La Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples a rendu un Arrêt ce jeudi 22 septembre 2022, dans l’affaire Kouassi Kouame Patrice et Baba Sylla c. République de Côte d’Ivoire, dans lequel il blanchit le Conseil constitutionnel.
En effet, le 23 avril 2021, Kouassi Kouamé Patrice et Baba Sylla (les Requérants) ont saisi la Cour africaine des droits de l’homme et de peuples (la Cour) d’une Requête introductive d’instance dirigée contre la République de Côte d’Ivoire (Etat défendeur).
Dans leur requête, les Requérants ont allégué la violation des droits suivants : Le droit à une juridiction indépendante et impartiale, protégé par l’article 7(1)(d) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (la Charte) et 14(1) du Pacte International relatif aux droits civils et politiques (le PIDCP) ; le droit d’exercer librement des activités politiques y compris le droit de vote et le droit à la sincérité du scrutin garantis par l’article 13 de la Charte, 25(2) du PIDCP, 2(3), 3(1)(4)(7) et 4 de la Charte africaine des élections, de la Démocratie et de la gouvernance (la CADEG) ainsi que par les articles 6 et 19(2) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance (le Protocole de la CEDEAO sur la Démocratie). Les Requérants ont aussi allégué la violation de leur droit à la sécurité de leur personne, protégé par l’article 6 de la Charte.
Au titre des réparations, les Requérants ont demandé à la Cour de réformer les résultats dans leur circonscription électorale, d’invalider soixante-seize (76) procès-verbaux des votes et les proclamer vainqueurs ou ordonner à l’État défendeur de reprendre l’élection des députés dans ladite circonscription électorale.
Ils ont aussi demandé à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de leur payer cent cinquante millions (150.000.000) de francs CFA à titre d’indemnisation pour les frais de campagnes et de procédure.
Les Requérants sont deux candidats à l’élection législative du 6 mars 2021 dans la circonscription électorale n°053, Yamoussoukro Commune 2.
A l’issue de la proclamation des résultats provisoires par la Commission Electorale Indépendante (CEI), les Requérants, perdants de cette élection, ont saisi le Conseil constitutionnel d’un recours en annulation desdits résultats provisoires pour irrégularités du vote et violation des lois électorales.
Le 22 mars 2021, le Conseil constitutionnel a rejeté le recours des Requérants.
Ceux-ci ont estimé que le rejet de leur recours résulte du fait que le Conseil constitutionnel n’est ni indépendant ni impartial.
Pour les Requérants, au lieu de répondre aux questions précises et constater les multiples violations des lois électorales soulevées dans leur plainte, le Conseil constitutionnel s’est contenté d’une réponse vague et non motivée.
L’Etat défendeur a contesté la compétence personnelle de la Cour. Il a soutenu que la date d’effet du retrait de sa déclaration étant fixée au 30 avril 2021, il n’était plus défendeur après cette date au point de se voir notifier une requête le 12 mai 2021.
Les Requérants ont conclu au rejet de l’exception en faisant valoir que leur requête a été introduite devant la Cour le 23 avril 2021 et donc avant la date d’effet du retrait fixée au 30 avril 2021.
La Cour a rejeté cette exception au motif que la date butoir du 30 avril 2021 est celle à partir de laquelle elle ne reçoit plus de requête contre l’Etat défendeur et qu’aussi longtemps qu’une requête sera déposée devant elle avant cette date, sa compétence personnelle sera établie.
L’Etat défendeur a soulevé trois exceptions d’irrecevabilité, en l’occurrence le défaut de sa qualité de défendeur, l’utilisation de termes outrageants et injurieux et le non épuisement des recours internes.
Sur le défaut de qualité, l’État défendeur a soutenu qu’il n’est nullement concerné par la présente affaire et qu’il ne peut répondre d’un différend qui a opposé les Requérants à la CEI et/ou au Conseil constitutionnel.
Les Requérants ont soutenu que l’Etat défendeur a qualité pour répondre à leur requête compte tenu du fait qu’il est parti aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme cités dans le cas d’espèce.
La Cour a rejeté cette exception en rappelant sa jurisprudence antérieure selon laquelle la responsabilité exclusive des Etats devant la Cour découle du fait que ce sont les Etats qui ont ratifié les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et sont parties au Protocole portant création de la Cour.
Sur les deux autres exceptions d’irrecevabilité, l’Etat défendeur a soutenu d’une part, que le fait pour les Requérants d’affirmer que les membres du Conseil constitutionnel sont de fervents militants du parti politique RHDP et entièrement soumis au président de la République issu dudit parti constitue un outrage et une injure à l’égard de l’Etat défendeur et de ses institutions.
D’autre part, l’Etat défendeur a soutenu que les Requérants n’ont initié aucune procédure interne contre les griefs portés devant la Cour africaine et a demandé à celle-ci de déclarer la requête irrecevable pour non épuisement des recours internes.
Les Requérants ont réfuté l’idée d’un discrédit porté sur les membres du Conseil constitutionnel, car pour eux les expressions utilisées pour les décrire relèvent d’une opinion largement répandue.
Quant à la question de l’épuisement des recours internes, ils ont affirmé qu’ayant saisi le Conseil constitutionnel de la question de fraude et d’annulation du scrutin dans leur circonscription électorale, ils n’ont plus de recours à épuiser avant de saisir la Cour africaine.
La Cour a rejeté l’exception tirée de l’utilisation de termes outrageants estimant que les propos des Requérants sont une description de la révérence que les membres du Conseil constitutionnel ont envers certaines autorités du pays ou encore une façon d’indiquer la sensibilité politique de ceux-ci. Ces propos ne peuvent pas être assimilés à des injures.
Quant à la question de savoir si les Requérants ont épuisé les recours internes ou non, la Cour a considéré qu’en l’espèce le Conseil constitutionnel est le seul recours interne que les Requérants étaient tenus d’exercer. Ainsi, le Conseil constitutionnel ayant été saisi de l’affaire, les Requérants ont épuisé les recours internes. La Cour a alors rejeté toutes ces exceptions soulevées et a déclaré la Requête recevable.
Les Requérants ont soulevé quatre (4) allégations de violation de leurs droits : le droit à une juridiction indépendante et impartiale, le droit d’exercer librement des activités politiques y compris le droit de vote, le droit à la sincérité du scrutin et le droit à la sécurité de leur personne.
Sur la violation du droit à une juridiction indépendante et impartiale, les Requérants ont soutenu que la nomination des membres du Conseil constitutionnel par le président de la République et par le président de l’Assemblée nationale, n’assure pas l’indépendance du Conseil constitutionnel.
Ils ont également soutenu que certains membres du Conseil constitutionnel se sont réclamés de façon notoire et public appartenir à la sensibilité politique du président de la République et du président de l’Assemblée nationale. Ils ont ajouté que cette absence d’indépendance est doublée d’une impartialité des conseillers, lesquels au lieu de motiver leur décision se sont contenté de faire des affirmations laconiques et péremptoires.
L’Etat défendeur évoque les dispositions constitutionnelles et soutient que le Conseil constitutionnel est indépendant et impartial.
La Cour a estimé que l’autonomie administrative et financière dont jouit le Conseil constitutionnel, l’inamovibilité de ses membres et le caractère non renouvelable de leur mandat sont autant d’éléments qui confèrent et renforcent l’indépendance institutionnelle du Conseil constitutionnel ainsi que l’indépendance individuelle de ses membres.
Elle a aussi estimé que quand bien même les membres du Conseil constitutionnel seraient nommés par le président de la République et le président de l’Assemblée nationale, cette nomination n’établit aucun lien de subordination des Conseillers à ces autorités de nomination.
Ainsi, à défaut d’établir les preuves de l’affiliation des membres du Conseil constitutionnel au parti RHDP ou une ingérence directe ou indirecte des autres pouvoirs dans le fonctionnement du Conseil constitutionnel, la Cour a conclu que celui-ci était indépendant.
La Cour a en outre estimé que le Conseil constitutionnel avait motivé sa décision et qu’il n’y a pas de violation des droits des Requérants garantis par les articles 7 de la Charte, 10 de la DUDH et 14 du PIDCP.
Sur la violation du droit d’exercer librement des activités politiques ou de voter, les Requérants ont fait valoir d’une part, qu’ils se sont vus confisquer le duplicata de la liste électorale biométrique d’émargement mis à leur disposition et d’autre part, que leurs délégués ont été exclus des bureaux de vote.
L’Etat défendeur n’a pas répondu à ces allégations.
La Cour a estimé que tout candidat ou candidat tête de liste avait le droit de contrôler toutes les opérations de vote, de dépouillement des bulletins et de décompte des voix et a conclu que la confiscation des duplicatas ainsi que le renvoi des représentants des Requérants des bureaux de vote constituent des entraves à l’exercice de leur droit au suffrage et à une participation effective au processus électoral garanti à l’article 13(1) de la Charte et aux articles 3 et 4 de la « la CADEG ».
Sur la violation du droit des Requérants à la sincérité du scrutin, ceux-ci ont soutenu d’une part, que les résultats transmis par la Commission électorale indépendante locale n’étaient pas authentiques du fait du manque de sticker sur les procès-verbaux et d’autre part, que le décompte des votes était inexact. L’Etat défendeur n’a pas répondu à cette allégation.
Concernant l’absence de sticker sur les procès-verbaux, la Cour a estimé que cette absence a enlevé à ceux-ci leur authenticité et a violé la règlementation en vigueur.
Sur la question des irrégularités de fond qui affecteraient la sincérité du scrutin, la Cour a estimé que l’interdiction faite aux agents électoraux de voter dans les bureaux où ils sont d’astreinte n’est pas absolue et en l’espèce les Requérants n’ont pas apporté la preuve que les agents qui y ont voté n’étaient pas inscrits sur la liste des électeurs des bureaux de vote concernés.
La Cour a également rejeté les allégations des Requérants selon lesquelles ils ont comptabilisé un écart de 880 voix entre le nombre de bulletin mis à la disposition des bureaux de vote et ceux comptés dans l’urne. Sur ce point, la Cour a fait observer que le décompte des voix a tenu compte de ce qui devrait normalement être exclu du comptage des voix avant la proclamation des résultats définitifs.
La Cour a enfin estimé que si l’absence de sticker, en la forme, viole la règlementation, elle n’entache pas la sincérité du scrutin dès lors qu’il n’est pas établi que le nombre de voix mentionnées dans ces procès-verbaux ne correspondaient pas aux voix réellement exprimées.
Sur la violation du droit à la sécurité de leur personne, les Requérants ont fait valoir que pendant la période de campagne et au jour du scrutin, ils ont adressé au préfet de police et au commandant de la gendarmerie, plusieurs demandes aux fins d’assurer la protection de leur quartier général, de leur domicile et pour leur personne, mais que ceux-ci n’ont donné aucune suite à leur demande. L’Etat défendeur n’a pas répondu à cette allégation. La Cour a estimé que refuser aux Requérants la protection qu’ils étaient en droit d’attendre viole leur droit à la sécurité garanti à l’article 6 de la Charte.
Sur les réparations pécuniaires, la Cour a rejeté la demande de paiement de cent- cinquante millions (150.000.000) de francs CFA à titre d’indemnisation pour les frais de campagnes et de procédure, estimant que la demande des Requérants n’est soutenue par aucune pièce justificative. Par contre, la Cour a accordé aux Requérants le remboursement d’un million quatre cent quatre-vingt-cinq mille (1.485.000) francs CFA représentant le montant qu’ils ont payé pour l’obtention du duplicata de la liste électorale biométrique. La Cour a également accordé la somme de deux millions (2.000.000) de francs CFA aux Requérants pour réparation du préjudice moral qu’ils ont subi.
Sur les réparations non-pécuniaires, la Cour a rejeté la demande des Requérants visant à annuler les procès-verbaux dont les enveloppes ne portaient pas de sticker ainsi que le vote des agents électoraux et les déclarer vainqueurs de l’élection législative du 6 mars 2021 dans la circonscription électorale n°053, Yamoussoukro Commune 2.
Enfin, la Cour décidé que chaque partie supporte ses frais de procédure.