La politique étrangère de la Côte d’Ivoire depuis le Président Félix Houphouët-Boigny, est basée sur la doxa qui se décline à travers sa volonté de paix avec ses voisins et les autres pays du monde. La Côte d’Ivoire se veut donc l’amie de tous et l’ennemie de personne.
Les autorités ivoiriennes ont très tôt compris que le voisinage était une variable imprescriptible dans la définition de toute politique étrangère.
Dans sa dimension statique, cette volonté de bon voisinage s’est toujours matérialisée par un respect strict des principes du droit international en matière de reconnaissance des frontières et les contentieux que la Côte d’Ivoire a avec la Guinée, le Burkina Faso et le Ghana ont été soit gelés pour ne pas gêner les interactions sociales et souvent familiales au niveau des populations installées dans ces zones, soit portés devant les instances internationales compétentes comme ce fut le cas avec le Ghana concernant le tracé de la frontière maritime entre les deux pays.
La dimension dynamique de ce bon voisinage, basé sur l’évidence que ni elle ni ses voisins n’ont l’intention de déménager donc à jamais unis, a conduit la Côte d’Ivoire à décerner à ces derniers un statut spécial en les intégrant dans son imaginaire territorial et géographique. En effet, dans l’archéologie des relations entre la Côte d’Ivoire et ses voisins, on ne retrouve aucune preuve de son adhésion au principe issu du bon sens populaire selon lequel « les bonnes clôtures font les bons voisins ». Le Président Houphouët-Boigny s’est plus posé en leader de l’Afrique occidental tout entière qu’en celui de la seule Côte d’Ivoire, lui se définissait dans ses prises de paroles publiques plus comme Président du RDA (Rassemblement Démocratique Africain) que celui du PDCI (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire).
Dans cette logique, il a bâti un espace de stabilité et de prospérité au profit de tous ses voisins dont les natifs ont massivement immigré sur ses terres pour se construire un devenir. De ce point de vue, la Côte d’Ivoire a réalisé à bas bruit, à petite échelle, avec beaucoup le rêve panafricaniste qui n’est envisagé que sur un plan idéologique par les autres. Le rôle de moteur politique, économique et social de la Côte d’Ivoire en Afrique de l’ouest ne peut être contesté. Ce rôle qui s’était amenuisé durant la longue crise militaro-politique, a été rétabli depuis.
Aujourd’hui, plus que jamais, ce rôle de leader régional de la Côte d’Ivoire s’apprécie nettement au sein de certaines institutions communautaires comme la CEDEAO et l’UEMOA qui ont été très actives dans la gestion de la situation induite au Mali par non seulement le renversement du Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) en Aout 2020 mais et surtout par les rapports mauvais entre la France et les nouvelles autorités maliennes. Ces dernières et leurs thuriféraires ont de réelles raisons d’en vouloir aux autorités ivoiriennes de ne les avoir pas soutenues et mieux d’avoir été à la manœuvre concernant les sanctions régionales et internationales décrétées contre elles. Le gouvernement militaire malien peut à juste titre se formaliser des velléités de constitution à partir d’Abidjan d’un gouvernement parallèle par ses détracteurs. Les militaires maliens ont d’ailleurs réagi à cela en octroyant une enseigne à Bamako à Soro Guillaume dont le principal conseiller à qui ils ont offert gite et couvert, écume en longueur d’antennes et anathèmes les chaines d’informations et réseaux sociaux maliens pour dire tout le mal qu’il pense du gouvernement ivoirien. Cela est de bonne guerre car la réciprocité est le substrat de la diplomatie. Cependant faire de la rancune un instrument de politique étrangère est tout autre chose, car la rancune est reconnue comme le principal ennemi d’une bonne politique étrangère.
En effet, la personnalité et les décidions des responsables en politique étrangère sont toujours influencées et comptables de leur perception de la réalité qui est faite des valeurs dans lesquelles ils (les responsables?) ont été formatés, les canaux d’informations dont ils dépendent et surtout de l’idée qu’ils se font de leur pays et de celui de l’autre et de leur propre image. Toute chose qui fait dire à Diane Ethier qu’analyser la politique étrangère d’un pays revient à « sonder la pensée de ceux qui ont pris les décisions, découvrir leur image du monde et de leur propre système politique, déceler les faits qui ont constitué pour eux des facteurs et comprendre la façon dont ils en ont tenu compte ». Cette variable est donc indépendante et conjoncturelle et commande que l’on ne fasse pas du souvenir du passé une entrave dans l’action présente. C’est ce qui semble avoir échappé au gouvernement militaire malien dans le traitement de ce qui est devenu le dossier des 49 militaires ivoiriens.
En effet, un gouvernement réputé de transition qui vient de sortir sans y avoir laissé trop de plumes, de six mois de sanctions et d’ostracisassion multiformes de ses voisins et confronté à la triple adversité d’une puissance tutélaire comme la France, des « djihadistes » dotés du métabolisme de reproduction des virus et d’une oligarchie politique fâchée d’avoir été écartée des affaires et qui rumine, complote, devrait avoir pour priorité de consolider son assise par la mise en œuvre efficiente de sa propre feuille de route afin d’affirmer aux yeux du monde l’utilité de son existence et la preuve que ceux qui l’ont mal jugé ont eu tort. Vingt-quatre mois sont vite arrivés. En lieu et place de cet agenda déjà lourd, les autorités de Bamako semblent avoir choisi de faire payer celui à qui elles attribuent tous leurs malheurs le prix de l’humiliation. Ce faisant, elles ont choisi de faire de la communication où la politique et la diplomatie sont recommandées.
En effet, la définition de mercenaires qu’elles disent tirer de Convention de l’OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique adoptée à Libreville le 3 juillet 1977 et entrée en vigueur le 22 avril 1985, stipule au point « f » de son article 1 consacré à la définition, que est considéré comme mercenaire notamment une personne « qui n’a pas été envoyée par un Etat autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit Etat. »
En la matière, les autorités ivoiriennes ont affirmé 2 jours après l’arrestation des 49 soldats que « Ces militaires sont régulièrement inscrits dans l’effectif de l’armée ivoirienne et se trouvaient au Mali dans le cadre des opérations des éléments nationaux de soutien (…) ». Dès cette annonce, ces soldats ne peuvent plus être considérés comme Mercenaires, du moins par la convention citée en référence. Les autorités maliennes auraient donc dû les expulser purement et simplement. Elles évoquent le retard dans la réaction des autorités ivoiriennes lorsque ces dernières ont été informées de la situation, alors même que l’article 10 de la convention de référence évoque explicitement la participation des Etats concernés à « l’enquête préliminaire et la procédure criminelle engagée relative au crime défini à l’article 1er ». Toute cette question aurait donc pu se régler par les canaux habituels de communications diplomatiques ou militaires entre les deux Etats.
Les autorités maliennes ont été témoins de l’embarras de celles de la Côte d’Ivoire devant cette situation, cela aurait dû suffire à les satisfaire et les amener à travailler avec ces dernières pour rattraper le coup afin de fonder un nouveau type de relations entre les deux parties après la levée ses sanctions économiques et financières contre le Mali. Cela n’a pas été le cas et si le gouvernement militaire veut aller au bout de sa logique en jugeant les militaires ivoiriens comme des « mercenaires », il devra également mettre en accusation la Côte d’Ivoire devant « (…) les organisations, tribunaux ou instances internationales ou de l’OUA (UA) compétentes. » comme le stipule l’article 5 de la Convention qui lui sert de référence.
Il y a donc une volonté manifeste d’embarrasser les autorités ivoiriennes et même de les humilier devant l’opinion mondiale en les trainant dans une médiation qui les ferait descendre de leur piédestal. Cette situation rappelle celle qui a opposé l’Iran révolutionnaire aux Etats-Unis durant les 444 jours qu’a duré la prise en otage du personnel diplomatique de l’Ambassade américaine à Téhéran. Les autorités révolutionnaires étaient parvenues à entrainer les Etats-Unis dans des tractions sous la médiation algérienne dont le but était non seulement d’humilier la puissance mondiale, mais aussi tenter de solder dans des négociations de marchands de tapis, un demi-siècle de contentieux dans leurs rapports.
Bien sûr la Côte d’Ivoire n’est pas les Etats-Unis et le Mali n’est pas l’Iran et nous ne sommes pas en 1980 mais en 2022. Les autorités militaires maliennes selon leurs dires sont engagées dans une lutte pour une double affirmation de leur souveraineté sur toute l’étendue de leur territoire et vis-à-vis de la France qui refuse la décolonisation de ce qu’elle considère comme sa chasse gardée. Ces combats sont légitimes, nobles et rencontrent une grande faveur dans l’opinion publique africaine et même au-delà. Mais dans cette affaire des 49 militaires ivoiriens, qui constitue un pain bénit pour tous les détracteurs des autorités ivoiriennes actuelles et de la France, les autorités militaires semblent servir de porte-flingue non seulement aux irréductibles opposants du Président ivoirien mais aussi à la puissance mondiale qui veut bouter la France hors de ses territoires africains à travers l’affaiblissement de ceux qui sont considérés à tort ou à raison comme ses meilleurs lieutenants et cela se voit aussi clairement que la présence d’une mouche dans un verre de lait.
Mais à vouloir attaquer sur tous les fronts et mener en un seul tenant tous les combats même ceux réputés d’arrière-garde, l’on disperse son énergie et l’on va forcément au-devant d’une défaite. Les autorités militaires maliennes devront donc se concentrer sur ce qui justifie amplement leur existence, à savoir la libération de leur pays de toutes les entraves à sa souveraineté nationale et internationale et c’est déjà beaucoup. En politique étrangère, il est plus constructif d’agir que de s’agiter et cela est connu de tous.
La Côte d’Ivoire n’a aucune visée impérialiste sur le Mali et les millions de Maliens qui vivent, travaillent et sont intégrés en Côte d’Ivoire, ne sont certainement pas intéressés par une situation qui remettrait tout cela en cause du jour au lendemain. Les Ivoiriens, malgré leurs divergences, aiment également leur pays et personne n’a besoin de tester cela.
CAMARA Moritié
Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales