Une loi n’est utile que si elle est adhérente aux préoccupations actuelles et futures du peuple pour lequel elle est conçue. Cette utilité sociale, le gouvernement est fondé à la définir lorsqu’une question lui apparaît importante pour mener son action. Le peuple est également en droit de définir cette utilité par l’expression d’une attente ou d’une insatisfaction. Pour le parlement dont la raison d’exister est de voter les lois, cette utilité est avant tout syllogistique si elle ne veut pas trahir sa fonction. Dans l’absolu donc, l’utilité d’un acte détermine s’il est bon ou mauvais, mais celui qui entraîne la satisfaction du plus grand nombre est de loin celui que les gouvernants doivent préférer.
Concernant le débat actuel sur la question de l’orientation sexuelle habilement introduite en point de détail dans le projet de révision de l’article 226 du Code pénal portant sur les discriminations ni le peuple, ni le parlement ne sont les initiateurs de cette démarche. D’ailleurs, cela va sans dire, car il s’agit d’un projet de loi et non d’une proposition de loi. C’est donc le gouvernement qui l’initiateur de cela et il est parfaitement dans son rôle.
Cependant, on peut se demander à quoi correspond l’inclinaison du gouvernement à légiférer maintenant sur l’orientation sexuelle des uns et des autres ? Certains prétendent que c’est pour répondre à une nouvelle conditionnalité des aides ou d’appuis budgétaires ou encore d’effacement d’une partie de la dette du pays de la part des puissances occidentales et même d’organisations internationales. Si cette explication est juste alors, on peut comprendre que le gouvernement agit ainsi à son corps défendant. Mais en politique intérieure comme en politique étrangère les décisions prises par les gouvernements se font après évaluation par ces derniers du coût-bénéfices.
Dans le cas d’espèce, cette initiative qui n’est ni la commande du peuple ni de ses représentants et ne représente selon toute vraisemblance rien de décisif dans la poursuite des objectifs du gouvernement, son imposition paraitra forcément comme une obéissance aux oukases de puissances étrangères désireux de conformer nos sociétés à leur mode de vie et de pensée. Dans un écosystème africain ou les peuples sont vent debout et ne jugent leurs dirigeants que par rapport à leur degré « d’indépendance » vis-à-vis des injonctions des grandes puissances, une telle évolution de notre Code pénal donnera du grain à moudre à cette armée de gens qui confondent nationalisme, panafricanisme et repli identitaire dans leurs stratégies de lutte contre impérialisme ou le colonialisme.
« L’Homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire »
De plus, au-delà même de servir de catalyseur aux détracteurs du gouvernement, cette attitude conforte les dires de Nicolas Sarkozy, lorsqu’il a estimé en 2007 à Dakar, capitale de l’Afrique Occidentale Française que « l’Homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Trente-cinq associations de défenseurs de ceci ou de cela lui étaient tombées là-dessus sans jamais prendre le temps d’analyse le surtout de cette affirmation qui vaut son pesant d’or et qui a le mérite d’avoir été faite en public.
En effet, nous vivons dans un monde devenu village et dont la civilisation est plus que jamais universelle même si elle est dominée par les traits de la famille judéo-chrétienne de la case des occidentaux. L’affirmation de Sarkozy interrogeait de manière crue et honnête l’apport de la culture et du génie africain dans la construction de cette civilisation universelle. Il faut savoir en effet que chaque peuple s’insère dans l’universel avec des référents culturels afin de l’enrichir. La dimension psychologique de la colonisation a été de délégitimer notre identité en jetant l’opprobre sur la majorité des éléments constitutifs de notre altérité dont nous avons été sommés d’abandonner dans les bas-fonds de l’Histoire afin de nous reconstruire à l’image du colon. Nous sommes donc venus au sein du village planétaire tout nu et sans bagages, obligés de nous habillés avec les vêtements des autres. Voici le drame de l’Homme africain que tout type de loi visant à faire du vice la norme, va renforcer et graver dans le marbre.
L’Homosexualité existe dans toutes les sociétés et l’Afrique n’est donc pas en reste. Cependant c’est une pratique honteuse qui prospère loin de la sphère publique et dans les alcôves où endroits secrets par ce que la société ne tolère pas son expression publique à plus forte raison ostentatoire.
La législation non écrite qui permet depuis toujours aux Africains de régir leurs sociétés et garantir l’harmonie entre leurs membres comporte deux articles fondamentaux à savoir le tabou et le regard des autres. Supprimer ces deux filtres qui ont de tout temps présidé à leur vie à travers une loi revient à les tuer psychologiquement, culturellement et nier à jamais leur altérité dans un monde arc-en-ciel mosaïque de toutes les cultures et croyances. L’arc-en-ciel qui est le symbole de la communauté LGBT signifie que tout le monde à sa place dans la société mais une place bien définie comme l’atteste d’ailleurs la culture africaine. Le marginal en Afrique vit alors sa mise à l’écart comme une sanction et non une option pour avoir enfreint les us et coutumes, et s’en ait toujours accommodé d’ailleurs. Ce que les Occidentaux, à travers ces incitations souvent avec le couteau sous la gorge de nos gouvernements, veulent changer brutalement. C’est cela la définition du viol.
Les Africains ne découvrent pas l’homosexualité
Les Africains ne découvrent pas l’homosexualité. Loin s’en faut ! Ils vivent avec cela depuis toujours avec leur propre système de régulation social afin de permettre l’harmonie et éviter l’anarchie. Pourquoi vouloir changer brutalement cela au point de créer une nouvelle conflictualité au sein des populations ?
Il n’existe aucun pogrom où des gens ont été extraits de force de leur maison ou bureau pour être jetés sur la place publique au seul motif de leur orientation sexuelle. Il n’y a donc aucune urgence de légiférer en la matière. Le statu quo apparait même comme la meilleure garantie pour les personnes concernées de continuer à pratiquer en toute quiétude leur inclinaison. Cela n’a jamais causé de problème en dehors des regards de travers ou de commentaires déplacés. La loi punie déjà les injures publiques et c’est largement suffisant. Alors pourquoi vouloir comme le disent les ivoiriens, chercher palabre là où il n’y a n’a pas ?
Des inégalités et discriminations existent et il est du devoir du gouvernement de prendre les dispositions afin que l’Etat en tant qu’entité qui trône au-dessus de tous, soit juste avec tout le monde et se mette au diapason pour garantir à chacun ses droits de citoyen. Cela n’implique pas forcement de faire du vice la norme sans tenir compte de la sensibilité du grand nombre. La minorité à des droits mais la majorité aussi. On ne règle pas un tort en causant un autre tort à un plus grand nombre. Il s’agit simplement pour l’immense majorité de pouvoir élever ses enfants conformément aux valeurs qui sont les siennes dans son propre microcosme sans interférences. La loi devrait garantir cela en priorité.
Si cette exigence de légiférer sur un tel sujet provient réellement d’une conditionnalité de coopération bilatérale ou multilatérale, alors tous les gouvernements soumis à un tel chantage digne des preneurs d’otages, devraient pourvoir, suivant le principe des Nations Unies de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, la dénoncer ouvertement en prenant l’opinion à témoin.
Moritié Camara. Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales