mutualistes qui se plaignaient des disfonctionnements. D’ailleurs, la candidate du conseil sortant s’est illustrée négativement sur la plateforme « Allo MUGEF-CI » par ses publications et autres commentaires condescendants à l’endroit des mutualistes qui se plaignaient. Tout ça est contraire à la gouvernance mutualiste qui doit être apaisée.
-Pourquoi avoir fait le choix de soutenir la candidature de Théodore Zadi Gnagna ?
Mais justement Zadi Gnagna veut faire cesser cette mauvaise gestion par la moralisation de la gouvernance. Il n’est pas normal et moralement acceptable qu’un dirigeant mutualiste qui logeait dans un modeste appartement se retrouve dans un château à la fin de son mandat avec des véhicules de haut standing. Il est anormal et amoral qu’un dirigeant mutualiste s’approprie, d’une façon ou d’une autre, un bien appartement à la mutuelle dont il est dirigeant. Moralement, tout ça est inacceptable. Pendant ce temps, les mutualistes se soignent difficilement. Voyez-vous, c’est une question morale en plus d’être de la mauvaise gouvernance. Ensuite, la farouche volonté de Théodore Zadi Gnagna d’aider les fonctionnaires à mieux se soigner est manifeste. Zadi Gnagna et moi ne nous sommes jamais vus mais j’ai fait le choix de son programme que j’ai découvert sur les réseaux sociaux. Il apportera aussi son expérience de gestionnaire mutualiste puisqu’il est déjà PCA d’une petite mutuelle. A travers son programme, j’ai compris qu’il veut apporter beaucoup d’humanisme dans la gestion du risque maladie des fonctionnaires. Et c’est une excellente option. Zadi Gnagna a une vision moderne de la gestion mutualiste. J’ai enfin retenu que ce candidat veut faire de la MUGEF-CI une entreprise sainement gérée, une entreprise qui fonctionne humblement, simplement. S’il est élu, je veux bien espérer qu’il mettra en œuvre cet ambitieux programme. En tout état de cause, je serai toujours là pour lui rappeler ses engagements au cas où il les aurait oublié. Je ne serai pas tendre avec lui s’il tombe dans les travers de ses prédécesseurs.
-Revenons à votre livre et vos propositions. Vous militez pour une vraie politique sociale en Côte d’Ivoire. Vous n’ignorez pas que tout ça a un coût. Quelles sont vos solutions pour financer vos propositions ?
La Côte d’Ivoire a les moyens de financer une politique sociale institutionnelle de base. Je ne demande pas que l’État couvre tous les risques sociaux. Je souhaite juste que l’État couvre les risques qui affectent la dignité humaine comme par exemple la maladie. Et avec de l’imagination, la Côte d’Ivoire peut financer cette couverture. En tout cas je propose des solutions de financement dans mon livre.
Fulbert Yao avec DIRCOM