Des difficultés internes plombent le bon fonctionnement de la Coordination nationale des enseignants du supérieur et des chercheurs de Côte d’Ivoire (Cnec). Dans cette interview, le président du Conseil syndical, le Pr Oteme Apolos Christophe, dépeint la situation et met en lumière les décisions prises après consultation des membres de cette organisation syndicale.
Qu’est-ce qui a justifié la création de la Coordination nationale des enseignants du supérieur et des chercheurs de Côte d’Ivoire (Cnec) ?
Le processus de création de la Cnec a été initié depuis 2006. A cette époque, la majorité des enseignants du supérieur et des chercheurs, dans le cadre de la défense de leurs intérêts matériels et moraux, ne se retrouvaient plus dans les deux grandes formations syndicales qui existaient dans toutes les institutions de l’enseignement supérieur de Côte d’Ivoire.
Dans ce contexte que la Cnec est née et a en avant le triptyque apolitisme–démocratie–transparence. C’est en fait ces piliers qui ont lui permis de mobiliser la quasi-totalité des enseignants du supérieur autour des revendications qu’elle a portées. Cette forte mobilisation a permis en son temps d’obtenir une augmentation substantielle des salaires et des primes de recherche.
Pourquoi parle-t-on de plus de deux tendances à la Cnec ?
La Cnec s’est scindée en deux tendances dont la tendance N’guessan Kouamé et la tendance Jonhson Kouassi. Cette scission a fragilisé le syndicat de sorte que depuis plus de cinq ans nous n’avons pu obtenir aucun acquis significatif.
Pour remédier à cette situation, il y a eu des médiations qui ont abouti à la mise en place d’un comité de suivi composé d’anciens Secrétaires Généraux de la Cnec. Par la suite, ce comité s’est mué en un Comité ad’hoc composé de Traoré Flavien, Ouattara Mamadou, N’Guessan Kouamé, Johnson Kouassi Zamina, Otemé Apolos et Dje Bi Tchan Guillaume. Ce comité avait pour mission d’unifier ces deux tendances et aller à un congrès en vue de mettre en place de nouveaux organes.
Le Comité Ad’hoc a-t-il réussi à les réunifier ?
Oui, un Protocole d’accord a même été signé ; des statuts et règlements intérieur ont été rédigés. Le Bureau exécutif national a été réunifié de sorte que les deux Secrétaires Généraux ont eu des missions biens précises et ont occupé des rôles bien précis. L’un était porte-parole et l’autre faisait office de secrétaire général et tous les deux co-signaient les documents du syndicat. Ce qui a manqué, c’est l’unification des conseils syndicaux et les commissariats aux comptes. Mais, des discussions ont été engagées. Le processus étant enclenché, on pensait pouvoir organiser le congrès. C’est à ce niveau que les choses ont coincé.
Qu’est-ce qui a occasionné ce blocage ?
En préludes au Congrès, deux précongrès ont été tour à tour perturbés par Johnson Kouassi Zamina et ses acolytes. La première tentative a échoué à cause des nombreux préalables. En lieu et place d’un précongrès, nous avons plutôt effectué une réunion de recadrage. Lors de la seconde tentative, la tendance Johnson Kouassi Zamina a multiplié les blocages. Dès lors le Comité Ad’hoc a décidé de consulter les bases parce qu’on ne pouvait pas rester longtemps dans cette situation d’inertie.
Qu’avez-vous posé comme acte pour décanter la situation ?
Des missions ont été effectuées, de juin à octobre 2021, à Abidjan et à l’intérieur du pays. Nous y sommes allés avec l’idée d’expliquer la situation à la base et d’écouter ses préoccupations.
A la suite de cette consultation, deux positions se sont clairement dégagées. L’une consistait à organiser absolument le Congrès de la Cnec ; redorer son image et œuvrer à la redynamisation de cette structure à bout de souffle. L’autre demandait de créer un nouveau syndicat fondé sur la ligne originelle de la lutte. Afin de s’offrir de nouvelles perspectives qui n’excluent pas la dissolution de la Cnec.
La seconde option consistait à dissoudre la coordination qui ne fédère plus et créer sur les fonds baptismaux, une nouvelle structure avec de nouveaux dirigeants.
A l’occasion des rencontres des 28 et 29 octobre 2021, respectivement avec les sections d’Abidjan et de l’intérieur, ces positions ont été portées à leur connaissance. Après analyses l’ensemble des participants qui ont ainsi adhéré à l’idée de la création d’une nouvelle structure ont été convié à une réunion le 30 septembre 2021 à l’Ecole normale supérieure (Ens).
A cette assemblée les participants ont pris la ferme résolution, après échanges, de s’offrir de nouvelles perspectives. En créant un nouveau syndicat pour reprendre la lutte là où s’est arrêtée celle de la Cnec des membres fondateurs, en proposant sa dissolution.
Que comptez-vous faire pour éviter de retomber dans les mêmes travers ?
Nous voulons retrouver les valeurs de la Cnec originelle, car il y a eu beaucoup de déviations. Le comité de suivi a mis en place une structure qui a proposé des textes qui doivent désormais régir le fonctionnement de cet organe. L’enseignement supérieur est un corps d’élite. Dans l’histoire de l’enseignement supérieur, c’est la première fois qu’on voit des syndicalistes exposer leurs camarades, mettre leurs images sur les réseaux sociaux sans même penser aux conséquences. Des responsables sensés régler nos problèmes ont été attaqués, vilipendés à un moment donné. Ce sont des comportements à bannir.
Comment expliquez-vous, à ce niveau de responsabilité, cette violence ?
Tout le monde a constaté ce qui s’est passé. Nous disons, plus jamais ça ! Si, à un moment donné, des leaders syndicaux ont été violentés, nous leur demandons de pardonner. Dans nos rangs, ceux qui n’ont pas été compris et qui estiment qu’ils ont été blâmés, d’une manière ou d’une autre, ils ont leur raison.
Nous devons repartir sur de nouvelles bases en mettant en place un instrument respectueux de tous nos partenaires. Le syndicaliste est celui qui respecte les règles du jeu, il pose les problèmes que les membres rencontrent. Sur le terrain, il démontre que les décisions prises par l’autorité sont inopérantes. On ne gère pas un syndicat avec les émotions.
Cette guéguerre n’a-t-elle pas relégué au second plan les réelles préoccupations de vos membres ?
Une chose est sûre, nos actions n’étaient pas concertées. Chaque camp se battait de son côté. Nous n’avons pas obtenu ce que nous voulions. Dans la division, on ne peut pas obtenir grand-chose. Toutefois, il y a eu quelques avancées. Notamment, la revalorisation des primes, la semestrialisation des primes, le déblocage du stock des arriérés, etc.
Que comptez-vous engager comme actions les prochains jours ?
Nous aspirons à un mieux-être. Les salaires ont été revalorisés en 2009. On aurait pu obtenir plus. On souhaitait que les salaires puissent nous permettent de vivre décemment et qu’on puisse vivre une bonne retraite. Le relèvement de la prime de logement, n’a pas été accordé.
Tout le monde a eu bon espoir que désormais les choses vont repartir. Les 7 et 9 décembre, nous organiserons des rencontres dans nos bases d’Abidjan, avant d’entrer en contact avec les collègues de l’intérieur du pays. Après ces tournées, nous lancerons l’idée de l’organisation de l’Assemblée générale constitutive. Nous allons trouver la dénomination de la nouvelle structure. Des textes ont déjà été élaborés. Ils prévoient des organes de contrôle, de cadrage et d’encadrement pour permettre à notre syndicat de bien fonctionner désormais.
Est-ce la solution, selon vous ?
Si nous voulons rester dans la Cnec, le travail que cela nous impose va nous perdre beaucoup plus de temps. On va perdre de vue l’essentiel qui est d’aller de l’avant et poser les vrais problèmes des enseignants.
Pour vous l’avenir s’annonce prometteur…
Bien sûr. A cause du dysfonctionnement qu’il y a eu, on a tout perdu. Même le minimum qu’on avait. Cette scission a desservi les enseignants du supérieur et les chercheurs.
Dans la division, on n’obtient rien. On a créé la Cnec pour être un instrument dans lequel les responsables sont respectueux des règles et de la ligne syndicale. Aujourd’hui, les enseignants sont démotivés. A travers ce nouvel instrument, nous voulons leur redonner espoir. Nous demandons à nos collègues, de l’intérieur du pays comme d’Abidjan d’avoir confiance au comité Ad’hoc dans le processus de mise en place du nouveau syndicat. On ne va pas s’arrêter aux blocages. Nous sommes décidés, de façon résolue, à aller de l’avant. Oui, nous le sommes capables. Il suffit d’être engagé. Désormais, nous ne laissera plus personne ternir l’image de notre syndicat. Plus personne ne le prendra en otage.
Marie Paule Koffi