Ce n’est un secret pour personne.
Le 11 avril 2024, c’est à travers un communiqué rendu public que l’Autorité ivoirienne de régulation pharmaceutique (AIRP) a alerté la population ivoirienne sur les dangers liés à la consommation du très prisé produit aphrodisiaque Atoté, ainsi que ses dérivés. Et pour cause ! Les tests effectués ont révélé une forte présence de sildénafil, une substance utilisée dans le traitement du dysfonctionnement érectile. Plus d’un mois après cette décision, quelle est la réalité sur le terrain, notamment à Korhogo où le produit est fabriqué, et à Abidjan où les consommateurs en raffolent ? Notre équipe a mené l’enquête.
Le week-end du samedi 18 mai 2024, consacré à l’hommage au chef de l’État Alassane Ouattara, a été le moment choisi pour se rendre à Korhogo, la troisième ville la plus peuplée et la plus grande du nord de la Côte d’Ivoire. Cette visite nous a conduits, autour de 17h, au siège d’Atoté, au quartier « sinistré », l’un des trente quartiers de la ville. Habituellement grouillant de monde, c’est un silence de cimetière qui règne à notre visite. Pas une silhouette à l’horizon. Le siège, désormais peint en bleu, est fermé. Le silence des lieux est par moments déchiré par le bruit des véhicules et motos ou des cris de quelques footballeurs s’entraînant sur un terrain en face. À quelques encablures du portail, deux acteurs du business, assis sous un parasol, acceptent de nous parler après hésitation. Avare en paroles, ils confient tout de même que le produit n’est plus fabriqué depuis la mesure d’interdiction. Cependant, ils avouent : « Le stock restant est écoulé. » À la question de savoir comment s’en procurer, l’un de nos interlocuteurs révèle qu’il faut être recommandé. Il nous renseigne également que le créateur du produit, Ouattara Djakaridja, absent au moment de notre visite, serait en voyage à Abidjan pour récupérer des documents. Après le siège, nous réussissons, après plusieurs tentatives, en début de soirée, à joindre au téléphone un proche de Ouattara Djakaridja. Ce dernier nous confie que depuis l’interdiction, « 500 personnes sont au chômage », refusant toutefois de commenter la décision de l’AIRP. « Je n’ai pas d’informations pour votre recherche », nous a-t-il lancé, par la suite, par SMS. Notre périple à Korhogo a aussi été l’occasion de recueillir l’avis des populations sur la mesure. Dans la capitale du Poro, l’interdiction du produit ne fait pas que des heureux. À l’instar de l’étudiant O. A. qui pratiquait cette activité de manière parallèle. Selon lui, l’argent de l’Atoté lui permettait d’acheter des fascicules et de satisfaire ses petits besoins. Mais aujourd’hui, cette indépendance financière, qui permettait aux parents de souffler, est tombée à l’eau. S. F., la quarantaine, rencontré sur une moto, non loin du carrefour vers la pharmacie 14, a confié succinctement qu’au-delà de l’aphrodisiaque, le produit traitait d’autres maladies. Pour elle, l’interdire n’arrange pas les choses.
Après Korhogo, notre enquête nous a conduit à Abidjan. Dans la capitale économique, le produit continue d’être vendu comme si de rien n’était. Mais les commerçants ont développé des stratégies pour contourner l’interdiction. Au rond-point Samaké, dans la commune d’Abobo, S. Arnaud, gérant de cabine cellulaire, dissimule ses produits derrière sa table pour ne pas attirer l’attention. Selon lui, « Atoté » est un remède efficace contre les troubles de l’érection. C’est pour cette raison qu’il continue de le vendre malgré son interdiction.
Dans la zone d’Aboboté, Maïmouna K. utilise une méthode différente. Elle transfère le produit dans un autre bocal et change l’étiquette. Grâce à ce stratagème, elle vend rapidement son produit dans une bouteille violette, exposée à la vue de tous. Elle estime qu’il n’y a pas de raison valable pour interdire ce type d’aphrodisiaque, affirmant que l’interdiction est due au décès d’un homme qui n’avait pas respecté les instructions d’utilisation.
Outre la vente aux abords des routes, certains commerçants privilégient la vente en ligne, comme D. Mariam, qui livre ses clients à domicile. Certains vendeurs en ligne font même des promotions aux clients, notamment par une baisse des prix, peut-être aussi pour écouler facilement les stocks.
Sur les dangers du produit, Dr Kroa Ehoulé, directeur coordonnateur du programme national de promotion de la médecine traditionnelle, expliquait début mai, dans l’émission « À l’écoute de la population » du ministère de la Santé, qu’ils sont énormes. Selon lui, avec ce médicament, les praticiens ont très souvent des cas d’AVC, de crise cardiaque, de priapisme, de céphalées atroces, de maux de hanches, de douleurs de dos… Toujours d’après lui, la méthode de fabrication de « Atoté » original 100 % naturel va à l’encontre de l’article 45 des codes éthiques et de déontologie : « Les produits sont mal préparés, on y trouve énormément de champignons… », a-t-il précisé. Au couple angoissé par l’interdiction, le médecin conseille de se tourner vers d’autres produits sans danger, « sans produit chimique dans la fabrication ou sans ajout complémentaire après ». Il prévient par ailleurs les contrevenants que des mécanismes de surveillance ont été mis en place par l’AIRP et le programme afin de détecter la vente sur les marchés locaux et prendre les mesures qui s’imposent. Toutefois, au dire de Dr Kroa Ehoulé, le défi qui demeure dans le secteur, c’est l’absence d’institut de recherche en médecine traditionnelle. Pour cela, il plaide pour « un label pour les médicaments homologués afin que l’on sache qu’ils sont sans danger ».
Fulbert Yao