En politique, les erreurs se paient cash. Tidjane Thiam l’apprend à ses dépens. Si l’atmosphère est aussi lourde au Pdci, c’est bien à cause des manquements qu’il a multipliés depuis que l’ancien patron du Crédit suisse a fait irruption sur la scène politique. Ce, après 24 ans passés loin de la Côte d’Ivoire. La première grosse erreur est incontestablement le fait d’avoir laissé Cowppli-Bony, l’imposer à la tête de l’ancien parti doyen. Ce, au mépris des règles démocratiques de base. En effet, président intérimaire suite au décès de Konan Bédié, le doyen Cowppli-Bony, avait trouvé sur les subterfuges pour mettre sous l’éteignoir tous les candidats gênants. Le ‘’Capitaine courage’’, Guikahué a vu sa candidature, purement et simplement, invalidée, Koumoué Moïse s’est retiré, quand Noël Akossi Bendjo a dû se rallier. Malgré les vives protestations de l’ancien secrétaire exécutif en chef de Konan Bédié, rien n’y fit. Pour crédibiliser le vote, le comité avait pris le soin de laisser Jean Marc Yacé en course. Un adversaire poids plume que Thiam a très vite balayé avec un score sans appel (96,5 % des voix pour Thiam contre 3,2 % pour Yacé). «Je prends acte de l’élimination injuste de ma candidature à l’élection du 16 décembre 2023. Malgré cette décision arbitraire, je ne saisirai pas la justice contre le Pdci-Rda», a déclaré Maurice Kakou Guikahué, lors d’une conférence de presse, le 11 décembre 2023 à Abidjan. Sans le savoir, Thiam venait ainsi d’offrir des fronts au sein du parti.En dépit des sorties récurrentes des cadres qui fustigeaient la gestion de la succession de N’Zueba, il est resté de marbre. Thiam a privilégié l’organisation du parti, au détriment de la cohésion interne.
Une élection peu démocratique…
Peu à peu, cet environnement délétère a généré des inimitiés. Mais, le président du Pdci aurait pu désamorcer la bombe s’il avait mis en place une équipe inclusive. Là encore, il n’a pas fait mieux. Dans sa nouvelle équipe, les noms de hauts cadres qui avaient aidé le ‘’Bouddha de Daoukro’’ ont tout simplement disparu. Thierry Tanoh, Jean-Louis Billon… pour ne citer que ceux-là. Le plus illustre est sans aucun doute, Maurice Kacou Guikahué. Nommé Secrétaire exécutif du Pdci, le 16 octobre 2013, il aura passé une décennie à la tête de cette instance. Ce, après avoir occupé les fonctions de secrétaire général adjoint chargé de l’organisation et de la mobilisation. Des fonctions qui lui ont permis de maîtriser les arcanes du parti. Maurice Kacou Guikahué, en décidant de sauter le député de Gagnoa au profit de son directeur de campagne Emmou Sylvestre, novice, Tidjane Thiam venait là de faire un pari risqué. D’autant plus que son objectif principal qui est l’élection présidentielle se tient en octobre 2025. En un laps de temps, Thiam et Emmou Sylvestre, tous deux nouveaux, avaient la lourde charge de réanimer le Vieux parti. Dans le détail, il fallait s’assurer de maîtriser le terrain politique sur lequel trône l’ogre Rhdp depuis 2011, tout en gérant les dissensions internes, après les frustrations. Trop de chantiers en même temps pour une si jeune équipe. Conséquence : au fur et à mesure l’élection présidentielle approche, que Thiam fait le constat du Pdci foncièrement divisé.
Si certains ont décidé de se mettre carrément en retrait, d’autres ruminent leur colère, en attendant le moment approprié pour rendre la vie dure à Thiam et ses lieutenants, car depuis des mois, des cadres et non des moindres ne sont pas disposés à se laisser faire. L’annonce de la candidature de Jean-Louis Billon, vendredi 25 octobre 2025, à un an jour pour jour du scrutin présidentiel depuis son fief de Dabakala est une alerte à prendre très au sérieux. «J’ai toujours répondu présent à tous les grands rendez-vous de notre pays, j’ai apporté ma contribution sans faiblir. J’aime mon pays, j’aime la Côte d’Ivoire. En 2025, il en sera de même. Je serai présent. Il faudra compter sur moi. Je déclare solennellement que j’ai décidé d’être candidat à l’élection présidentielle de 2025. Je me présente pour gagner. En 2025, la Côte d’Ivoire a rendez-vous avec son destin, et j’y serai», a-t-il annoncé.
Un appel qui prend le contrepied de celui lancé la veille à Dimbokro par le président du parti, Thiam. «Je vous invite à mettre de côté vos égos. Vraiment je vous ai dit, cette élection, c’est une bataille. On ne va pas à la bataille en ordre dispersé. Ne vous tirez pas dessus au sein du Pdci», avait-il invité. En vain ! Les ambitions présidentielles de Tidjane Thiam se trouveraient donc contrariées, si Billon décidait d’aller au bout de son engagement. La poignée de militants qui restent au Pdci aura, de ce fait, à choisir entre Billon et Thiam. L’ancien parti unique verrait ses voix émiettées.
Une trop longue absence
Mais, cette situation n’est pas le fruit du hasard. Guikahué, Billon, Tanoh et bien d’autres cadres sont constamment restés en contact avec les militants et le terrain politique, contrairement au président du Pdci.
En effet, le combat pour l’accession à la magistrature suprême commence par sa capacité à convaincre non pas les seuls militants du Pdci, mais aussi les Ivoiriens de sa capacité à les diriger convenablement. Pourtant, la confiance naît de la proximité et de la connaissance réelle des problèmes des populations et les solutions à elles proposées. A moins d’un an de la présidentielle, Tidjane Thiam aurait-il le temps nécessaire de prendre connaissance à fond des réalités du pays pour en proposer des résultats convaincants ? Les difficultés auxquelles étaient confrontés les Ivoiriens entre 1995 et 1999 puis entre 2000 et 2010 et enfin entre 2011 et 2024 ne sont pas les mêmes. En toute honnêteté, de nombreux problèmes ont été résolus depuis 2011 avec la construction d’écoles, d’universités, d’hôpitaux, de routes puis un accroissement remarquable de la sécurité, de la fourniture d’eau et d’électricité, etc. Il s’agit maintenant pour Thiam de voir de près les objectifs qu’il reste à atteindre à l’horizon 2030-2035, après les efforts fournis actuellement par le parti au pouvoir. Si Thiam connaît de façon parcellaire les problèmes des Ivoiriens grâce aux seuls rapports de ses hommes sur le terrain, il est loin de toucher du doigt les réalités ivoiriennes. Il serait resté en contact avec ses compatriotes durant ces 24 ans, ne serait-ce que par des allées et venues au pays, qu’il aurait été imprégné des réalités. Cette erreur politique d’avoir coupé tout contact avec le parti et les Ivoiriens durant plus de deux décennies pourrait être un gros handicap.
Philippe Nado