Le Professeur titulaire d’Histoire des Relations internationales à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké lève dans cette interview, un coin du voile sur les stratégies de la Chine pour se positionner comme la première puissance au monde.
Pékin accueille du 4 au 6 septembre 2024 le 9ème Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC). Quels sont les enjeux de ce sommet pour la Chine et l’Afrique ?
Ce 9ème sommet se tient dans un contexte particulier sur les plans géopolitique et géostratégique mais également diplomatique dans lequel la Chine apparait de plus en plus comme une puissance mondiale incontournable. Ce sommet qui a pour thème justement : « Joindre les mains pour faire progresser la modernisation et construire une communauté de destin Chine-Afrique de haut niveau » devrait permettre à la Chine de confirmer cette posture aux yeux du monde en général et des Africains en particulier. Ce sommet sera également à coup sûr – et le discours d’ouverture du Président Chinois devrait en donner la teneur-, l’occasion pour la Chine d’affirmer ses nouvelles ambitions sur les plans diplomatique, politique et même sécuritaire sur le continent.
En effet, jusqu’à présent les interventions de la Chine en Afrique étaient essentiellement basées sur les aspects commerciaux qui apparemment ne suffisent plus à la puissance qu’elle est devenue ainsi qu’à la place qu’elle aspire occuper désormais dans les relations internationales en général et en Afrique en particulier. La nature a horreur du vide et les Chinois ont compris qu’avec la remise en question de la posture des anciennes puissances sur le continent africain, il y a des places à prendre et que cela implique forcément des gages et des responsabilités politiques et diplomatiques. C’est ainsi qu’entre le dernier sommet qui s’est tenu à Dakar en Novembre 2021 et celui qui s’ouvre le 4 septembre, la Chine a apporté à bas bruit des inflexions importantes à la politique de neutralité absolue qu’elle a toujours menée en Afrique notamment dans les domaines diplomatique et sécuritaire. Faire passer et surtout faire comprendre à leurs interlocuteurs africains, le message de la nouvelle tournure qu’elle compte installer dans les rapports entre la Chine et l’Afrique est certainement pour les autorités chinoises, l’un des enjeux majeurs de ce sommet que certains journaux chinois qualifient à juste titre de « crucial. »
Pour les dirigeants africains dans le contexte des luttes de ré-indépendance et pour une véritable souveraineté de nos Etats, il s’agit de prouver que l’enjeu pour eux n’est certainement pas d’aller de Charybde en Scylla dans les partenariats qu’ils construisent pour leurs pays avec les puissances étrangères. Il y a en effet la question de la dette des pays africains envers la Chine. Les occidentaux et souvent au plus haut niveau, critiquent avec gourmandise cela alors même que le FMI estimait en juin 2023 que sur les quelques 1 800 milliards de dollars US de dettes des pays d’Afrique subsaharienne en 2022, seuls 8% étaient dus à la Chine. Il serait important que nos dirigeants posent la problématique des modalités de cette dette et de son impact réel sur le développement de nos pays. Après le sommet de Dakar de novembre 2021, la Chine en s’inspirant de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine a élaboré un document intitulé : « Vision 2035 de la coopération sino-africaine » sur les partenariats de développement dans les domaines comme le commerce et l’investissement, la croissance verte, les ressources humaines ou encore l’industrialisation du continent. Il est attendu que les pays africains à leur tour présentent leur propre vision de ce partenariat en rapports avec leurs propres intérêts.
Comment expliquez-vous que le FOCAC attire plus les présidents africains que les autres sommets similaires, notamment Inde-Afrique, Russie-Afrique, Japon-Afrique etc. ?
Nous vivons dans un monde ou les notions d’hégémonie et de puissance se conjuguent désormais au pluriel et supposent une acceptation préalable des populations sur lesquelles elles s’exercent. Cela est non seulement la conséquence mais aussi les causes des bouleversements géopolitiques et géostratégiques importants qui ont lieu en ce moment et qui ont profondément bouleversé les rapports entre les pays et notamment entre les pays africains et le reste du monde.
Par exemple, les tentatives occidentales d’isoler la Russie sur la scène diplomatique internationale en rapport avec la crise ukrainienne a échoué notamment à cause de la distance que les pays africains en général, même ceux qui ont voté des résolutions contre Moscou aux Nations Unies, ont pris vis-à-vis de cette volonté. L’Afrique qui occupe 54 des 193 sièges de l’Assemblée Générale des Nations Unies, s’est dès lors révélée aux yeux du monde comme un bloc de poids pour faire prospérer ou échouer les agendas des grandes puissances. Dès lors, dans un microsome diplomatique et politique dans lequel les puissances tiennent une comptabilité vigilante de leurs amis à échelle mondial, les sommets qui les réunissent individuellement avec l’Afrique, sont un baromètre de l’influence qu’elles exercent ou pas dans le monde.
Dans cette arène de gladiateurs, la Chine peut fièrement se targuer de cette posture de puissance non clivante aux yeux de l’opinion publique africaine qui est désormais très regardante sur la nature des liens que leurs pays entretiennent avec les autres pays. Il n’y a également aucune raison que les puissances occidentales notamment les Etats-Unis exercent des pressions sur les dirigeants africains comme cela a été le cas pour le deuxième sommet Russie-Afrique afin que ces derniers ne fassent pas le voyage de Saint-Pétersbourg.
Pour toutes ces raisons, il est plus aisé et donc moins risqué pour les dirigeants africains, de participer, en personne et en nombre à un sommet avec la Chine sans être taxés d’être des représentants de commerce d’une quelconque puissance par leur opinion publique ou de pactiser avec le diable par les occidentaux. D’ailleurs, Chen Xiaodong, le vice-ministre chinois des Affaires étrangères a qualifié ce 9ème FOCAC de : « plus grand événement diplomatique organisé par la Chine ces dernières années avec la participation du plus grand nombre de dirigeants étrangers».
Certains observateurs voient en ce sommet une stratégie pour la Chine pour installer sa domination sur un continent très convoité en raison de l’immensité de ses ressources naturelles. Partagez-vous cette opinion ?
Absolument ! Je l’ai dit en réponse à votre première question. L’Afrique vit un moment historique de réaménagement de ses rapports avec le monde. Le continent a totalement changé avec l’émergence sur les plans politique et intellectuel d’une nouvelle génération sans complexe et en rien liée par des compromissions ou pactes avec des puissances étrangères comme leurs pères. Cette génération ne s‘accommode donc pas des modalités des rapports et même des coopérations que leurs pays ont avec ceux que l’on appelle « les partenaires traditionnels » notamment les puissances occidentales. L’emprise de ces dernières sur les pays africains se réduit comme peau de chagrin. La Chine qui pour le moment n’a pas de contentieux avec l’opinion publique africaine à beau jeu de saisir cette bonne vague pour renforcer sa coopération tous azimuts afin de conquérir non seulement plus de cœurs mais également et surtout plus de parts de marchés en ce qui concerne l’exploitation des ressources du Continent. Cela est de bonne guerre. L’Afrique ne peut plus continuer à mourir de soif les deux pieds dans l’eau. Pour ce faire, elle semble désormais décidée à privilégier les coopérations qui lui sont profitables en termes de développement et de satisfaction des défis auxquels sa population est confrontée. La Chine en plus de symboliser cette volonté de diversification des partenaires du continent, inspire par son propre modèle de développement qui l’a fait passer en moins de 50 ans d‘un pays sous-développé à la grande puissance économique et commerciale qu’elle est aujourd’hui au point de prétendre légitimement devenir la première puissance mondiale dans les deux décennies à venir.
Partout en Afrique, la Chine finance et réalise de nombreux projets d’infrastructures au grand dam des puissances occidentales qui parlent d’un surendettement de l’Afrique vis-à-vis de Pékin. Dans cette campagne de dénigrement, les occidentaux mettent en doute la qualité des travaux réalisés par la Chine. Ces accusations sont-elles fondées selon vous ?
C’est de bonne guerre que les occidentaux critiquent avec gourmandise les faiblesses ou les aspects négatifs de la coopération entre l’Afrique et la Chine qui a leur a ravi d’importantes parts dans l’exploitation des ressources de l’Afrique. Mais après avoir dit cela, il est évident que la question de la dette mais également et surtout de la qualité technique et de la durabilité des infrastructures construites par les entreprises chinoises doivent faire l’objet d’une attention particulière. En effet, dans ce domaine il faut peut-être remonter aux modalités de concessions de ces projets d’infrastructures, à la qualification des entreprises qui les exécutent, du suivi et de l’entretien de ces infrastructure et ouvrages.
Dans un rapport publié en septembre 2021, par le China-Africa Business Council, une structure qui formule des conseils et suggestions aux différentes agences gouvernementales en collaboration avec la fédération chinoise de l’industrie et du commerce, on peut lire que les entreprises chinoises sont confrontées à 6 principales difficultés sur le continent africain qui sont : l’absence de plans d’investissement à long terme ; un déficit de collaboration et une concurrence homogène entre les entreprises chinoises ; un manque d’expérience commerciale à l’étranger, de faibles compétences en communication interculturelle , l’absence d’institutions financières, juridiques, commerciales, fiscales et autres services professionnels pour les soutenir et l’absence d’un modèle d’investissement et de financement durable. En ce qui concerne plus spécifiquement les infrastructures construites par les entreprises chinoises sur le continent, le rapport met en cause le cadre informel dans lequel se déroulent les négociations de concessions des marchés souvent par de simples Protocoles d’Entente. Cette pratique ajoutée au manque de coordination et de mécanismes de suivi a un effet délétère sur l’exécution des travaux, principalement en ce qui concerne l’application des normes et des régulations nationales et internationales de construction.
D’ailleurs le constat des réalisations défectueuses a poussé les gouvernements africains à être plus regardant sur les modalités de concession des marchés aux entreprises chinoises et aussi des montages financiers qui les fondent. Depuis décembre 2018, le gouvernement ivoirien a mis en place un comité dont la tâche est justement d’: « assurer la supervision, la coordination et le suivi du portefeuille de projets financés ou cofinancés par la République populaire de Chine, de façon à améliorer et à accroître le taux d’absorption des financements disponibles ». Dans d’autres pays comme le Kenya ou encore le Ghana des contrats passés avec des entreprises chinoises ont été annulés par les autorités pour défaut de respect des procédures et réglementations sur les marchés publics. Je crois que tous ces aspects doivent être évoqués au plus haut niveau par les deux parties (africaine et chinoise), afin d’améliorer ce qui doit l’être.
Le 7 août 2024, un détachement de l’armée chinoise installée à Djibouti, a participé au défilé militaire organisé lors de la fête nationale. Que faut-il voir derrière ce défilé qui visiblement a été bien apprécié par les Ivoiriens ?
Vous avez raison de vous interroger sur le message subliminal que la Chine a voulu véhiculer avec cette participation remarquée au défilé militaire de la Fête nationale ivoirienne. Il faut noter que depuis la fin de la guerre du Vietnam, l’installation de la base militaire chinoise à Djibouti en 2017 marquait la première sortie de l’Armée de libération populaire (ALP) hors de la Chine. Les autorités chinoises se sont fixé comme objectif de faire de leur pays en 2049 qui correspond au 100ème anniversaire de la création de la République Populaire, la première puissance économique, diplomatique et militaire du monde. La Chine est déjà la première puissance commerciale du monde et sur le plan économique, elle est en passe de supplanter les Etats-Unis si cela n’est pas déjà le cas.
Sur le plan militaire, il faut savoir que son budget est 4 fois ceux des pays comme la France ou la Grande-Bretagne. Sa flotte maritime devrait dépasser en nombre celle des Etats-Unis dans les toutes prochaines années et sa flotte aérienne qui est actuellement troisième derrière celle de la Russie et des Etats-Unis, pourrait également très vite évoluer.
En dehors de Djibouti, pour sécuriser son initiative de la « Ceinture et la Nouvelle route de la soie », elle attend créer d’autres bases militaires dans une dizaine de pays en Afrique et en Asie notamment au Cambodge, aux Seychelles, au Kenya, en Indonésie, en Angola, au Pakistan, au Sri Lanka, en Tanzanie et aux Émirats arabes unis. Vous voyez donc que la Chine est mue par une véritable ambition mondiale pour son armée.
En Afrique cette ambition militaire est déjà en marche. Depuis 2018 la Chine exporte dans quelques 13 pays africains des armes et du matériel militaire comme des avions de combat, des drones et systèmes d’artillerie, des véhicules blindés des navires de guerre etc. Elle a également déployé dans plusieurs pays certaines de ses sociétés de sécurité privées pour justement sécuriser les projets et les infrastructures liés à la ceinture et la Nouvelle route de la soie. En 2021, l’Académie des Sciences sociales de Chine estimait que 84% des investissements du pays dans le cadre de l’Initiative Ceinture et route de la soie se trouvent dans des pays à risques moyens ou élevés. En Afrique qui est secouée par diverses situations sécuritaires précaires, il existe plus de 10.000 entreprises chinoises sur le continent et un peu plus d’un million de chinois qu’il faut sécuriser. L’Afrique représente donc un enjeu majeur et stratégique pour la Chine du fait de ses immenses richesses minières, pétrolières, gazières et agricoles mais aussi pour le vaste marché que ce contient représente pour les produits manufacturés chinois. Toute chose qui explique certainement le renforcement des capacités logistiques et de projection de sa base militaire de Djibouti.
D’ailleurs dans le cadre du FOCAC, des discussions permanentes se tiennent entre la Chine et ses partenaires africaines sur la sécurisation des ressortissants chinois et de leurs actifs sur le continent. Les ambitions militaires de la Chine sur le continent sont donc manifestes. En 2017, lors du XIXe Congrès national du Parti communiste, le président Xi Jinping a affirmé son ambition de doter son pays d’ici 2035 d’une armée moderne de classe mondiale et on peut dire en voyant la montée en puissance constante ces dernières années de cette armée que cet objectif sera atteint.
En mars 1983, le président Félix Houphouët-Boigny connu pour son aversion du communisme, a décidé de rompre avec Taiwan et a établi les relations diplomatiques avec la République populaire de Chine communiste. 41 ans après, peut-on dire qu’il a fait le bon choix ?
Aujourd’hui seuls 11 pays membres de l’Onu et le Vatican ont des relations diplomatiques avec Taiwan. Cependant le choix opéré en 1983 par le Président Felix Houphouët-Boigny relevait avant tout d’un pragmatisme politique endossé à la recherche permanente de ce qui pouvait favoriser les intérêts de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens. La décision de nouer avec la Chine au détriment de Taiwan à cette époque, lui a certainement couté beaucoup sur le plan personnel par rapport à ses convictions mais comme il le disait lui-même aucun sacrifice n’est assez pour l’intérêt supérieur de la nation.
Il faut savoir qu’en 1983, la Côte d’Ivoire était plongée depuis plus de trois ans dans une profonde crise économique qui au départ était une simple crise financière due à la baisse des prix de nos principales matières premières agricoles premières sources de devises pour le pays. Il disait aux Ivoiriens que c’était une mauvaise conjoncture qui allait vite passer, mais il s’est vite rendu compte que cela allait plutôt s’inscrire dans la durée.
L’agriculture était avec la santé et l’école, les priorités absolues de sa gouvernance et il souffrait de voir les paysans ivoiriens souffrir de la baisse significative des prix de leurs productions sur les marchés internationaux. La Chine avec son milliard d’habitants pouvait dans la logique de l’offre et de la demande qui sous-tend le fonctionnement du marché international des matières premières, permettre aux prix du café et du cacao de rebondir même si les occidentaux qui étaient alors nos principaux clients s’adonnaient à des spéculations qu’il dénonçait avec véhémence. A-t-il eu raison ? Il faudra pour répondre à cette question faire le bilan de la coopération entre la Côte d’Ivoire et la Chine en rapport justement avec les objectifs qu’il poursuivait. En 2023 par exemple, même si elle reste le premier fournisseur de la Côte d’Ivoire, la Chine arrivait en tant que client de nos produits notamment les matières premières loin derrière les Pays-Bas, la Suisse, le Mali, la Malaisie et le Vietnam. Il faut également savoir que le Président Houphouët-Boigny est mort assassiné psychologiquement, politiquement et économiquement par les fameux Plans d’ajustement structurels (qui ont détruit les trois domaines qui ont fondé sa carrière dans la politique à savoir l’Agriculture, la Santé et l’Ecole), avec les armes de combat pour une meilleure rémunération des prix de nos matières premières à la main. D’ailleurs, le premier domaine de la coopération entre la Chine et la Côte d’Ivoire a été dans le domaine agricole notamment avec les projets en matière d’autosuffisance en riz à travers les programmes d’aménagement hydraulique d’Anguédédou avant de porter sur la construction d’infrastructures majeures à travers tout le pays comme le barrage de Soubré qui est le plus grand du pays et la construction des lycées professionnels et de bâtiments publics.
Si la Chine qui est en passe de devenir la première puissance mondiale compte aujourd’hui parmi nos premiers partenaires commerciaux et économiques, cela permet de confirmer que le Président Felix Houphouët-Boigny a toujours été un visionnaire en ce qui concerne l’évolution des relations internationales et des pays.
Le 23 juillet 2024, la Chine est parvenue à un accord entre le Hamas et le Fatah, deux factions palestiniennes rivales. Comment expliquez-vous ce succès de la diplomatie chinoise là où les médiateurs traditionnels comme le Qatar et l’Egypte ont échoué ?
Les relations internationales telles qu’elles ont été structurées à la fin de la seconde guerre mondiale ont beaucoup évolué ces dernières années. Nous vivons une période historique en termes de recompositions géopolitiques et géostratégiques. Pendant très longtemps, les Etats-Unis à eux seuls incarnaient la communauté internationale au Proche et Moyen-Orient. Pendant longtemps également tout le monde croyait ou acceptait de croire que les puissances occidentales garantes de l’ordre mondial n’étaient jamais responsables de troubles sur la scène internationale. Toutes ces croyances, certitudes ou intimes convictions ne sont plus de mise aujourd’hui. Nous assistons à la naissance du nouvel ordre mondial à travers notamment une nouvelle distribution internationale et le déplacement progressif et dynamique de l’épicentre du pouvoir de fonder l’Histoire de l’Ouest vers ce qu’il est convenu d’appeler le Sud global mené justement par la Chine, l’Inde et le Brésil.
La Chine, je l’ai dit tantôt, est un acteur important de tous ces bouleversements et se sent prête à assumer dès maintenant les responsabilités afférentes à la grande puissance diplomatique qu’elle souhaite être dans un avenir proche.
Concernant spécifiquement la question palestinienne, elle est orpheline de son abandon par les dirigeants arabes qu’il faut distinguer de la rue arabe, mais aussi des Etats-Unis qui depuis Trump ont abdiqué de leur posture d’arbitre du conflit entre Israël et les Palestiniens. La Russie quant à elle, a une posture compliquée et ambivalente sur cette question. Elle reste solidaire des Palestiniens mais une grande proportion des habitants d’Israël vienne de l’ancien empire soviétique ou parlent le Russe. L’Iran, la Turquie et le Qatar sont aujourd’hui les seuls véritables soutiens politique et idéologique de la cause palestinienne. Mais leur proximité avec les Frères Musulmans, bête noire des monarchies du Golfe et de l’Egypte, ne facilite pas leurs relations avec les dirigeants de ces pays. Il faut seulement se rappeler du sort réservé en Egypte au Président Morsi pourtant démocratiquement élu et déposé une année seulement après avec l’assentiment des puissances occidentales ou encore les tracasseries diplomatiques que l’Egypte oppose à l’Iran à chaque fois que cette dernière veut faire parvenir de l’aide aux Palestiniens de Gaza et cela bien avant même la guerre actuellement en cours dans cette enclave. Cette peur-panique de l’influence que ces trois pays pourraient jouer dans la région, a été pour beaucoup dans les accords d’Abraham signés en septembre 2020 entre Israël et les principaux pays de la Ligue Arabe. L’Union européenne en tant que bloc est plus une réalité économique et politique que diplomatique sur la scène internationale.
Dès lors, par élimination, la Chine se retrouve être la seule puissance qui peut se targuer d’une certaine légitimité et poids diplomatique en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Onu, pour prendre en main ce dossier palestinien. La condition pour la bonne conduite de ce rôle que la Chine veut assumer, passait par la réconciliation préalable des frères ennemis palestiniens et c’est une réussite. La prochaine étape est une plus grande implication de la Chine dans la recherche de solutions dans le conflit entre les palestiniens et Israël, une fois que la poussière du conflit actuel à Gaza serait retombée.
Dans ce même registre, le 6 avril 2023, la Chine a réussi à réconcilier le Royaume d’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran qui ont renoué leurs relations diplomatiques. A travers ce succès diplomatique, faut-il compter avec la Chine dans un Moyen-Orient jusque-là dominé par les USA ?
Les Etats-Unis ont abdiqué de leurs responsabilités historiques de puissance tutélaire de fait au Moyen-orient avec Obama qui a laissé à la Russie le soin de régler à sa manière le conflit en Syrie et de lutter en premier contre l’Etat Islamique. Aujourd’hui avec le conflit en Ukraine qui met la Russie face à une trentaine de pays occidentaux, il est évident que les priorités des dirigeants russes se situent ailleurs.
L’Arabie Saoudite et l’Iran sont les deux principales puissances politiques et aussi et surtout idéologiques du Moyen-orient. Depuis la victoire de la Révolution iranienne en 1979, cette rivalité est alimentée, encouragée, cultivée et même surexploitée par tous les acteurs régionaux ou extérieurs qui veulent voir la fin de la République Islamique en Iran. Comme l’a dit Reagan, personne ne peut se désintéresser de l’avenir de l’Iran. Du côté de l’Arabie Saoudite, on s’est vite rendu compte que la manne pétrolière ne sera pas éternelle tout comme d’ailleurs le soutien des Etats-Unis. La réaction d’une large partie de la classe politique américaine que ce soit du côté des Démocrates mais également des Républicains, suite à l’assassinat dans le Consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi, le 2 octobre 2018, a fortement échaudé le prince héritier Mohammad Ben Salman. Ce dernier s’est en plus lancé dans la réalisation de projets pharaoniques et souhaite certainement économiser tous les fonds mis pour entretenir sa rivalité avec l’Iran dans lesdits projets.
Mais plus généralement, ces deux pays, l’Iran et l’Arabise Saoudite, militent également pour un nouvel ordre mondial et ont exprimé leur souhait de rejoindre le groupe des Brics. Pour atteindre cet objectif ils auront forcément besoin du soutien de la Chine. Cette dernière qui est d’ailleurs favorable à leur adhésion aux Brics, ne souhaite cependant pas que des Etats exportent au sein du bloc leurs rivalités qui pourraient saper les actions et même compromettre l’évolution du groupe. Cela n’a pas échappé aux Iraniens et aux Saoudiens qui n’avaient d’autre choix que d’accueillir avec faveur les bons offices de la Chine pour les réconcilier comme un préalable à leur adhésion au Brics.
L’appétit vient en mangeant dit-on. La Chine est sur tous les fronts diplomatiques pour affirmer son implication dans la résolution des conflits et autres problématiques contemporaines. C’est ainsi par exemple qu’elle a été la première puissance à nommer un nouvel Ambassadeur en Afghanistan après le retour des Talibans au pouvoir. Durant la COP28 tenue à Dubaï en décembre 2023, elle a joué un rôle décisif de facilitateur dans les négociations qui ont abouti à l’accord sur une sortie des énergies fossiles. On le voit donc, la Chine compte utiliser toutes les opportunités et tous les leviers qui s’offrent à elle pour affirmer sa stature de puissance diplomatique majeure dans la nouvelle configuration du monde et cela au détriment des occidentaux et principalement des Etats-Unis.
Nomel Essis