Le marché noir des devises se rapporte au marché illégal. Pour Guillaume Liby, économiste et banquier, cette pratique, qui se développe en dehors des canaux légaux d’opérations bancaires, n’est pas sans conséquence pour l’économie nationale.
Le change manuel de devises se pratique beaucoup sur des marchés noirs. Selon vous, qu’est-ce qui explique la présence du marché noir des devises dans nos pays ?
La forte part de l’économie informelle et les restrictions sur le change expliquent la forte présence du marché noir des devises dans nos pays. Ces marchés naissent des dysfonctionnements de l’économie, notamment les économies dotées de secteurs marchands informels avec une forte propension pour la liquidité, donc peu bancarisées. On peut citer aussi les mesures de contrôle de change et l’impossibilité de détenir des comptes en devises. Le secteur informel en Côte d’Ivoire est estimé à entre 30% et 40% du PIB.
Quelles sont les conséquences de cette pratique sur l’économie nationale?
Bien évidemment, cela impacte négativement l’économie car il s’agit là de nombreuses opérations qui échappent au circuit économique formel. Par conséquent, cela nourrit une économie de contrebande. Ces opérations ne sont pas taxées, ce qui entraîne de sérieux manque à gagner pour les Etats et produisent peu d’emplois rémunérateurs.
Et comment pourrait-on lutter contre celle-ci ?
L’éradication de ce marché va de pair avec l’élimination du secteur informel et sa migration vers le formel. Tant que le secteur informel sera aussi important avec des nombreux agents économiques non bancarisés, le marché noir des devises aura des belles heures devant elle.
Selon vous, où ces acteurs du marché noir pourraient-ils s’approvisionner en devises ?
Comme énoncé plus haut, c’est une économie de contrebande qui trouve ses sources d’approvisionnement dans ce type de d’opération. La sous-facturation des exportations, par exemple, c’est dire que l’exportateur et son acheteur s’entendent pour minorer la facture officielle et reverser le reliquat sous forme liquide. Ce reliquat est recyclé dans le circuit du change sur le marché noir. Le transport illicite des devises et les dessous-de-table versés en devises sont aussi des sources d’approvisionnement du marché parallèle des devises.
Quelles sont les conditions selon la loi ivoirienne pour exercer légalement l’activité de change ?
Le change manuel des devises n’est pas une activité illégale. Ce sont les opérations de devises en dehors des banques et des bureaux de change officiellement agréés qui sont illégales. Pour exercer légalement ce métier, il faut un agrément décerné par le ministère de l’Économie et des Finances. La législation prévoit qu’au-delà de 500 000 F CFA, il faut obtenir une autorisation de change décernée par le ministère de l’Économie et des finances. La requête pour cette autorisation est faite par la banque de l’opérateur économique sur la base des documents commerciaux de son client.
Comment les banques et autres établissements financiers pourraient-ils faire face à cette concurrence jugée déloyale ?
Pour éliminer ce problème, il faut encourager la plus forte inclusion financière possible. C’est un travail qui incombe à la fois aux banques commerciales, à la Banque centrale et aux gouvernements. Les banques doivent faire l’effort de construction de réseau de distribution multi canal le plus dense possible. L’adressage des rues et la systématisation de la localisation des citoyens permettraient aussi aux banques d’ouvrir leurs portes à de nombreuses personnes et opérateurs économiques, car cela réduirait une grande partie du risque de contrepartie. Des mesures d’ordre pratique comme la hausse des seuils d’achat de devises devraient être encouragées, l’ouverture des comptes en devises serait aussi une piste à explorer. Naturellement les opérations de contrebande comme, la sous facturation des exportations, les pots-de-vin et autres transferts et transports illégaux des devises doivent être combattues avec plus de vigueur.
Réalisé par Isaac Krouman