Dans ses souvenirs, l’impératrice Farah Diba, l’épouse du dernier Shah d’Iran, Mohammed Reza Pahlavi, relate cette scène surréaliste à laquelle elle fut soumise un jour de novembre 1978 alors que le pays était secoué depuis le mois de janvier par des manifestations massives et quasi quotidiennes. Ce fameux jour, elle vit se présenter le matin au palais sa secrétaire particulière, couverte de la tête aux pieds par un tchador noir. Le choc fut grand pour l’impératrice car sa collaboratrice a toujours été une femme coquette et soignée qui accordait une importance décisive à son image et adorait s’habiller en tailleurs chics qui laissaient tous entrevoir ses longues jambes et sa silhouette de top model. Elle demanda alors, sous le coup de l’émotion à sa fidèle collaboratrice les raisons de ce changement radical et si elle a subi des pressions de sa famille ou de son entourage proche. Cette dernière lui répondit que ce n’était rien de tout cela et qu’elle avait simplement pris conscience qu’elle devait sauver son âme en vivant conformément aux prescriptions islamiques. Il faut dire qu’un des slogans des révolutionnaires étaient : « Le Shah veut faire de vos filles des prostituées. »
L’Iran moderne du Shah
L’impératrice qui est restée sans voix, dit avoir pris conscience à cet instant précis que la victoire de la révolution Islamique qui secouait le pays depuis près d’un an était irréversible. Lorsqu’elle rapporta cela au Shah, ce dernier s’est assombri et ensemble ils ont évoqué les enjeux de la révolution blanche qu’ils ont initiée à partir de 1963 et qui en plus de la vaste réforme agraire qui a eu pour vertu de fâcher les religieux, avait octroyé aux Iraniennes de nombreux droits à l’image des Européennes ou Américaines. Le Shah qui voyait déjà les manifestations comme « une ingratitude de son peuple à son égard », s’est senti plus trahi encore par l’attitude des femmes « envers la modernité » qu’il avait apportée au pays.
Contrairement donc à ce que pensent beaucoup, la révolution Islamique en Iran est également une commande des Iraniennes elles-mêmes qui ont pris une part active et décisive à son triomphe en février 1979. Elles étaient présentes dans les rues auprès de leurs frères, maris et pères dans les manifestations monstres et sans trêves qui ont secoué le pays de janvier 1978 à Février 1979, date du retour de l’Ayatollah Khomeiny de son exil français. Elles représentaient plus du tiers des manifestants et les soldats qui les visaient avec leurs fusils, elles présentaient une fleur, toute chose qui a eu un effet psychologique énorme sur ces derniers dans l’exécution des ordres de la hiérarchie militaire. On le sait, l’armée du Shah était la 5ème armée du monde en taille et en puissance de feu. Cette armée lui est d’ailleurs restée fidèle jusqu’au jour de son départ le Téhéran le 16 Janvier 1979.
Mais le Shah dans les derniers mois qui ont précédé sa chute et principalement après l’incendie le 19 août 1978, du cinéma Rex d’Âbâdân qui a tué quatre cents personnes (qui n’ont pu s’échapper du fait que les portes étaient verrouillées de l’extérieur. Gouvernement et révolutionnaires se rejetteront la responsabilité de ce crime de masse), ne donnait presque plus d’ordre à ses généraux. Il était tétanisé par l’ampleur des manifestations et de l’image que tout cela donnait de lui dans le monde mais aussi par le cancer qui le rongeait et dont même sa femme n’en savait rien. Les généraux avaient donc l’initiative des opérations mais leurs ordres n’étaient pas exécutés comme il se devait du fait des fleurs que les femmes tendaient aux soldats. Les femmes iraniennes ont donc largement contribué au triomphe de la révolution Islamique en Février 1979 et également au choix de société dans laquelle elles désiraient désormais vivre par le vote par referendum en décembre 1979 de la Constitution qui remplace celle de la monarchie.
Les femmes majoritaires à l’université Cette Constitution a été choisie après moult tractations entre les différentes forces politiques qui avaient été invitées à définir la société dans laquelle les Iraniens devraient vivre désormais. Cette Constitution reconnait les droits individuels notamment celui de vote aux femmes qui pouvaient en user dès l’âge de 15 ans. Cela restera exceptionnel dans la région et cela jusqu’à ces dernières années avec des pays où la femme n’a même pas le droit de conduire une voiture. Cette Constitution de décembre 1979 établit une égalité formelle de tous les citoyens devant la loi conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies. L’article 19 de la Constitution stipule en effet : « Tous les Iraniens, quelle que soit l’ethnie ou la tribu à laquelle ils appartiennent, jouissent de l’égalité droits; et la couleur, la race, la langue, etc., ne confèrent aucun privilège. » Pour ses détracteurs, cette Constitution borne l’égalité formelle qu’aux quatre critères que sont l’origine, la race, la couleur de peau et la langue, laissant de côté le sexe et la religion. Sauf que l’article suivant, stipule : « Tous citoyens de la nation, aussi bien les femmes que les hommes, jouissent de façon égale de la protection de la loi et jouissent également de tous les droits humains, politiques, économiques, sociaux et culturels, dans le respect des préceptes de l’Islam. » Il n y a donc aucun ambigüité puisque nous sommes dans une République islamique qui prend soin toutefois d’inscrire spécifiquement dans la Constitution notamment en son article 21 que : « L’Etat a le devoir de garantir les droits de la femme à tous égard, dans le respect des préceptes islamiques, et de mettre en œuvre les réalisations suivantes: 1- Création de terrains propices pour l’épanouissement de la personnalité de la femme et la restauration de ses droits matériels et spirituels. (…) » Dans ce domaine on peut dire, chiffres à l’appui, que la République islamique a tenu ses engagements. La modernité apportée par le Shah aux femmes était autoritaire et non conforme à l’identité Islamique de l’Iran. Cette modernité a ainsi remis en cause les structures traditionnelles dans lesquelles baignaient les femmes sans pourtant leur assurer une participation efficiente à la fondation de leur propre Histoire. Aujourd’hui les femmes se sont totalement réalisées en Iran notamment sur le plan de l’éducation et de l’instruction. En effet, en Iran qui a l’un des taux d’alphabétisation les plus élevées au Monde (87%), les jeunes filles représentent 60% des étudiants des universités (dont l’accès se fait par un concours très sélectif après la réussite au baccalauréat), pendant que les femmes représentent 56% des professeurs d’universités. Sur le plan politique, il y a toujours au moins une femme parmi les vice-présidents de la République. Il y a des femmes qui dirigent des Ministères importants comme ceux de la santé et de l’Education et leur place dans l’économe est en constante croissance notamment comme chefs d’entreprises. Quant à la question du foulard, son port est inscrit dans la Constitution au même titre qu’en France l’interdiction de la Burka est inscrite dans la loi. Il n’est donc pas exact comme cela se dit actuellement sur les médias de masse, notamment occidentaux que la Révolution Islamique de 1979 en Iran est venue emprisonner les femmes. Loin s’en faut.
Le pays traverse actuellement des moments de troubles massifs consécutifs à la mort dans les locaux de la police des mœurs le 16 septembre 2022 de la jeune Mahsa Amini. Cette police des mœurs qui vient d’être dissoute le 3 décembre dernier, n’est pas née avec la révolution mais instituée en 2005, sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad.
Pas de gay pride à Téhéran
Cependant, ceux qui ne savent pas et ceux qui croient savoir quelques choses se sont emparés de la scène médiatique pour faire des amalgames tendant à travestir l’Histoire et cela n’est pas acceptable. La mort de cette jeune fille pour dramatique qu’elle soit, ne peut pas être instrumentalisée pour réécrire l’Histoire. La femme ne s’est jamais aussi bien épanouie sur les plans intellectuel et social en Iran que depuis la révolution islamique et comme le disent les Ivoiriens : « c’est ça qui est la vérité ».
Bien sûr autre époque, autres mœurs. Si les jeunes iraniens, filles et garçons, ont besoin de nouveaux espaces de liberté, c’est tout à fait normal qu’ils le revendiquent avec l’énergie de leur jeunesse et il revient aux autorités de savoir prendre la mesure de l’Histoire et se déterminer par rapport à ces revendications pour le moins légitimes. Il faut souvent savoir lâcher du lest et se résoudre à changer quelque chose pour que tout continue comme avant.
Cependant, il ne fait pas oublier que Shah a été délogé car il n’a pas voulu respecter la nature de la société iranienne qui est avant tout une société islamique. Dès lors, ceux qui veulent un changement qui ramènerait les religieux dans leurs moquées afin de faciliter l’organisation à Téhéran de la gay pride se méprennent lourdement sur ce peuple dépositaire d’une des plus vieilles civilisations au monde.
Moritié CAMARA
Professeur Titulaire ‘Histoire des Relations Internationales