Des commentateurs qui, à force d’écumer les plateaux, finissent par croire que leur verbe vaut verdict, que leur opinion fait office d’ordonnance, et que leur expertise autoproclamée sur l’Afrique les autorise à verser, sans vergogne, des flux de paroles moralisatrices.
Antoine Glaser, fidèle porte-voix de réaction paternaliste et missionnaire de l’opinion bien ancré dans les studios parisiens, s’est une nouvelle fois illustré le 24 avril 2025 sur France 24.
Dans un élan de soutien à Tidjane Thiam, il a pris fait et cause contre une décision de justice ivoirienne, opposant la figure d’un homme à la légitimité d’un État, comme si la République devait s’effacer devant le destin supposé d’un seul homme contre la règle voulue par le peuple.
Il était en mission sur le plateau, non pour éclairer, mais pour obscurcir, confondre et travestir les faits, en s’érigeant en défenseur zélé d’un homme et en contempteur maladroit de la République de Côte d’Ivoire .
La loi française est vertu, mais la loi ivoirienne est ivoiritaire
Antoine Glaser, dans son homélie cathodique, oublie opportunément que la France. patrie des droits de l’homme n’a pas hésité à disqualifier des candidats, y compris célèbres, pour non-conformité à des règles électorales strictes.
Marine Le Pen, par exemple, n’a pas échappé aux rigueurs du droit républicain.
En 2002, une première fois, elle dut batailler contre des procédures engagées à son encontre pour une déclaration de patrimoine jugée incomplète, une omission qui faillit lui coûter son éligibilité.
Et si cette affaire n’aboutit pas immédiatement à une exclusion, d’autres la rattrapèrent. Elle fut par la suite condamnée à cinq ans d’inéligibilité dans le cadre d’affaires liées à des détournements de fonds européens en 2025.
La République française n’a pas attendu un bulletin de vote pour trancher, elle a laissé le droit faire son œuvre, sans égard pour ses ambitions.
Le Conseil Constitutionnel français, grand censeur des ambitions contrariées, n’épargne personne, pas même ceux qui agitent les foules.
Mais voilà que la Côte d’Ivoire, lorsqu’elle applique ses propres lois, celles votées par ses citoyens, inspirées de son histoire et fondées sur ses exigences constitutionnelles, se voit taxée de régression démocratique comme si la l’égalité devant la loi s’arrêterait aux frontières de l’Élysée.
Antoine Glaser ou l’avocat sentimental d’un Tidjane Thiam mythifié
Antoine Glaser, journaliste pourtant averti, semble perdre toute rigueur dès qu’il s’agit de caresser dans le sens du brushing le très calculé Tidjane Thiam.
Il le présente comme un héros contrarié, un ingénieur lumineux, un homme empêché, omettant volontairement les détails moins glorieux de son parcours.
Évidemment , ce major de Polytechnique, bijou du système méritocratique français, n’a jamais trouvé de poste de prestige en France.
L’Angleterre lui a ouvert ses bras, la Suisse, ses coffres. Mais, et la France dans tout ça ? Rien.
Par rigueur intellectuelle, n’insinuons pas que c’est du racisme. Mais alors… de quoi s’agit-il ?
Si la République française ne savait que faire de ce produit de ses propres écoles d’élite , peut-elle exiger de la Côte d’Ivoire qu’elle le sacre, à contre-temps, prince républicain par hérédité ?
Petit-fils d’Houphouët, mais hors-la-loi. C’est la France qui a rendu Tidjane apatride.
Être le descendant d’Houphouët-Boigny n’octroie ni immunité, ni investiture divine.
L’arbre généalogique ne remplace pas le code électoral .
L’ivoirien par filiation se doit d’être ivoirien par statut, et c’est là que le bât blesse. Car la vérité, froide, juridique, irrévocable, est que Tidjane Thiam a perdu sa nationalité ivoirienne en 1987, bien avant d’avoir été libéré de la nationalité française.
Or selon la loi ivoirienne, notamment en son article 48, cette antériorité est fondamentale, il s’agit d’une citoyenneté perdue avant la déchéance d’une autre, reste perdue.
Ce n’est donc pas la Côte d’Ivoire qui a fait de Tidjane Thiam un apatride, c’est la complaisance des autorités administratives françaises dont Antoine Glaser, au passage, se garde bien de parler. Mais pourquoi pointer la France quand on peut vilipender Abidjan ?
De l’ivoirité fantasmée au djihadisme intellectuel
Il est presque comique d’entendre le mot ivoirité jaillir à chaque fois qu’une décision de justice ne plaît pas à certains analystes parisiens. Mais que dire lorsque cette décision ne fait qu’appliquer une loi connue de tous, notamment de celui qu’elle affecte ?
Comment qualifier l’inéligibilité de Karim Wade au Sénégal, de Tioté Richard Souhaluo en Côte d’Ivoire pour les mêmes causes ?
Le comble est atteint quand Antoine Glaser, au mépris de toute honnêteté intellectuelle, tente de faire croire que Tidjane Thiam a été déchu de ses droits alors qu’en 2022, au moment même de son inscription sur la liste électorale , il n’était déjà plus légalement ivoirien.
Où est l’injustice ? Où est la surprise ? Où est la République en danger ?
Il ne reste alors plus qu’un seul ressort : le complot. Le mythe du candidat empêché, l’ennemi intérieur, la démocratie sacrifiée. Antoine Glaser, dans une envolée aux accents djihadistes intellectuels, recrute, à mots feutrés, les sympathisants d’un combat contre la souveraineté juridique d’un État africain.
L’expert désarmé face à la loi
Qu’il est difficile, pour Antoine Glaser , d’admettre que l’Afrique a ses lois, ses juges, ses procédures, et qu’elle n’a pas besoin de maîtres d’école médiatiques pour lui faire la leçon. Antoine Glaser, dans cette sortie malheureuse, s’est davantage positionné en militant qu’en journaliste. Il aurait pu commenter, mais il a préféré militer.
Mais la vérité, n’en déplaise aux nostalgiques attendris de la Françafrique, c’est que la loi ne reconnaît ni lignage ni patronyme illustre. Elle ne distingue que les citoyens ou ceux qui ne le sont pas.
En l’occurrence, il n’y eut ni injustice ni machination, simplement l’application rigoureuse d’un article 48 que certains commentateurs auraient gagné à consulter avant de dégainer leur indignation téléguidée.
Kalilou Coulibaly Doctorant EDBA, Ingénieur.