Le gouvernement Amadou Gon III a créé un département ministériel dédié à la riziculture, depuis ce temps nombreux sont les Ivoiriens qui ne voient pas le bien-fondé d’un tel ministère prétextant que la question pouvait être intégrée au Ministère de l’Agriculture. À travers cette interview que nous a accordée docteur Yéo Lassina Songfolo spécialiste des questions de l’autosuffisance en riz, il nous donne le bien-fondé de ce portefeuille ministériel
Aujourd’hui la Côte d’Ivoire a décidé de prendre à bras le corps la question de l’autosuffisance en riz en créant un ministère chargé de la promotion de la riziculture. Alors, en tant que spécialiste de la question, que vous inspire une telle décision ?
Vous savez, dès l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance, les autorités ont axé le développement socio-économique du pays sur l’agriculture. Dans le cadre de la diversification des cultures, la riziculture fut placée au cœur de la politique agricole du pays. L’Etat opta pour une politique interventionniste et volontariste sur l’ensemble de la chaîne de production. En 1963, l’Etat confie la production à la Satmaci en augmentant le prix du paddy. A partir de 1970, l’Etat a mis un accent particulier sur la filière en créant la Soderiz. De nouvelles variétés de riz furent introduites et la riziculture irriguée fut vulgarisée. Près de 19,7 milliards de francs CFA ont été investis par l’Etat dans la riziculture ; ce qui a permis au pays d’être autosuffisant pendant la campagne 1975-1976. Cependant, cette prouesse a été d’une courte durée, car le pays a renoué avec les importations de riz au lendemain de la dissolution de la Soderiz en 1977. L’Etat est passé à la situation de désengagement progressif du secteur riz avec la mise en place de structures n’ayant pas pour mission principale le riz. Depuis ce temps, la Côte d’Ivoire peine à trouver une solution durable à la question du riz. Avec un changement successif des structures en charge du riz. Ainsi, les importations connurent une augmentation vertigineuse passant de 43 000 tonnes de riz en 1963 à 2 000 000 tonnes en 2018. Pourtant, la Côte d’Ivoire dispose de plusieurs atouts de développement pouvant lui permettre de produire suffisamment de riz afin de couvrir sa consommation nationale et d’exporter le surplus éventuel. Parmi ces atouts, on peut relever le potentiel important en terres cultivables en riz estimé à plus de 1 300 000 hectares ; un climat favorable avec une pluviométrie abondante et plus de 2 millions de producteurs au savoir-faire non négligeable montrant ainsi la présence de tradition de culture du riz. Il existe avec le développement urbain, un vaste marché pour la consommation du riz dans le pays. Avec tous ces atouts égrenés plus haut, nous saluons la clairvoyance du Président Alassane Ouattara et de son Premier ministre, ministre du Budget et du Portefeuille de l’Etat Amadou Gon Coulibaly en créant ce ministère. Si Houphouët Boigny a pu créer une Société d’Etat par le passé dédiée spécialement à cette denrée alimentaire stratégique, alors rien n’empêche le Président Ouattara de créer un ministère surtout que c’est un produit qui concourt à la consolidation de la paix sociale.
Au vu de ce contexte que vous venez de dépeindre, que répondez-vous aux détracteurs du président Ouattara sur la création d’un tel ministère jugé de trop ?
C’est vrai que la riziculture fait partie intégrante de l’agriculture, mais il faut comprendre la place de choix qu’occupe le riz dans notre alimentation et l’urgence pour laquelle on doit faire face à l’épineuse question du riz. Dans tous les pays développés et pour tous les gouvernements sérieux, les départements ministériels sont créés pour dresser des questions spécifiques. C’est pourquoi, dans la plupart des pays du Golfe, il existe un ministère du Pétrole. Tout comme dans les pays sahéliens, il existe des ministères en charge de l’eau. Cela montre, l’importance du produit ou l’urgence pour trouver une solution durable à la question. Vous savez en 1980, sous l’égide du président Félix Houphouët Boigny, le slogan de l’autosuffisance alimentaire fut vulgarisée. Et pour joindre l’acte à la parole un Secrétariat d’Etat à l’agriculture, chargé des cultures vivrières fut créé et dirigé par Monsieur Gilles Laubhouët-Vally. C’est pour dire que ce n’est pas un fait nouveau qu’on fasse un clin d’œil aux produits alimentaires. En plus de cela, Le riz fut, depuis longtemps considéré comme une denrée stratégique à tel point qu’une pénurie de cette céréale pouvait faire chuter tout régime politique. Alors, maîtriser la question du riz, c’est garantir la paix sociale et protéger son pouvoir. Le riz constitue donc un enjeu social et politique non négligeable, dans la mesure où il permet d’assurer la stabilité socio-politique. Enfin il faut retenir que la Côte d’Ivoire importe chaque année plus de 2 millions de tonnes de riz et dépense près 300 à 350 milliards de francs pour l’importation, une somme faramineuse qui, investie dans le pays permettra de créer la richesse et des emplois.
Pensez-vous que par la création de ce ministère, le vieil objectif d’autosuffisance alimentaire en riz, peut-il aujourd’hui être atteint ?
Avec la création de ce ministère nous sommes optimistes quant à l’atteinte de l’autosuffisance en riz à l’horizon 2025–2030. Si en 1976 avec la Soderiz, on a pu atteindre cet objectif et même exporté le surplus, il est possible de rééditer cet exploit avec ce ministère dirigé par monsieur le ministre Gaoussou Touré. Toutes les conditions sont réunies pour trouver une solution durable à l’épineuse question de l’autosuffisance en riz. Les spécialistes existent, des études portent déjà sur la question. Les facteurs climatiques sont favorables, surtout que nous avons la possibilité de pratiquer plusieurs types de riziculture selon les différentes régions. Nous notons la riziculture irriguée et de bas-fonds, la riziculture pluviale et la riziculture de montagne typique à l’ouest de notre pays. En plus de cela nous avons les facteurs institutionnels avec la mise en place de l’Aderiz (l’agence de développement de la riziculture).
Si tel est le cas, quelles propositions faites-vous pour faciliter l’atteinte de cet objectif ?
Avant de faire une proposition de solution, nous rappelons que l’autosuffisance en riz suppose que la production interne de riz suffise aux besoins de la population et lui assure un état nutritionnel adéquat. En d’autres termes, l’autosuffisance en riz consiste à produire en quantité et en qualité du riz pour satisfaire les besoins de la population sans recourir à l’importation. Nous proposons que la question soit traitée à travers l’ensemble des chaines de valeurs c’est-à-dire au niveau de la production, de la transformation et de la commercialisation du riz made in Côte d’Ivoire). Non sans oublier un prix incitateur aux paysans producteurs de paddy avec la mise à disposition des facteurs de productions à travers un contrat avec un usinier avec l’appui financier d’une banque. Il faut également la mise en place d’un fonds de garantie auprès des institutions financières pour faciliter l’accès au financement des acteurs de la filière riz.
Réalisé par Narcisse Touei Bi