Le rapport réalisé par l’Ong « Voice Network » intitulé « Baromètre du cacao » dont l’Expression a reçu copie, livre un diagnostic sévère des maux qui minent cette filière.
Ci-dessous de larges extraits de ce rapport.
Des défis plus importants que jamais
Une pauvreté endémique des cultivateurs et des cultivatrices, une déforestation massive, des violations des droits humains et des travailleurs, notamment le travail des enfants, et une dépendance excessive aux pesticides sont autant de défis que le secteur du cacao doit affronter. Ces défis sont plus importants que jamais. Deux décennies d’interventions et l’instauration d’un dialogue n’ont pas permis de s’attaquer à ces problèmes dans toute leur ampleur ni de résoudre la question fondamentale de la pauvreté des cultivateurs et des cultivatrices de cacao. Ces initiatives uniquement basées sur le volontariat et adoptées de manière hiérarchique, n’ont pu remédier aux problèmes sous-jacents des prix structurellement bas du cacao, de la faiblesse des infrastructures rurales, du manque de transparence et de redevabilité, et parfois, des interventions et politiques de gouvernements parfois inefficaces et corrompus.
La concentration du marché reste élevée
Un petit groupe d’entreprises de cacao et de chocolat domine le marché; chacune de ces entreprises s’approvisionne auprès de centaines de milliers de cultivateurs et de cultivatrices, ce qui leur confère un immense pouvoir sur le marché. Les détaillants -qui sont de grands acteurs au niveau national, mais pas mondial, et qui font baisser les prix tout en réalisant des marges plus élevées que la plupart des autres acteurs de la chaîne d’approvisionnement s’impliquent davantage dans les discussions, surtout à l’échelle de leur pays, par le biais des plateformes nationales de cacao.
Le cacao certifié n’a pas relevé ses exigences
La plupart des entreprises font état de progrès significatifs dans la traçabilité de leur approvisionnement en cacao, bien que leur définition de la traçabilité diffère. Mais la course aux volumes certifiés n’a pas entraîné de hausse des exigences, car avec un éventail toujours plus large d’interventions à la disposition du secteur, la pertinence des normes de certification s’est diluée. Le cacao ne peut pas prétendre être durable sur la seule base de la certification, bien que l’infrastructure nécessaire à la certification fournisse un cadre dans lequel de nombreuses autres mesures nécessaires peuvent être mises en place.
Des collaborations volontaires à l’échelle du secteur
Les plateformes nationales multipartites qui ont été mises en place dans plusieurs grands pays consommateurs de cacao traduisent des aspirations nationales en faveur du développement durable dans le secteur du cacao. Les partenariats industriels pré-concurrentiels portant sur l’augmentation de la productivité, la déforestation et le travail des enfants en sont à divers stades de mise en œuvre, mais ils ont eu peu d’impact jusqu’à présent. Il manque notamment un engagement du secteur en faveur d’un revenu vital pour les cultivateurs et les cultivatrices de cacao. À ce jour, ces collaborations reposent sur la seule base du volontariat et l’absence de conséquences en cas de non-respect des objectifs fixés constitue leur point faible.
Revenu vital
Un revenu vital relève des droits humains. Par ailleurs, résoudre le problème de la pauvreté est indispensable, car il sera impossible de relever les nombreux défis auxquels le secteur est confronté si les ménages agricoles vivent encore dans la pauvreté. Aujourd’hui, les efforts se concentrent sur des solutions techniques comme l’augmentation de la productivité et la diversification de la production. Ces étapes sont certes nécessaires, mais ces solutions techniques ne sauraient suffire à elles seules. De plus, les approches techniques ont leurs propres défis à relever et nécessitent des moyens de production, une main-d’œuvre et un financement à la fois disponibles et abordables. En outre, une hausse de la productivité mal gérée pourrait entraîner une surproduction, la déforestation et l’effondrement des prix du cacao. Pour assurer un revenu vital aux cultivateurs, il faudra résoudre également des problématiques de déséquilibre du pouvoir et d’économie politique, comme la formation des prix, une distribution de la valeur asymétrique, la faiblesse du pouvoir de négociation des cultivateurs et des cultivatrices, la concentration débridée du marché et le manque de transparence et de redevabilité du secteur. Les prix au producteur font cruellement défaut, alors qu’ils constituent pourtant une solution à court terme que chaque entreprise pourrait adopter presque instantanément. Le différentiel de revenu vital — une prime de 400 $ par tonne — a été appliqué par les principaux pays producteurs de cacao, la Côte d’Ivoire et le Ghana. Ce différentiel a permis d’augmenter les prix au producteur respectivement de 21 % et 28 %. C’est une étape importante, mais malgré son nom, il est loin d’être suffisant pour assurer un revenu vital aux cultivateurs et aux cultivatrices. En outre, des inquiétudes subsistent quant au manque d’inclusion d’autres parties prenantes dans l’élaboration de ces plans, notamment les organisations de cultivateurs et de cultivatrices, la société civile et les autres gouvernements producteurs de cacao.
Droits humains
Les violations des droits humains sont omniprésentes dans le secteur du cacao. Les équipements sanitaires et l’eau potable, l’éducation et les services de santé de qualité sont souvent inexistants ou inabordables. La pauvreté engendre une malnutrition infantile et des retards de croissance qui peuvent à leur tour entraîner toute une série de risques sur le plan de la santé. L’état de droit, la sécurité du régime foncier et de propriété des arbres et les droits des travailleurs des métayers, des travailleurs saisonniers et des salariés sont souvent relégués au second plan dans la plupart des discussions sur les droits humains. Par ailleurs, et d’une manière transversale, les femmes qui accomplissent une grande partie du travail dans les plantations ne sont pas reconnues ou rémunérées en conséquence. Elles n’accèdent souvent pas au droit de propriété et ne peuvent participer à de nombreux aspects de la vie des plantations. Tous les programmes de durabilité pour le cacao devraient donc être spécifiquement conçus pour inclure les femmes.
Travail des enfants
Malgré les promesses des entreprises de réduire les pires formes de travail des enfants, celui-ci reste un problème de taille pour le secteur du cacao. La plupart des 1,5 million d’enfants qui travaillent dans le secteur du cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire s’exposent à de multiples dangers comme l’utilisation d’outils dangereux ou de pesticides nocifs. Pour s’attaquer à ce problème, les entreprises en ont fait trop peu et trop tard. Les mesures actuelles fondées sur les bonnes pratiques peuvent certes diminuer le travail des enfants mais, pour éliminer ce phénomène, il faut aussi s’attaquer à ses causes profondes : la pauvreté des cultivateurs etdes cultivatrices, les difficultés d’accès aux écoles abordables et de qualité ou tout bonnement leur absence et l’insuffisance des infrastructures locales. Les objectifs et les investissements doivent être revus sérieusement à la hausse, en se concentrant à la fois sur la réparation et sur la prévention.
Environnement
Le secteur du cacao est de plus en plus préoccupé par les questions environnementales. Le changement climatique mondial et le changement de microclimat au niveau régional dû à la déforestation affectent déjà massivement la production de cacao et le feront davantage au cours des prochaines années. Cette situation est exacerbée par la dégradation des terres due à la production d’autres matières premières et à l’exploitation minière et forestière. L’utilisation sans discernement et sans formation des produits phytosanitaires est en grande partie inefficace; elle met en danger la santé des cultivateurs et des cultivatrices et l’ensemble des territoires où le cacao est cultivé. Elle peut aussi déstabiliser davantage les écosystèmes naturels, sans pour autant améliorer les rendements d’une manière efficace.
Déforestation
La production de cacao menace les forêts tropicales humides du monde entier ; de l’Afrique de l’Ouest, en passant par l’Indonésie, le bassin amazonien, la Colombie et le bassin du Congo ; et entraîne une perte de la biodiversité, des habitats et des ressources de ces écosystèmes. La disparition des forêts tropicales contribue à accélérer le changement climatique, car ce sont de vastes systèmes de stockage de carbone et des «machines à pluie». Les systèmes de surveillance, au niveau de l’exploitation agricole et du territoire, sont les premières mesures essentielles à prendre, tout comme la restauration des forêts et la protection des forêts restantes.
Agroforesterie
L’agroforesterie ne devrait pas remplacer les forêts d’origine. Mais dans les zones déjà dégradées, elle présente de nombreux avantages écologiques : conservation de la biodiversité, séquestration du carbone, préservation et renforcement de l’humidité et de la fertilité des sols, contribution à la lutte contre les parasites et les maladies, contrôle du microclimat comme la stimulation des précipitations, et bien d’autres avantages. Il est important d’adapter la notion d’agroforesterie à la spécificité des territoires, et de faire en sorte que l’ensemble du cacao soit cultivé dans des systèmes agroforestiers toujours plus variés.
Approches inclusives
Si les organisations locales de la société civile des pays producteurs ont commencé à participer davantage au dialogue politique du secteur du cacao, les efforts déployés pour résoudre les problèmes complexes d’injustice et de non-durabilité n’ont pas été suffisamment inclusifs ou intégrés. Plutôt que d’inviter les cultivateurs, les cultivatrices et la société civile à prendre part à la prise de décision, les problèmes ont été évalués depuis la perspective des entreprises et de manière hiérarchique. Cette approche sert les intérêts des entreprises et des gouvernements, mais pas ceux des producteurs et des productrices ni ceux de leurs communautés. Ces approches se doivent d’être inclusives et participatives, en traitant les cultivateurs, les cultivatrices et la société civile comme des partenaires égaux au sein de ces processus.
Des approches réglementaires nécessaires
Le cacao cultivé dans des circonstances (qui devraient être) illégales trouve toujours un marché, car il n’est pas interdit de tirer profit des violations des droits humains et de la déforestation dans les pays consommateurs de cacao. Une multitude de conventions gouvernementales, de plateformes nationales multipartites et de collaborations sectorielles existent, mais pas de pénalités en cas de nonrespect des objectifs fixés ni d’obligation de les atteindre. Paradoxalement, ce sont ceux qui se trouvent au bas de l’échelle — les cultivateurs et les cultivatrices de cacao qui vivent souvent en dessous du seuil de pauvreté — qui perdent leur certification de cacao durable s’ils ne s’y conforment pas. Toutefois, ces deux dernières années, les gouvernements et les entreprises se sont montrés de plus en plus favorables à une réglementation contraignante sur le devoir de diligence en matière de droits humains et d’impact environnemental.
Conclusion
La plupart des problèmes rencontrés dans le secteur du cacao sont systémiques et nécessitent des interventions structurelles tant au niveau territorial qu’aux niveaux national et mondial. Le cœur de la solution réside dans la création d’un environnement favorable. Ceci passe par une réglementation contraignante du devoir de diligence en matière de droits humains et d’impact environnemental, une autonomisation des petits producteurs et un renforcement de leur position au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales, par l’autonomisation des cultivateurs et des cultivatrices ainsi que de la société civile locale afin qu’ils puissent demander à leur gouvernement de leur rendre des comptes. Cet ensemble de mesures doit être soutenu par des mécanismes de transparence, de devoir de diligence et de redevabilité, ainsi que par une traçabilité et un suivi ouvert du secteur du cacao. Cet environnement favorable doit être soutenu par des investissements et des efforts beaucoup plus importants de la part de l’ensemble des acteurs, les entreprises, les gouvernements et les donateurs.