Jean Sansan Kambilé, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’homme, ce vendredi 7 juin 2024, devant la Commission des affaires générales, institutionnelles et des collectivités territoriales (CAGIT) du Sénat pour défendre 5 projets de loi tous adoptés à l’unanimité des Sénateurs membres de cette Commission.
Interrogé par la presse, à l’issue de cette séance sur la polémique à propos de la loi modifiant le Code pénal qualifié de « liberticide » et attentatoire à la liberté d’expression et de manifestation, le Garde des Sceaux ne s’est pas débiné pour apporter des éclaircissements. Ci-dessous de larges extraits de sa réponse à l’opposition ivoirienne sur le sujet.
« Vous savez dans le cadre de la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive, de même que la lutte contre la criminalité transnationale organisée, un certain nombre de textes ont été transmis au Parlement pour examen.
Les deux premiers avaient trait à la modification de Code pénal et de Code de procédure pénale ; il y a eu un projet de loi modificatif de la loi sur la répression du terrorisme, un autre projet de loi sur l’entraide judiciaire en matière pénale et le dernier, c’était le projet de loi portant création du registre des bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions juridiques.
Et je me réjouis de l’adoption à l’unanimité de l’ensemble de ces cinq projets de loi.
Pour ce qui est de la polémique dont vous parlez, je voudrais indiquer que le Code de procédure pénale et le Code pénal ont été présentés à la Commission des affaires générales, institutionnelles de l’Assemblée Nationale et adoptés à l’unanimité des membres de cette commission.
Nous pensons que c’est légitime pour les députés de l’opposition de faire des critiques sur l’action gouvernementale. Cela participe du jeu démocratique. Et, en raison du principe de la redevabilité, il revient à ceux qui exercent le pouvoir de rendre de ce qu’ils font et d’expliquer le sens de leurs actions.
Relativement à l’article 185, je vais chercher à être didactique et vous indiquer ce qui existait et ce qui a été proposé. Vous savez la polémique, s’il y en a, porte sur l’alinéa 2 de l’article 185 qui était précédemment l’article 175 du code pénal. Cette disposition a été modifiée en 2019, puis actuellement pour reprendre en ce qui concerne l’alinéa 1, le champ de réflexion de l’apologie à tous les crimes, il était disposé ce qui suit : « Article 175 de 1981, est puni des peines portées à l’article 174, deuxièment quiconque par l’un des moyens visés audit article fait l’apologie des crimes de meurtre, de pillage, d’incendie ou de destruction d’édifice de vol, de crimes contre le droit de gens et des infractions prévues au chapitre 2 du présent titre ». En 2019, la modification qui avait été faite consistait à dire que : « est puni des peines prévues à l’article 184 alinéa 2 quiconque par l’un des moyens visés audit article ; un fait l’apologie des crimes de meurtre, le pillage d’incendie, ou de destruction d’édifice, de vol de crime contre le droit des gens et des infractions prévues au chapitre 2 et 3 du présent titre ».
Le texte qui a été proposé visait à étendre, comme je l’ai dit, le champ de réflexion à tous les crimes parce que précédemment, on disait certains crimes et non l’ensemble des crimes. Et c’est ce qui a été proposé. L’alinéa 2 de cette disposition qui existe depuis 1981, n’a pas fait l’objet de modification.
« Une polémique totalement inutile »
Donc, quand on vous dit que ce texte est liberticide, cette disposition est liberticide depuis 1981. Si depuis 1981, personne n’a été inquiété pour émis des opinions ce n’est maintenant. Que dit en réalité cette disposition. « C’est quoi l’apologie ? L’apologie, c’est faire des éloges, c’est de justifier, c’est de glorifier un acte ou une personne. Donc on ne peut pas faire l’apologie d’un crime.
Je vous prends un exemple. Il n’y a pas longtemps, un journaliste, un animateur avait été poursuivi pour apologie de viol. On l’a poursuivi par son action qui entendait mettre en exergue ou glorifier un acte qui n’est pas normal. Parce que le viol n’est pas un acte normal. C’est un crime. Donc, si on écoute bien ce qui est dit, c’est de dire que cette personne qui est poursuivie pour apologie de viol, on doit pouvoir glorifier son action ou justifier son action.
Comment comprendre que la personne qui fait l’apologie et qui est condamnée cela est normal. Par contre la personne qui vient justifier ou glorifier l’action commise par la personne qui est condamnée parce qu’elle est une personne qui a une activité politique, religieuse ou philosophique, on ne doit pas la poursuivre. Ça n’a aucun sens. C’est une polémique totalement qui est totalement inutile. Et comme je l’ai indiqué prenons un exemple simple.
On nous dit c’est attentatoire à la liberté d’opinion. Mais, l’apologie n’est pas la liberté d’opinion. Comme je l’ai dit, faire l’apologie d’un acte criminel n’est pas la liberté d’opinion. L’exemple qui a été choisi, si moi je vais et que j’émets une opinion sur un acte attentatoire à la sureté de l’Etat, je peux être poursuivi. Mais comme je l’ai indiqué, cette disposition n’a pas été touchée. Elle existe depuis 1981. Je mets quiconque au défi pour me dire que depuis que ce texte existe, on a poursuivi quelqu’un qui a émis une opinion ou un jugement sur un acte criminel. Il faut faire très attention. Il ne faut pas confondre l’apologie d’un crime avec le fait de contester ou de porter atteinte ou de jeter le discrédit sur une décision de justice.
Il faut éviter de salir une institution judiciaire qui est une institution honorable. Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir politique, du pouvoir exécutif. Je crois quand on veut expliquer quelque chose, on veut contester l’autorité sur un sujet donné il faut y mettre un peu de bonne foi. On ne fait pas de la politique partout. Nos concitoyens ont besoin de savoir la réalité de ce qui est demandé.
Aujourd’hui, on nous dit parce que je suis un homme politique, j’ai le droit de faire l’apologie, de l’atteinte à la sureté de l’Etat à la sureté de l’Etat. Il faut éviter de banaliser certaines actions. Il ne revient pas aux politiques de faire l’apologie d’un acte criminel ; il ne revient pas aux religieux de faire l’apologie d’un acte criminel. Donc, l’apologie n’est pas l’émission d’une opinion politique. Personne n’a été arrêtée parce qu’il a émis une opinion politique. Il faut qu’on arrête de tromper les gens. Cela est totalement faux, il n’y a pas de polémique, il n’y a absolument rien.
(…) Les députés qui se rechignent à montrer le caractère liberticide de cette disposition étaient en commission au moment de l’adoption à l’unanimité de ce texte ».
Propos retranscrits par Traoré Yacouba Diarra