Dans une contribution dont linfoexpress a reçu copie, le professeur d’université Moritié Camara retrace l’histoire de la Somaliland depuis la fin de l’époque coloniale jusqu’à nos jours.
Le Somaliland est un territoire de la corne de l’Afrique qui a fait partie de la Somalie de juillet 1960 au 18 mai 1991, date de la proclamation unilatérale de son indépendance qui n’est pas reconnue, tout comme sa Constitution adoptée le 30 avril 2000, par la communauté internationale. Ce territoire de 137.600 km2 qui compte 3,5 millions d’habitants, n’existe pas en tant que pays aux yeux de la communauté internationale et pourtant il a existé durant 5 jours dans les années 1960 avant de se fondre dans la République fédérale de Somalie.
Avant son indépendance le 26 juin 1960, le Somaliland ou Somalie britannique à la différence de la Somalie italienne, est une ancienne province ottomane annexée en 1888 par les Britanniques qui en feront un protectorat. Le territoire obtient son indépendance le 26 juin 1960, mais décide 5 jours plus tard, le 1er juillet qui consacre (selon les dispositions des Nations Unies prises en 1949) l’indépendance des territoires de la Somalie italienne qui étaient sous régime du tutorat, de s’agglomérer avec ces derniers pour fonder la République fédérale de Somalie. Cependant, le coup d’Etat du 21 Octobre 1969 du Général Syaad Barré qui instaure une dictature, contrarie les dispositions d’intégration entre les territoires britanniques et italiens.
Une rébellion née donc au début des années 1980 pour revendiquer le détachement du Somaliland de la Fédération somalienne. En 1988, le dictateur fait bombarder Hargeisa la capitale du Somaliland, tuant plus de 5% de la population et jetant sur les routes de l’exil plus de 500.000 autres. Il faudra donc attendre le renversement du dictateur en 1991 et la guerre civile qui a fait disparaitre toute trace de l’Etat en Somalie pour que le Somaliland proclame unilatéralement son indépendance. Depuis, ce pays qui demande une reconnaissance internationale sans faire de cela un leitmotiv, se développe en toute discrétion sur le plan économique et surtout démocratique.
En effet, suivant le principe de fossilisation des frontières coloniales adopté par l’Oua en 1964, l’Union Africaine et partant, la communauté internationale, refusent de reconnaitre ce pays qui est inscrit sur la liste des cinquante pays qui n’existent pas de par le monde. Et pourtant…
Dans une zone (la corne de l’Afrique) en proie aux violences djihadistes et des pirates, le Somalildand fait office d’havre de paix et de quiétude. Les autorités ont réussi à tenir leur pays loin de tous ces soubresauts qui font qu’en Somalie voisine, le gouvernement ne contrôle qu’une infirme partie de la capitale Mogadiscio, le reste comme les autres contrées du pays étant sous le joug des Shebabs qui y fondent l’histoire. Les fonctionnaires internationaux sont confinés dans une zone ultrasécurisée autour de l’aéroport qu’ils ne quittent que pour prendre l’avion. Sur le plan économique, le pays sans aucune aide internationale, a reconstruit sa capitale totalement détruite en 1988 et qui compte aujourd’hui 800.000 habitants contre 15.000 avant son bombardement. Sa monnaie, le Shilling du Somaliland, créée en 1994 avec un taux de change fixé à 1 nouveau shilling somalilandais pour 100 shilling somali, est imprimée par la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale. Cependant, sa valeur est très faible ; ce qui explique que les fonctionnaires soient payés en dollars américains que le gouvernement arrive à se procurer à travers le commerce d’animaux avec les pays du golfe, notamment l’Arabie Saoudite depuis le port de Berbera qui compte parmi les plus dynamiques de l’Océan indien.
Cohabitation réussie Charia et démocratie
Le port de Berbera qui fait actuellement l’objet d’une modernisation de ses infrastructures par un consortium Emirati, devrait pourvoir concurrencer avec celui de Djibouti par lequel passent aujourd’hui plus de 95% des échanges de l’Ethiopie. Avec les infrastructures qui doivent être inaugurées en ce mois de mars 2021, le port de Berbera pourrait récupérer jusque 50% du trafic commercial éthiopien mais également ceux du Soudan du Sud qui est un pays enclavé.
Sur le plan politique, le pays est une exception en ce qu’il allie avec bonheur dans la gestion de la chose publique, les exigences islamiques, démocratiques et ancestrales. Toute chose qui créée une certaine stabilité et un équilibre des pouvoirs. Les tribunaux délibèrent suivant la Sharia, la loi islamique. L’exécutif tire sa légitimité de la démocratie. Le nombre de partis politiques autorisés dans le pays est de trois. Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de 5 ans. Toutes les élections qui ont eu lieu jusqu’à ce jour, ont été jugées démocratiques. D’ailleurs, le président actuel, Muse Bihi Abdi, élu avec 55,10 % des voix le 13 novembre 2017, a été installé un mois après en présence des officiels venus d’Éthiopie, de Djibouti, du Royaume-Uni et de l’Union européenne.
Le Parlement, lui fonctionne suivant les exigences démocratiques et traditionnelles. Il est composé de deux Chambres. La Chambre des représentants avec 82 élus à la proportionnelle dans les six régionaux du pays, assure la présence de toutes les forces politiques, peu importe leur poids dans l’Hémicycle.
La Chambre haute qui est le Senat, regroupe les représentants des 15 clans qui forment le pays. Les sénateurs ont interdiction de défendre directement les intérêts de leurs clans, cela est laissé aux représentants de la Chambre base. Lorsque le dossier arrive devant les sénateurs, c’est en tenant compte des intérêts de tous qu’il est débattu pour être adopté ou rejeté par consensus.
Il faut dire que les fondements claniques de la société au Somaliland n’ont pas été bousculés par la colonisation. La colonie avait peu d’importance pour les Britanniques qui n’ont donc pas cherché vraiment à la gérer, laissant les populations suivre le cours de leur vie tranquillement. Cela explique nettement que les autorités actuelles aient fait le choix d’incorporer les anciens mécanismes claniques de gestion du pouvoir et des conflits à la gestion de leur pays, lui assurant ainsi une réalité de démocratie apaisée.
Le Senat (Guurti), joue en outre le rôle de Conseil constitutionnel et de garant des institutions. En 2009, il a refusé de reporter les élections comme le souhaitait le Président d’alors, Hassan Dahir RiyaleKahin, qui voulait se maintenir au pouvoir ainsi. Ce dernier avait demandé au chef d’Etat-major en septembre 2009, de descendre sur la capitale pour dissoudre les deux Chambres, ce que le militaire refusa. Le Président fut contraint d’organiser les élections qu’il a perdues.
Depuis, à la différence de l’élection présidentielle qui se tient régulièrement tous les 5 ans, il y a 15 ans que le Parlement n’a pas été renouvelé. Par consensus, les élus ont décidé avec l’aval du Senat, que les fonds qui doivent être alloués à ces élections, servent aux projets de développement. Le pays fait donc l’économie de querelles politiques et politiciennes qui déchirent la quasi-totalité des pays africains depuis d’interminables années. C’est un donc exemple de démocratie et de stabilité politique et sociale en Afrique.
Tout cela rend très hypocrite le refus de reconnaissance de ce pays par la bien nommée communauté internationale, notamment par l’Union Africaine. Le Président Idriss Deby du Tchad dans l’une de ses diatribes contre les occidentaux, a affirmé : « Ils ont créé le Soudan du Sud sans notre avis ». Les « ils » pourraient également créer le Somaliland sans l’avis de l’Union africaine dont le principe d’intangibilité des frontières coloniales ne peut être opposé au Somaliland qui a été indépendant et existé en tant que tel durant 5 jours durant lesquels il a été reconnu par 33 Etats à travers le monde.
L’Union africaine pourrait donc être mise une fois de plus devant le fait accompli car les lignes bougent pour le Somaliland et risquent même de trembler avec la découverte récente d’importants gisements de pétrole dans son sous-sol.
Pour l’instant, le pays a entrepris des démarches de reconnaissance mutuelle avec Taiwan, et le Kenya projette d’ouvrir dans les prochaines semaines un consulat à Hargeisa la capitale. La Grande-Bretagne garde depuis le début un regard bienveillant sur son ancien protectorat. Elle imprime sa monnaie et lui fournit le matériel pour surveiller sa frontière terrestre.
Ce pays qui n’existe pas pourrait donc exister et être cité en exemple si ses ressources ne deviennent pas une malédiction pour lui comme c’est le cas avec tous les autres pays africains qui eux existent bel et bien mais pour les autres.
Moritié Camara. Professeur titulaire d’Histoire des relations internationales. Asriesa2012@gmail.com