L’amnistie décretée le 6 août 2015 devrait un ferment dans le processus de réconciliation nationale par le jeu responsable des acteurs politiques.
Pour les sociétés dont les membres sont condamnés à vivre ensemble, les conflits fratricides ne sont que des transitions pour passer d’une situation stable et conviviale à une autre situation stable et conviviale. Cependant, si les différentes composantes de ces sociétés veulent éviter un empoisonnement du présent par le passé, alors elles choisissent de bâtir un nouveau commencement au détriment d’un simple recommencement. Dans ce cas, le paradigme de la réconciliation nationale revêt un caractère particulier dont les exigences ne sauraient être envisagées comme de simples options. Cette réconciliation peut être l’œuvre du temps si l’on considère que le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire, mais cela peut durer une éternité. Dès lors, la Justice apparait comme le moteur de la dynamique du processus. Toutefois, elle ne saurait être simplement une justice rétributive avec pour seule fonction de punir le crime afin de rétablir la cohésion et la paix sociales, sans tenir compte des circonstances ayant occasionné les faits en cause. C’est en cela que des mécanismes comme les Commissions Vérité et Réconciliation sont d’un apport indéniable pour réparer les liens abimés au sein d’une communauté donnée. Leur rôle, après avoir cherché à comprendre ce qui est arrivé, et comment cela a pu arriver, consiste à établir la double reconnaissance des qualités de victimes et de bourreaux qui à son tour détermine qui doit se repentir et demander pardon et qui à vocation à pardonner et à réclamer réparation.
A l’issue de la grave crise postélectorale de 2010-2011 et pour conjurer les ferments de plus de deux décennies de troubles politiques et militaires divers qui ont fortement compromis la cohésion des ivoiriens, les autorités ont eu la sagesse d’instituer la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR). Cette dernière pour diverses raisons, a échoué à amener les Ivoiriens dans leur ensemble à une catharsis salutaire et fondatrice d’un nouveau commencement et les principaux acteurs du drame à s’interroger sur leur propre participation à ce processus. Toute chose qui explique l’actualité du paradigme de réconciliation nationale dans notre pays.
Dès lors, la décision du Président de la République d’amnistier par ordonnance tous ceux qui à des degrés divers ont été tenus à tort ou à raison pour responsables ou instigateurs des violences meurtrières lors de cette crise post électorale, apparaît pour beaucoup comme une évolution majeure vers la réconciliation nationale et le Président peut à juste s’en prévaloir comme apport personnel à la fondation d’un nouveau commencement pour le pays. Cette décision est uniquement une évolution majeure, car il n’existe pas de conséquence mécanique entre amnistie qui est une situation de droit et réconciliation qui est une situation de fait. L’amnistie ne guérit pas le corps social, il contribue simplement à le soigner à la différence de la réconciliation qui peut lui apporter la guérison. Mieux, certains affirment comme Sophie Wahnich que : « Plus personne ne semble croire que l’amnistie, comme processus politico-judiciaire puisse conduire à métaboliser socialement un traumatisme politique, conduire à mettre à distance rancœurs et rancunes, faire cesser l’empoisonnement du présent par le passé. »
En effet, l’amnistie est souvent associée à l’amnésie car elle induit de facto un impératif d’oubli par la loi des infractions commises ou imputées à un individu ainsi que les poursuites ou condamnations qui en découlent. Cet impératif d’oubli ne peut être exigé à la victime qui peut cependant pardonner et tourner la page d’autant plus facilement si elle est reconnue dans son statut par la société et son bourreau. Celui qui pardonne renonce à se venger. Mais avant, il faut le repentir qui est la reconnaissance du tort causé à l’autre et une ferme résolution de ne plus recommencer afin que ce qui est arrivé n’arrive plus.
Malheureusement, nous n’avons pas encore été témoins de cette bonne attitude chez les principaux acteurs du drame ivoirien. Certains ont eu à prononcer sans véritable conviction ni engouement des mots de pardon mais personne ne s’est désigné responsable de quoi que se soit. Une attitude amène à penser que les 3000 morts de la crise de 2010-2011, sont morts de fièvre. C’est ce qui explique que depuis la signature de l’ordonnance présidentielle du 6 Aout 2018 et de l’éclatement de la coalition au pouvoir, nous avons été ramené plusieurs années en arrière avec la nette impression du déjà vécu et déjà entendu. Tout le monde est retourné à ses intrigues et ses manœuvres, les mêmes qui ont construit assidument l’univers de notre drame depuis la disparition du Président Houphouët-Boigny en 1993. Cela est inacceptable et donne raison à ceux qui pensent qu’amnistie et impunité peuvent être confondues par le jeu des forces politiques.
Il faut donc fortement espérer que cette génération de politiciens qui restera dans l’histoire comme celle qui a fait vivre à notre pays ses pires moments, pourra faire preuve de dépassement et de responsabilité. Cette génération qui a reçu de la précédente un pays fier et uni, doit prendre garde à ne pas céder à la suivante un pays fracturé et moqué. Nous devrons tous y travailler, principalement nos hommes et femmes politiques qui ont tout reçu du pays et à qui cette amnistie offre un motif décisif.
Moritié CAMARA
Maitre de Conférences d’Histoires des Relations Internationales
NB : Le titre et le surtitre sont de la Rédaction.