Aube nouvelle a publié lundi son rapport des élections locales du 2 septembre dernier en Côte d’Ivoire .Elle soulève des préoccupations et fait des recommandations
L’Ong s’inquiète des points suivants :
1- « La main d’œuvre électorale délictuelle » : il apparaît à chaque élection une main-d’œuvre électorale officieuse à la solde de candidats et de partis politiques, souvent des voyous ou des enfants, qui s’organisent et s’attaquent systématiquement aux bureaux de vote, aux centres de compilations, à des citoyens ou qui détruisent les procès-verbaux de dépouillement. Cela ressemble à des opérations préparées et coordonnées puisque ces voyous interviennent presque toujours au moment de la centralisation des résultats. L’Etat a la responsabilité de mettre fin à cette perméabilité dangereuse pour la stabilité communautaire.
2- Plusieurs accusations touchent directement des agents de la CEI : corruption, collusion, absentéisme et amateurisme. Ces agents étant pour la plupart recrutés, il y a lieu de s’inquiéter des opinions vraies ou fausses qui circulent sur leur probité et sur leur travail. Ces opinons peuvent ouvrir la voie à des doutes et à des contestations préjudiciables à l’intégrité d’un processus électoral et par conséquent à des tensions communautaires.
3- La prévisibilité des violences. Si l’on est capable, par des analyses de risques et d’occurrences, de prévoir avec une relative exactitude la nature et les lieux de violences électorales, l’on peut s’interroger sur l’efficacité des mesures sécuritaires et administratives préventives, dissuasives et répressives qui sont prises pour éviter ces violences.
4- La participation aux élections en Côte d’Ivoire devient critique, même si elle garde une certaine constance. Des élections post-crise comme en 2010 connaissent généralement des participations exceptionnelles, en raison du contexte politique. Cependant, une participation basse et constante peut indiquer un désintérêt, une lassitude, un manque de confiance ou une résignation vis-à-vis du processus électoral. Il convient d’accorder une attention particulière dorénavant aux programmes d’éducation électorale, car une stagnation de la participation peut faire perdre de la crédibilité et de la légitimité aux Autorités élues ainsi qu’aux institutions qu’ils représentent. Il peut en résulter également que les Autorités élues avec une faible participation électorale n’aient pas suffisamment d’autorité pour gérer et intervenir dans les conflits communautaires.
5- Le taux de participation : le taux de participation, c’est le rapport entre le nombre de votants effectifs et le nombre total des inscrits sur une liste électorale locale ou nationale. Cette formule mathématique électorale est universelle. Ce taux permet de définir la quantité et la proportion des citoyens s’étant mobilisés pour le vote. Dans certains pays, le taux de participation, à un certain seuil, est le critère de validation ou d’invalidation d’une élection, au niveau local ou national. La logique dans ces pays est qu’un taux bas ne peut justifier une élection car la représentativité en est expurgée. Le taux de participation permet également des analyses stratégiques et politiques pour la Commission en charge des élections, pour les experts électoraux et pour les partis politiques afin de renforcer la participation citoyenne et la légitimité des institutions, de déterminer les comportements électoraux et d’en tirer des leçons pour l’amélioration des futures échéances électorales. Comme elle l’a justement fait à l’occasion des élections locales du 02 Septembre 2023, il est obligatoire que la CEI utilise la même équation mathématique pour toutes les élections en Côte d’Ivoire, quelles qu’elles soient.
6- La question de l’argent et de la suspicion par des candidats de l’usage abusif de l’argent pendant la campagne commence à être un point prédominant des débats électoraux. Cette question doit intéresser. Elle est corollaire de la question de l’utilisation des biens publics à des fins électorales.
7- Des listes de candidats ont souligné leur difficulté ou impossibilité d’accès aux médias publics pour les élections locales. C’est une question constamment soulevée.
8- Sans que nous n’ayons observé des cas d’intimidation dans les communautés, il a été rapporté la question de la liberté d’expression et de choix dans certaines localités, ce qui, pour certains, serait le motif de leur non-participation au vote.
9- « Chantage au développement » : cela devient récurrent pendant les campagnes électorales surtout locales. Des discours d’officiels relayés par différents canaux de communication soulignent : « Si vous ne votez pas pour moi, vous n’aurez pas le développement » ou encore « Je suis proche du Président, je vais développer la cité, si vous votez pour moi ». Ce type de discours pendant des élections est une forme de chantage au développement et une intimidation voilée. Ce discours crée des divisions communautaires, et catégorise artificiellement les citoyens sur la base de ceux qui veulent le développement local et ceux qui n’en veulent pas. Sur le moyen terme, de tels discours obstrueront le débat politique local et marginaliseront des composantes de la communauté, qui ne partagent pas des choix politiques. Cela peut planter un dangereux décor de frustrations sociales communautaires, prémisses de conflits inévitables.
10- Dans certaines régions, l’on devrait s’inquiéter des discours officiels ou en vases clos avec tendances identitaires, de prééminence de groupes par rapport à d’autres, au niveau national et au niveau des circonscriptions.
11- Le contentieux électoral : les contestations des résultats, les accusations par des candidats de presque tous les Partis politiques de fraudes ou de dysfonctionnements mettent la CEI dans une situation de questionnement, alors que cette même Commission électorale avait assuré des élections législatives saluées par tous avec moins de contestations. Le 14 Septembre 2023, un document en circulation et attribué à la CEI a fait le point des requêtes en contestation des résultats des élections du 02 Septembre 2023. Ce document établit que :
– 13 requêtes officielles ont été enregistrées pour la contestation d’élections dans 11 Régions sur les 31, soit 35,48% des régions contestées
-71 requêtes de contestations d’élections au niveau de 56 Communes sur les 201, soit 27,86% des Communes contestées.
-des candidats issus des listes du RHDP, du PPA-CI, du PDCI-RDA, de l’alliance PPA-CI/PDCIRDA et des candidats indépendants ont formulé des requêtes officielles en contestation.
En plus des 71 requêtes en contestation formulées par des candidats au niveau des Communes, la CEI a elle-même, usant de ses prérogatives, décidé de saisir le Conseil d’Etat pour l’annulation des élections et leur reprise à la fois pour la Commune de Kouibly (circonscription 101) et pour la Région du Guémon.
Le nombre relativement important de requêtes en contestations peut être aussi perçu comme le signe d’une vitalité démocratique dans laquelle les contestations passent majoritairement par les instances judiciaires, là où antérieurement les contestataires recouraient à la violence pour se faire entendre. Cependant, la nature des contestations (accusations de fraudes, dysfonctionnements) doit amener la CEI à une remise en cause. Contrairement aux idées reçues, la Commission en charge des Elections n’est pas l’arbitre d’un processus électoral, elle en est l’organisatrice, c’est-à-dire qu’elle est maîtresse et comptable de tout ce qui se passe dans le processus électoral sur le terrain de la compétition et à l’extérieur du terrain. Un arbitre ne vient que pour un rôle ponctuel de quelques heures ou quelques jours et s’en retourne, quand la Commission Electorale, elle, dispose d’un mandat pluri-annuel pour conduire tout le processus, formuler des propositions de législation ou de réglementation, coordonner avec les autres institutions républicaines et établir tous les principes de la compétition électorale. C’est à elle de mettre en place les mécanismes de transparence et d’anticipation et limitation de la fraude électorale. Dans une élection, les arbitres sont plutôt les observateurs électoraux, ils ne sont pas comptables de la qualité de la pelouse, du terrain, de la piste ou des conditions environnementales de la compétition.
En tant que Commission « INDEPENDANTE », la CEI est donc comptable de tous les dysfonctionnements constatés et des dysfonctionnements qu’elle n’aurait éventuellement pas anticipés.
RECOMMANDATION
À l’issue des élections locales du 02 Septembre 2023, AUBE NOUVELLE émet une seule recommandation : la mise en œuvre d’une REVUE ÉLECTORALE en vue d’aboutir sur de possibles RÉFORMES ÉLECTORALES, dans le souci collectif d’éviter à la Côte d’Ivoire de futures crises dommageables à son progrès. Il faut créer la confiance autour du processus électoral et autour des institutions qui y concourent.
Au regard des leçons tirées de l’organisation des élections locales du 02 Septembre 2023, AUBE NOUVELLE souhaiterait que soient considérés dans les débats pendant la revue les points suivants, qui font l’objet de préoccupations depuis 2020 :
-La Constitution : après son adoption en 2016, la Constitution de la République de Côte d’Ivoire a connu deux modifications. A l’occasion de la revue, il certain opportun d’examiner toutes les questions autour de la Constitution, au regard des évolutions politiques et institutionnelles de la Côte d’Ivoire ces 7 dernières années.
-La Loi Électorale : adopter une nouvelle Loi Electorale, qui inclurait toutes les préoccupations majeures consensuelles après la revue.
-Le Conseil Constitutionnel : cette haute juridiction a compétence pour annoncer les résultats définitifs des élections présidentielles, législatives et sénatoriales, et délibéré sur les requêtes de contestation éventuelles. Le doute éventuel sur la relative impartialité de ses animateurs peut être préjudiciable à la sérénité du processus électoral. Il faut donc inclure cette préoccupation dans les débats sur la revue électorale, dans le souci de créer la confiance dans une institution dont une des compétences électorales est fondamentale pour la paix dans les communautés et dans le pays.
-La Commission Électorale Indépendante (CEI): à l’occasion des élections du 02 Septembre 2023, la Commission a fait l’objet de critiques de la part de presque tous les Partis politiques. Ces critiques n’ont été que la suite des débats antérieurs sur la composition numérique et politique de la Commission.
A l’analyse, les Partis politiques recherchent beaucoup plus le contrôle de la Commission Électorale à leur profit, plutôt qu’une indépendance totale de cette Commission.
Au vu des expériences et critiques formulées, il convient, pour garantir la confiance des populations, de penser à la mise en place d’une Commission Électorale technique et indépendante, avec à ses côtés un organe consultatif politique regroupant les représentants des Partis politiques. La Commission Electorale n’est pas une Cour de Justice, mais un organe politique et administratif, suffisamment flexible pour prendre en compte les préoccupations des Partis politiques et inspirer leur confiance, tout en conduisant les processus électoraux sans influences internes et externes.
-le découpage électoral : il convient de questionner le découpage des circonscriptions électorales et de revoir leur utilité et leur viabilité.
-le recensement électoral : depuis 1980, la Côte d’Ivoire procède à une révision de la liste électorale. Eu égard aux difficultés de mise en œuvre d’un état-civil électronique et son croisement systématique avec la liste électorale (décès et majeurs), il conviendrait de procéder à l’établissement de la liste électorale nouvelle, c’est-à-dire une reprise de la liste électorale à zéro, afin de disposer d’une liste électorale nationale et locale qui soit le reflet effectif de la population en âge et en capacité de voter. Cela suppose de grandes opérations techniques, financières, politiques, logistiques et de sensibilisation, mais ces opérations sont nécessaires pour la stabilité du pays, car le facteur le plus contesté dans les processus électoraux africains (après les commissions électorales) est la liste électorale.
-les procédures de vote : pour les élections locales du 02 Septembre 2023, la Commission Electorale a amélioré ses procédures, notamment au niveau de la transmission des informations sur le taux de participation. Elle pourrait poursuivre l’amélioration de ses procédures au regard des changements éventuels qui seront opérés pendant la revue électorale.
-le contentieux électoral : il faut une garantie de transparence de la gestion du contentieux électoral afin que les populations, candidats ou partis ne recourent pas à la violence communautaire pour exprimer leur contestation des résultats.
Fulbert Yao