Le public les attendait au virage de cette 16e édition de ‘’Bonjour 2023’’ pour tester leur constance et leur créativité humoristique. Les spectateurs et les téléspectateurs étaient donc branchés pour voir et savoir ce que, Gbi DE Fer le directeur artistique et ses humoristes de bonjour 2023, allaient offrir dans cette majestueuse salle du palais de la culture ce 30 décembre 2022.
Critiquées sur leurs rendements depuis un certain temps, les nouvelles et anciennes générations d’humoristes et de comédiens ivoiriens étaient sur scène pour tenter de relever ce défi. Suivez-nous dans ce regard critique.
Le but est d’évaluer l’ensemble des prestations humoristiques de ce soir tout en posant un diagnostic qui s’offrira comme un miroir critique utile à l’amélioration personnelle des acteurs. Elle se voudra également utile pour le public en termes d’éducation artistique.
Offrir un cocktail de fou rire et de styles comiques, à des Abidjanais habitués désormais au rire à chaque début d’année, était l’ambition. Un niveau de prestation très élevé était donc attendu vu les talents et les noms à l’affiche. Après ce Bonjour 2023, il est clair que certains humoristes ivoiriens doivent relever le niveau de leur prestation. Et ce soir, nous avons eu droit à beaucoup d’insuffisances. Elles ont été traduites par ce mur de glace entre les comédiens-humoristes et le public nombreux venu de tout le district d’Abidjan. Plus de vingt (20) artistes humoristes se sont succédé sur le podium. Comme les éditions précédentes, cette 16è était placée sous le parrainage du ministre-gouverneur du district autonome d’Abidjan, Robert Beugré Mambé qui avait à ses côtés la ministre d’Etat, ministre des Affaires Étrangères et de la Diaspora, Kandia Camara, et d’autres invités spéciaux venus de la France.
Avant de prononcer un certain regard critique, nous voulons d’abord exprimer nos félicitations au directeur artistique Gbi de fer, aux comédiens et aux humoristes pour leur prestation assez acceptable. Comme nous le disons, tout n’était pas assez insuffisant. La parodie a été beaucoup utilisée comme d’habitude. La plupart des humoristes ont chacun tenté d’imiter le style d’une personne. Très souvent, ce fut l’imitation de la voix du président de la République ou autres comme avec Papitou. Ce travail d’imitation est encourageant. Il faut savoir que l’humour est une forme d’esprit qui se rattache à un caractère : celui du comique, du ridicule et de l’absurde. C’est donc la raison pour laquelle nos humoristes doivent faire davantage d’efforts et de recherches pour mieux comprendre et pratiquer cet art. Le spectacle d’humour doit allier un discours, un texte ou un costume avec des comiques pour générer du rire. Dans l’ensemble, les humoristes de Gbi de fer engrangent des points importants car il y a de la matière. Mais la formation reste toujours une exigence absolue. Il faut désormais savoir que les spectateurs veulent voir du comique, du ridicule, de l’absurde pour que le rire fou soit dégagé. Le contraire produit des rires jaunes ou en coin de la bouche. A Bonjour 2023, nous avons eu des monologues, du stand-up, parfois un semblant de quiproquo et surtout des sketchs. La satire était de belle facture, en termes de sujets intéressants, mais qui, par moment, étaient mal rendus vis-à-vis de l’actualité. Et quand le rire ne vient pas, le vide est comblé par des applaudissements.
Comme nous le disions, le talent y est, mais il faut en donner plus, car la créativité s’exerce et s’entretient. La formation doit continuer. Le moins qu’on puisse dire, c’est que tout n’était pas aussi insuffisant. Bakary, Zongo et Tao, Chuken Pat, Jimmy Danger, Le Magnific, l’ambassadeur Agalawal, Ramatoulaye, Joël, EnK2K et Papitou, comme d’habitude, ont produit du spectacle. Mais nous estimons qu’ils peuvent être encore plus créatifs pour plus de rendement en 2024. Les exigences seront encore plus fortes. Les spectateurs et les téléspectateurs seront encore plus branchés pour voir et savoir ce que la RTI et ses humoristes offriront.
L’éthique en humour
Nous nous posons encore la question de savoir si les humoristes et comédiens de ce soir n’étaient pas conditionnés par un ou des sujets spécifiques (Une sorte de commande selon le message à faire passer). Cela dit, certains humoristes et comédiens étaient insuffisants ou simplement mal inspirés. Les Doyens Bamba Bakari et Adama Dahico ont, comme à leur habitude, abordé des questions politiques. Bamba a essayé de raconter les origines de la guerre entre l’Ukraine et la Russie de Poutine. Il a également planché sur les mauvaises habitudes en matière d’éducation civique. Quant à Adama Dahico, avec des chiffres, son nouveau créneau, il a donné les raisons de son absence à la course pour le fauteuil présidentiel en octobre 2020. Étaient-ils comiques ? L’humour anglais vit de mise en conscience et de moralité. C’est bien pourquoi les humoristes de cette sphère maitrisent mieux l’éthique de l’art humoristique car les limites sont claires. Contrairement à cette forme d’humour, le public ivoirien et africain aime celui plus comique. C’est pourquoi les humoristes doivent savoir combler la demande des consommateurs. Ils doivent apprendre à être en actualité avec les évènements et les faits. Sinon, ils se verront imposer toujours des thèmes qui malheureusement inhibent la création. L’art vit de liberté encadrée par le beau et la technique. Revenons sur l’éthique en humour et surtout quand les sujets sont aussi sensibles comme la politique. Quand il s’agit d’ironie dans des sujets sensibles où l’affection et les émotions sont rattachées à des appartenances régionales, ethniques, politiques ou autres, il faut faire très attention. Car l’éthique en humour dresse une limite des champs de rire. Et malheureusement, ce qui est censé faire rire devient choquant. Certains humoristes utilisent beaucoup le sarcasme sans le savoir. Ils critiquent ou blessent à visages découverts pensant se cacher derrière le rire. Mais c’est tellement évident quand certains le font qu’on a l’impression que les verbes sont visés. Alors, il arrive que le public n’y adhère pas à cause de l’enfreint de l’éthique qui est très souvent méconnu par les humoristes eux-mêmes. A cela s’ajoute la culture humoristique des Abidjanais qui est très sélective. Ainsi, au fil des années, plusieurs humoristes ont été critiqués pour leur manque de délicatesse ou de nuance en traitant de sujets sensibles. Parlant de la politique, Ramatoulaye aurait appris la leçon sur sa blague sur le président Gbagbo. Quoique l’objectif fût de détendre l’atmosphère par le rire, la sensibilité des partisans du président Gbagbo a été touchée de façon offensante. Les réactions, nous les avons tous observées. Les humoristes doivent se former et prendre au sérieux cette fonction qui dépasse les limites qu’ils se donnent.
La question de l’éthique est très importante. Certains humoristes se sont même retirés de la scène pour toujours à cause de cette question d’éthique et d’engagement. Alors qu’ils croyaient que faire rire le public de certains stéréotypes allait aider à une prise de conscience, ils se sont plutôt rendu compte qu’ils heurtent les causes mêmes qu’ils souhaitaient défendre. L’humour peut donc blesser et diviser comme il peut rassembler et briser des tabous. Venir faire de l’humour anglais qui vise à conscientiser peut paraître incompris par le public. Adama Dahico utilise beaucoup de comique de mots qui lui permettent de déclencher la curiosité du public…c’est bien de démontrer mais l’objectif doit rester le rire et non l’étonnement. Le maitre du ‘’Dromican’’ doit revenir à son style premier car le public adhère à cette forme d’humour.
La réaction du public et la mise en scène
Dans ce « Bonjour 2023 », le rire au sanglot était en dent de scie entre une et deux prestations. On aurait voulu voir des fous rires. Les rires étaient circonscrits. Comparer le ‘’Bonjour 2006’’ ou Agalawa sans le vouloir donnait « des toux » et des mal de têtes aux publics. Cette 16e édition était pour la plupart cautionné par des rires souvent jaunes ou dans le coin de la bouche. Nous le disons pour simplement montrer combien de fois le mur de glace y était constant. Le public a bien besoin de stand-up pour s’évader dans le rire. Des histoires folles et banales enchainées, voici le besoin du public de « Bonjour ». Le public a besoin de ce genre de monologue comique où (sur le modèle des comiques américains), les monologuistes enfilent des blagues plutôt que de développer des « histoires ». Ce n’est pas toujours qu’on a besoin d’histoires à développer. Il faut que les humoristes ivoiriens essayent de mieux dompter l’ironie. L’Ironie est la base de l’art humoristique. Or, c’est quoi l’ironie ? Simplement la mise en expression du contraire de ce qu’on pense. Le premier exercice des humoristes serait de développer cela sur les nombreux sujets de la société. Pour ce « Bonjour 2023 », certains recrus de Gbi de fer ont été bien appréciés pour leurs premiers tests. « Jenny La Piqûre », « Manassé 1er », « Papa d’Abou », Clentelex, ont été bons. Le Magnific, l’ambassadeur Agalawal, Ramatoulaye, Joël, EnK2K, Chuken Pat etc eux constituent désormais les piliers de cet événement. C’est pourquoi, ils gagneraient à faire mieux en faisant beaucoup de recherche et en misant sur la créativité et l’innovation.
Mise en scène et le spectacle
Le spectacle est un tout. Décor, costumes, son et lumière. Les 4 éléments de la dimension esthétique du spectacle ont un rôle déterminant dans la réussite d’une prestation. Laisser le soin aux humoristes de choisir un décor symbolique par un écran par exemple peut donner plus de qualité à sa prestation. Ce que nous avons observé et constaté est que tout le spectacle était circonscrit dans un plein feu et un décor unique qui n’était pas adapté à toutes les présentations. Le directeur Gbi de fer doit prochainement être plus créatif et plus direct. Il faut savoir que le spectacle répond à des critères et ces critères il faut bien les connaitre. Nous allons parler de négligence sur des détails qui devraient être très importants. Le public paie pour venir voir un spectacle complet produit par un humoriste. Cela doit être très clair. « Bonjour 2023 » devrait être un tout.
L’exception mais…
Les humoristes doivent faire l’effort de se mettre à jour en maximisant « les comiques » qu’ils utilisent. Ils devraient utiliser beaucoup de comique de geste (gifles, chutes, mimiques, coups, accessoires, costumes, etc.) car l’art humoristique, ce n’est pas seulement le texte. Et quand c’est le texte, il faut savoir jouer avec les mots, avec des accents ou encore des patois ou rimes. L’humour, c’est aussi ce comique de circonstance qui en réalité est très souvent absent dans l’humour en Côte d’Ivoire. L’humour en Côte d’Ivoire doit prendre tout son sens avec des comiques de caractère comme le fait très souvent Boukari avec des personnages stupides, jaloux ou paresseux qu’il crée. Cela est créatif et donne de la constance. Il y a un certain nombre d’humoristes qui arrivent à faire l’exception. Deperpignan, réussi à tirer son épingle du jeu en diversifiant un jeu assez marrant circonscrit dans la peau du pasteur. Son expression corporelle et sa voix « disent » un texte harmonieux. Avec lui, vous avez un costume. Son jeu d’appel et réponse avec le public est si chaleureux qu’il finit par imposer sa marque. Les comiques de mots souvent soutenus par son terroir qui est le baoulé offre une certaine couleur, une certaine originalité dans son jeu. Il réussit à matérialiser souvent une certaine improvisation qu’il sent. Et cela tombe à pic… « C’est fort ». Dans une expression faciale, il réussit à captiver l’attention du public. Sa communication avec le public est si naturelle qu’elle brise facilement le mur de glace. Avec de Deperpinan ou encore koukari quand ils font du stand up, vous y retrouver très clairement un texte logique et une idée qui arrive à tourner en dérision pour emballer le public.
La nécessité de formation des humoristes
La formation des humoristes est le véritable garant de la constance de l’industrie et l’économie de l’humour aujourd’hui en Côte d’Ivoire mais également dans la sous-région. S’ils veulent continuer à tenir les premiers rangs dans la sous-région, les humoristes ivoiriens doivent vraiment se former. Des pays tels que le Togo, les deux Congo ou le Gabon sont des figures montantes de l’humour. Ce que nous avons vu à « Bonjour 2023 » est nettement l’image d’une performance moins pertinente que les années précédentes. Le public en aura assez si les blagues, les costumes et les sujets sont les mêmes. Nous comprenons qu’il faut se faire une identité, mais quand cela devient lassant, alors la routine vient tuer l’originalité. Les humoristes doivent faire vivre leur imaginaire. La formation est très importante. Le cas de Clentelex est le résultat d’une volonté de formation. 2024 est déjà engagé et les spectateurs et les téléspectateurs seront encore plus branchés pour voir et savoir ce que la RTI et ses humoristes 2024 offriront.
Christian Guehi
Critique d’art et journaliste culturel
Spécialiste des questions de promotion des arts et de la culture par les médias
guehichristianh@gmail.com