Il fait partie avec Djéni Kobinan, des huit ‘‘immortels’’ dont les noms figurent sur l’acte fondateur du Rassemblement des républicains (RDR). Après un long silence, le Professeur Ayié Ayié Alexandre a réapparu sur les écrans radars du RDR à la faveur du 4e Congrès extraordinaire de cette formation qui s’est tenu le 5 mai 2018. Dans cette interview, Ayié Ayié Alexandre revient sur les circonstances de la création du RDR, fait des confidences-révélations et jette un regard sur la gestion actuelle du RDR, le parti unifié et l’après Ouattara.
Vous êtes membre fondateur du RDR et parmi ceux qui ont créé cette formation politique, vous faites partie de ceux qui ont disparu des écrans radars. Que devient Ayié Ayié Alexandre ?
Il est en effet vrai que je fais partie de ceux qui ont apposé leur signature sur l’acte constitutif du Rassemblement des Républicains. Nous sommes huit à l’avoir fait. Il s’agit, comme vous devez le savoir, de feu Djéni Kobina, Hyacinthe Sarassoro, Hyacinthe Leroux, Amadou Soumahoro, Jean Malan, feu Badobré Pierre, Diakité Coty-Souleymane et de moi-même. Il faut signaler que, dans l’ombre, il y avait de nombreuses autres personnes réunies autour du projet qui a abouti à la création du RDR. Après un moment de vacances par rapport au parti, j’ai repris service et participé à ses activités dont la plus importante de ces deniers jours est le Congrès extraordinaire du samedi 5 mai dernier qui a statué sur l’opportunité de la création du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) en parti unifié.
A un certain moment, on a senti que vous avez pris vos distances vis-à-vis du RDR. Que s’est-il passé ?
En journaliste politique, vous devez savoir que, partout dans le monde, la vie politique n’est pas rectiligne. Elle se trace parfois en lignes brisées, avec des hauts et des bas, des allers et retours etc. Il peut arriver un moment où, quand vous êtes dans le creux de la vague, vous n’êtes plus visible. Il est donc vrai que pendant un certain temps, j’ai pris des distances. Mes ressentiments avaient pris le pas sur ma raison. J’avais cru avoir des droits de reconnaissance à exiger du RDR. Il s’est trouvé que dans cette quête, j’ai accumulé des devoirs de reconnaissance envers des membres d’une autre formation politique. Mais dans cette situation, j’ai été constant dans ma fidélité à l’Houphouëtisme dans lequel nous nous retrouvons tous aujourd’hui.
Pouvez-vous être plus explicite ?
Je voudrais vraiment ne pas l’être davantage. Seuls mes amis politiques sont intéressés par cette question et, avec ce qui est dit plus haut, ils me comprennent aisément. Je voudrais ne pas en dire plus par devoir de respect envers les uns et les autres et bien entendu envers moi-même. Chacun vit sa vie, sa vie politique qui n’est pas forcément comme celle des autres. Beaucoup de gens échouent dans leur vie politique en essayant de tricher celle des autres, alors qu’au cours de l’épreuve de la vie, chacun a son sujet, un sujet à traiter, un sujet différent de celui donné par Dieu aux autres.
Mais depuis un certain moment, vous êtes de plus en plus présent. Est-ce qu’on peut dire Ayié Ayié Alexandre est revenu pour reprendre le combat là où il l’a laissé ?
Exactement, c’est ce que je fais. Si comme on le dit, on ne peut pas rattraper le temps perdu, on peut arrêter de perdre du temps. J’ai donc repris du service au sein de mon parti et je compte jouer aux côtés de mes amis, le rôle qui peut me revenir. C’est ce que j’ai fait lorsque Madame la Présidente m’a fait l’honneur de me nommer vice-président de la commission scientifique du Congrès extraordinaire dernier, puis comme président de la Commission motions et résolutions lors des assises du Congrès.
Quels sont aujourd’hui vos rapports avec les autres membres fondateurs ?
J’entretiens de très bons rapports, je dirais d’excellents rapports avec tous les membres fondateurs encore vivants. J’ai toujours gardé de bons rapports avec le professeur Hyacinthe Sarassoro qui est mon maître. Nous sommes liés les uns aux autres par ce fait historique que nous avons posé, en portant sur les fonts baptismaux le RDR, même si après que ce soit fait, il s’est trouvé et se trouve des gens à minimiser la portée de cet acte. A la demande de notre frère Amadou Soumahoro, il était prévu le mardi dernier (NDLR : Mardi 8 mai 2018) que nous nous retrouvions à déjeuner chez lui à son domicile. Mais sa nomination au sein du gouvernement lui a imposé des contraintes qui ont fait que cette rencontre a été non pas annulée, mais reportée. Quant à ceux qui ont été rappelés à Dieu, je ne peux pas avoir d’autres rapports que des rapports de souvenir.
Pouvez-vous revenir sur les circonstances du choix des huit personnalités qui sont à la base de la création du RDR ?
Il faut savoir qu’il y avait beaucoup d’autres personnes qui pouvaient prétendre être membres fondateurs. D’ailleurs, Après la création du parti, il y a des gens actuellement qui se réclament membres fondateurs. Mais à l’époque, beaucoup de gens avaient peur. Ils avaient des privilèges au PDCI qu’ils ne voulaient pas perdre en affichant leur appartenance au RDR. Il y a des personnes à qui, personnellement, je m’étais adressé pour qu’elles soient signataires en tant que membres fondateurs, et qui ont carrément refusé. Les huit membres fondateurs du RDR, que j’ai cités plus hauts étaient donc des gens courageux de l’époque, choisis pour couvrir l’ensemble du territoire ivoirien. Hyacinthe Sarassoro pour le Nord sénoufo. Mais j’expliquais son choix par le fait que, à l’époque, il était Député de Sinématiali après avoir battu Dona Fologo, secrétaire général du PDCI. C’était pour nous une façon de porter un coup au moral de cette formation politique. Nous avons pensé à Diakité Coty pour représenter le Nord-Ouest, Leroux Hyacinthe l’Ouest montagneux, à Amadou Soumahoro pour la région du Centre-Nord, à Pierre Badobré pour l’Ouest, à Malan Jean pour le Sud ; notons que Djéni est du Sud et moi du Sud-Est. Mais en ce qui me concerne, Djéni était allé me prendre chez moi, parce que, à l’époque, j’étais le Secrétaire général de l’Union syndicale de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (UNESUR), syndicat qui était présenté comme la caisse de résonnance du PDCI, comme le SYNARES l’était pour le FPI, le PIT et autres partis de gauche. Il était question de montrer que le PDCI a perdu ses intellectuels…
Pouvez-vous nous conter un peu le contexte d’organisation du congrès constitutif du RDR…
Vraiment c’était une période à laquelle, très souvent, il me revient de penser. Effectivement, le Congrès constitutif du RDR a eu lieu en juillet 1995. C’est moi qui en avais assuré la présidence au palais des Congrès de l’hôtel Ivoire. J’en tire toujours une fierté, car si aujourd’hui les candidats à la présidence auraient été nombreux, à l’époque ce n’était pas le cas à cause des réticences à s’afficher trop ouvertement. C’est donc moi qui ai présidé le congrès au cours duquel Djéni Kobina a été désigné Secrétaire général suite à une élection. Au départ, nous avions pensé à un vote par acclamation, mais il s’est trouvé qu’il y avait un autre candidat en la personne de M. Appiah Youssouf Ouattara. Dès lors qu’il y avait plus d’un candidat, nous qui œuvrions pour plus de démocratie, plus de liberté, plus de justice en Côte d’Ivoire, c’était notre slogan, nous ne pouvions pas faire autrement que de nous soumettre à la loi de la démocratie. Nous avions donc organisé le vote, et Djéni a battu Appia Youssouf. Ce congrès a été un succès. J’y pense bien souvent. Je prends soin de ces souvenirs parce qu’ils sont des choses que le temps ne peut emporter avec lui.
Vingt quatre ans après avoir contribué à sa création, quel bilan pouvez-vous dresser de la marche du RDR qui l’a mené au pouvoir en 2010 jusqu’à ce jour en 2018 ?
Ce parti a été créé et s’est positionné sur l’échiquier politique comme un parti centriste. Nous avons toujours dit, en termes philosophiques, en paraphrasant Molière que la parfaite raison fuit toute extrémité et veut que si on est sage qu’on le soit. Pour nous, il faut établir en Côte d’Ivoire une société plus juste, plus fraternelle au sens que le Président Houphouët-Boigny l’entendait ; une société inclusive dégagée de ce que Djéni appelait « les ostracismes ». Sur le plan économique nous prônons un libéralisme à visage humain, plaçant le RDR au carrefour des principales doctrines ; Une formation plus adaptée à nos besoins, avec la décentralisation de l’enseignement supérieur, une diplomatie ouverte etc. Les détails sont dans le projet de société du RDR. Aujourd’hui, c’est la toile de fond de la politique du président Ouattara.
‘‘Je ne suis pas frustré parce que, je ne suis pas un profiteur éhonté’’
Selon nos informations, à sa création, c’est vous et vos amis qui avez déposé les dossiers du RDR au ministère de l’intérieur à l’époque. Une fois au pouvoir, Ayié Ayié Alexandre n’a pas été nommé à un poste quelconque. Est-ce qu’aujourd’hui, il en garde rancune, parce que frustré ?
Un poste du RDR ? Ce ne serait pas immérité. Mais je ne suis pas frustré parce que, je ne suis pas un profiteur éhonté. Il y a des luttes auxquelles je n’ai pas participé. Des résultats de ces luttes, je ne dois rien en attendre. Moi, j’essaie d’être honnête envers les gens et je souhaite qu’ils le soient envers moi. Ce dont je suis sûr est que moi je ne fais pas semblant d’être ce que je ne suis pas. En clair, je n’étais pas actif quand le RDR accédait au pouvoir. Mais dans tous les cas, on n’est pas tous appelé à être nommé absolument. Dans la vie tout peut arriver, en tout lieu et à tout moment. C’est Dieu qui décide du parcours de chacun.
N’est ce pas parce qu’on ne vous voit pas votre poids sur le terrain ?
Non, pas du tout. Sur la question de valoir quelque chose ou pas sur le terrain, sachez qu’en Côte d’Ivoire comme partout en Afrique, les hommes ou les femmes qui, comme vous le dites, valent « quelque sur le terrain, sont ceux en qui la population croit, parce qu’ils disposent des moyens pour répondre à leurs besoins. Ce sont dans l’immense majorité des cas, les personnes qui occupent de hautes fonctions qui leur permettent d’être connues mais surtout qui leur permettent d’avoir des moyens. Moi, je n’ai jamais eu cette chance, mais je rivalise d’audience avec ceux de chez moi qui ont connu ou connaissent la chance de la nomination. Malgré cela je ne passe pas inaperçu ni chez moi, ni en Côte d’Ivoire par mes fonctions d’enseignant du supérieur apprécié par les nombreuses promotions d’étudiants et parce que j’ai des attaches solides et des relations familiales biologiques et par alliance dans au moins trois grandes régions administratives de notre pays. Valoir ou ne rien valoir sur le terrain se résout en termes de pouvoir et non de valeur intrinsèque.
Pour vous qui étiez là dès le départ. Pensez-vous qu’il y a des personnalités ou des hommes qui étaient là avec vous dès le départ qui sont aujourd’hui sous l’éteignoir et qui méritent une reconnaissance particulière du parti?
Mériter mieux? Je l’ai dit tout là l’heure, c’est Dieu qui décide pour chacun.
Quel est votre appréciation de ce terme qui désigne au RDR les nouveaux militants et qu’on appelle en Malinké ‘’les To monan’’ c’est-à-dire les arrivistes ?
Il ne faut pas juger les gens. Quand on perd son temps à les juger on ne peut pas les aimer, or il le faut. Cela dit-on ne crée pas un Parti politique pour s’enfermer entre fondateurs. L’arrivée des nouveaux militants est tout à fait normale, voulue et souhaitable. Quand un enfant naît, ses parents l’éduquent. Quand il grandit, ce ne sont pas seulement ses parents qui profitent de lui. Il faut donc qu’il y ait de nouveaux arrivants pour grossir l’équipe. Si ceux là n’étaient pas venus, le Parti ne serait pas au pouvoir aujourd’hui. Moi, je ne les appelle pas « To monan » mais je les appelle : vaillants militants de la deuxième heure. Ce sont des militants dont l’arrivée doit être saluée.
Vous avez été le Directeur de publication du Républicain Ivoirien qui fut le premier outil de communication du RDR. Quel souvenir gardez-vous de cette aventure ?
J’ai été le directeur de publication du journal « Le Républicain Ivoirien », quotidien créé au soutien des actions du RDR sur le terrain. Je n’oublierai jamais, alors jamais, ma vie à la tête de ce journal. Je ne suis pas et n’étais pas journaliste. Mais, alors que le RDR regorgeait de journalistes professionnels, c’est moi qui, après refus des uns et des autres, avais accepté d’occuper ce dangereux poste. Dangereux, parce que, souvenez vous, à l’époque, que l’emprisonnement de journalistes et de leurs directeurs de publication était monnaie courante en Côte d’Ivoire. Quel souvenir j’ai gardé ? Là je ne vais pas réfléchir plus d’une seconde. J’ai été un jour convoqué au tribunal à Abidjan Plateau pour avoir à répondre d’un délit de presse en tant que Directeur de publication du Républicain Ivoirien ; le délit de diffamation contre la personne de Diaby Koweit. En tant que Directeur de Publication, cette convocation ne m’avait pas étonné. Et avant de m’y rendre, j’ai appelé Fofana Zémogo pour lui dire que j’allais pour endosser mes responsabilités pour obtenir l’élargissement de mes journalistes détenus. C’était la première fois, pour moi, de parler devant un tribunal en tant que mis en cause. Dieu merci, je m’en étais bien sorti. C’est le souvenir que je garde de mon passage à la tête du journal Le Républicain Ivoirien.
Quels rapports gardez-vous avec vos journalistes du Républicain Ivoirien ?
On ne se voit pratiquement plus. Mais il m’arrive de penser à Touré Moussa, à Méité Sindou, Koné Moussa surnommé à l’époque Bim Yéti. Je pense à tous ces journalistes mais malheureusement, on n’a plus tellement le temps de se voir.
Toujours sur la communication du RDR. D’aucuns estiment que dans l’opposition, la communication du RDR était redoutable. Mais à l’épreuve du pouvoir, cette communication est devenue l’ombre d’elle-même. Vous, en tant qu’ancien responsable d’un outil de communication du RDR, quel regard jetez-vous sur les deux facettes de la communication du RDR, dans l’opposition et aujourd’hui au pouvoir ?
Je pense que le RDR, sur ce point, me paraît être resté constant dans sa façon de communiquer. Personnellement, j’aurai bien voulu que le RDR ait un seul porte-parole de sorte à éviter les contradictions dans les déclarations des uns et des autres.
Vous êtes universitaire, à un certain moment, le régime Ouattara était attaqué de toutes parts et on n’a pas senti les intellectuels du RDR. Pourquoi cette démission ?
Véritablement, les intellectuels n’ont pas démissionné. Mais, il faut reconnaître qu’il y a une tendance naturelle des intellectuels à se démarquer ou à détacher leurs interventions de la politique, pour leur donner des bases scientifiques. Mais au RDR, les choses sont en train d’évoluer, notamment avec l’institution de l’Ecole du Parti, dirigée par le Secrétaire général Adjoint, le professeur David Soro. Par ailleurs, lorsque le travail produit par les intellectuels est remis aux autorités politiques, il y a parfois une confusion entre ce que le politique dit et ce que disent les intellectuels. C’est cela qui fait qu’on pense à une démission. Il n’en est rien ou presque. Je m’en vais vous prendre un exemple. Au cours du dernier Congrès extraordinaire qui a eu lieu le 5 mai dernier, la principale déclaration qui a été lue au dit Congrès a été une déclaration qui a été faite au cours du symposium organisé par l’Ecole du parti. Mais, comme cette déclaration a été endossée par le congrès extraordinaire, on n’a eu l’impression qu’elle est une déclaration du politique et non de l’intellectuel.
Lorsque le président Ouattara était encore Directeur adjoint du FMI, vous faites partie de ceux qui faisaient la jonction entre lui et la machine politique au pays. Comment êtes-vous parvenus à convaincre le président Ouattara de laisser son poste prestigieux au FMI pour venir dans la fournaise politique ivoirienne ?
Je ne fais pas partie de ceux qui l’on convaincu à quitter le FMI pour venir dans ce que vous appelez « la fournaise politique ivoirienne ». Il me faisait l’honneur de me recevoir et de discuter avec moi sur la vie du Parti lors de ses déplacements en Côte d’Ivoire. Mais, sans plus. Je crois que quand on a un destin présidentiel, on le ressent au tréfonds de soi-même. C’est sans doute parce que le Président Ouattara a senti que l’appel du peuple correspond à ce qu’il a ressenti au plus profond de lui-même qu’il est venu assumer sa part dans le développement de la Côte d’Ivoire.
‘‘Le parti unifié va s’imposer de gré ou de force aux autres partis’’
Le RDR a organisé le samedi 5 mai dernier un congrès extraordinaire. En tant que vice-président de la Commission scientifique, quel était l’enjeu de ce congrès ?
Vous savez que depuis 2005, au plus profond de la crise, les responsables au plus haut niveau du RDR, du PDCI, de l’UDPCI et du MFA se sont retrouvés et ont décidé de mettre en place une plateforme politique sur laquelle ils développeront leurs actions politiques. Cette plateforme a évolué jusqu’à l’adoption du Manifeste d’un parti unifié, lequel Manifeste a été converti en accord politique pour la création d’un parti unique. L’enjeu de ce Congrès était donc de présenter les acquis du Comité de haut niveau qui a été mis en place par ces partis politiques à l’effet de les conduire progressivement vers un parti unifié. Il fallait soumettre les projets de textes adoptés à l’ensemble de nos militants. C’est ce qui explique cette série de congrès. Le congrès de l’UPCI avec le résultat que l’on connaît, le congrès du MFA, du PIT, du RDR, de l’UDPCI qui vient de se tenir et je l’espère dans un avenir très proche celui du PDCI. La finalité de ces assises est de faire endosser les textes et les grands principes par l’ensemble des militants à la base. Je fais observer que ceux qui sont faits pour être ensemble, finissent toujours par se retrouver. D’une manière ou d’une autre, le RHDP se construira. Il va s’imposer de gré ou de force aux partis politiques des divers camps qui seront amenés à le prendre comme il vient, ceci pour ne pas à revivre le goût amer de la perte du pouvoir d’Etat.
Vous êtes membre fondateur du RDR. Comment sentez-vous cette marche progressive vers le parti unifié ? Avez-vous l’impression que l’on s’achemine vers la mort de ce bébé dont vous avez contribué à la naissance ?
Il y a par rapport à cette question plusieurs sentiments qui se côtoient, et parfois qui se combattent. Vous me posez la question en tant que membre fondateur du RDR. Le RDR est notre création. Lorsqu’on vous annonce que votre enfant doit être sacrifié, vous ressentez une douleur parentale. C’est le premier sentiment que j’éprouve. Le deuxième sentiment est celui de la prise de conscience des intérêts que nous offre le parti unifié. La légende de l’exode du Ghana et Côte d’Ivoire, du peuple Akan nous enseigne que la reine Abla Pokou, pour permettre la traversée du fleuve Comoé par son peuple, a dû sacrifier son neveu. Elle ne l’avait pas fait dans la gaieté. L’acte sacrificiel s’imposait à elle. Mais elle l’a accompli dans l’intérêt supérieur du peuple qu’elle conduisait. On doit comprendre cela et consentir, dans l’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire, le sacrifice du RDR à travers le parti unifié.
Du haut du congrès extraordinaire, le président d’honneur a martelé que le RDR ne disparaîtrait pas. Comment appréhendez-vous cela, en tant que membre fondateur?
Sur cette question, je ne suis pas habilité à donner la version officielle du parti. Je me limiterai donc à des commentaires. Lorsqu’on parle de parti unifié, il y a à l’intérieur de ce concept, à boire et à manger. Il peut avoir parti unifié dans la fusion de tous les autres partis. Une personne morale nouvelle se crée sur les cendres des partis membres du RHDP. Dans ce cas, on parle de fusion-absorption. Mais, il peut avoir une autre forme d’unification. Prenons l’exemple des Etats comme le Nigéria, les Etats-Unis et d’une manière générale les Etats fédéraux. Au niveau international, ces pays se présentent comme des pays unitaires. Ils sont représentés par un gouvernement unique qui développe une politique étrangère unique. Mais lorsqu’on entre dans ces pays, on se rend compte qu’ils sont une conjonction de plusieurs Etats différents qui se sont fédérés. L’unification dont on parle peut être à l’image de ces pays. Dans ce cadre, les partis ne disparaissent pas. C’est sans doute à cette forme d’organisation du RHDP que pense la présidente Henriette Dagri Diabaté lorsqu’elle a demandé aux militants lors du Congrès extraordinaire, de ne pas s’inquiéter parce que le RDR ne disparaîtra pas. Dans son discours de clôture, le président d’honneur du parti a dit la même chose. Doit-on penser à une fusion-absorption ou une fusion-fédération ? La position finale sera celle adoptée par les instances du parti et publiée à travers sa cellule de communication.
Que pensez-vous de ceux qui fustigent ce projet de parti unifié et qui pensent que c’est un retour au parti unique ?
Non, ce n’est pas un retour au parti unique. Nous ne demandons pas, par exemple, au FPI de nous rejoindre. Sur l’échiquier politique en Côte d’Ivoire, il y a plus d’une centaine de partis politiques. Dans le cadre du parti unifié, sont seuls concernés et appelés à l’unification six partis politiques qui déclarent partager la philosophie d’Houphouët-Boigny. Tous les autres partis politiques, peuvent travailler à permettre l’expression du pluralisme et de la démocratie sur le terrain. C’est pourquoi, je pense que ce qui s’est passé au cours du Congrès de l’UPCI n’est pas à condamner. C’est l’expression de la liberté au sein du RHDP. Il faut laisser ce Parti digérer sa position et voir en cela le début de quelque chose de nouveau. La démission de leur vice-présidente en est un signe annonciateur. Parfois, on est obligé de quitter ce qu’on veut pour trouver ce qu’on mérite.
Au sein du PDCI, il y a une frange non négligeable qui s’oppose farouchement à ce projet de parti unifié. Quel commentaire ?
Je note qu’il y a des gens qui ne comprennent certaines choses que quand ils en subissent les conséquences. Quel est l’intérêt du parti unifié ? De 1960 à 1993, la Côte d’Ivoire a connu une période de stabilité et de paix, période qui lui a permis de se développer sous la houlette du président Houphouët Boigny. Pendant cette période, la Côte d’Ivoire a connu ce que tous ont appelé le miracle ivoirien. A la mort d’Houphouët Boigny, la Côte d’Ivoire a offert l’image d’un pays déchiré dans tous les sens, parfois à cause d’intérêts personnels. De 1993 jusqu’en 2010, nous savons ce qui s’est passé. Après 2010, au moment où les Houphouëtistes se sont mis ensemble pour travailler, nous observons le retour de la prospérité, gage du développement durable. Mieux, aujourd’hui, nous parlons d’émergence. Pourquoi alors ne pas formaliser cet accord entre partis politiques qui a permis ce retour à la normalité et à la prospérité ? Pourquoi ne pas se retrouver dans l’intérêt supérieur de la Nation, dans une structure qui permet le retour du pays à un climat de paix propice au développement économique ? Je ne pense pas que l’unification dans le cadre du RHDP soit nuisible à la démocratie. Au niveau international, cet instrument permettra à la Côte d’Ivoire de retrouver sa place d’antan, comme il en offre les prémices dans l’accession de la Côte d’Ivoire au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.
‘‘Mon plus grand regret, ma plus grosse satisfaction…’’
Quel est votre regard sur le management de la nouvelle direction mise sur pied à l’issue du 3e congrès ordinaire qui s’est tenu en septembre 2017 ?
De nouvelles personnalités ont été nommées à la haute direction du Parti. Ainsi Madame Kandia Camara occupe le secrétariat général, en remplacement de Soumahoro Amadou. Madame Diabaté a pris les rênes du parti en qualité de présidente. Elle remplace le Chef de l’Etat Alassane Ouattara qui occupait ce poste. Le Parti sous la houlette de ses « dames de fer », connaît une nouvelle organisation. Plus de trente vice-présidents ont été nommés, ainsi qu’une multitude de secrétaires généraux adjoints. Des personnalités ayant marqué l’histoire récente du parti frère, le PDCI RDA, telles que l’ancien ministre Zakpa Komenan, l’ancien ministre N’guessan Joël du MFA, ont fait leur apparition dans la haute direction du RDR. Le moins qu’on puisse dire est que ce parti affiche de nouvelles ambitions au moment où on parle de fusion, dans le cadre du RHDP, avec le PDCI. Tout le monde note que cette direction est un peu pléthorique. Mais, lorsque le parti est grand et que le contact entre les militants de base et la direction centrale pose problème, je crois qu’il faut trouver une solution en décentralisant au maximum le pôle de décision. C’est pour cette raison qu’il y a eu autant de vice-présidents en fonction des régions. Ceci, pour rapprocher la direction centrale de la base. On peut voir dans cet effectif pléthorique de la direction, cet avantage de rapprochement du militant de la décision centrale. Mais vous savez que cette forme d’organisation est une nouvelle machine qui se met en place. Il faut un temps de rodage. Pour l’instant on ne voit pas tellement les effets bénéfiques. Mais très bientôt nous verrons les résultats attendus de cet éclatement de la direction.
Est-ce que Ayié Ayié Alexandre a des rapports particularisés avec la présidente Henriette Diabaté, la SG Kandia Camara?
Les hauts dirigeants du Parti ont des rapports avec les membres de sa haute direction. Les rapports ne sont pas comme vous le dites « particularisés ». Ceci dit, l’ancienneté de mon appartenance au Parti, surtout ma qualité de membre fondateur fait que je ne peux pas passer inaperçu devant les personnalités que vous citez.
Mais, d’aucuns disent que vous aviez de très bons rapports avec le Président Ouattara. Qu’en est-il exactement ?
Je ne peux pas parler de mes rapports avec lui, ni les évaluer. Je peux vous dire tout simplement que cet homme est comme un livre. Beaucoup n’ont vu que le titre sur la couverture, et parlent du livre. D’autres n’en ont lu que le résumé sur la couverture arrière, et proclament le connaître. Enfin peu de gens le connaissent pour avoir lu tout son contenu. Sans prétendre avoir lu tout le livre que représente le Président Ouattara, je puis affirmer qu’avec lui, je ne me suis pas arrêté au titre sur la couverture, ni au résumé.
Vous manifestez ici une admiration pour lui, alors que l’on vous reproche de ne l’avoir pas cité, dans une interview, parmi les personnalités que vous admirez le plus en Côte d’Ivoire.
Je me souviens en effet de cette interview donnée au Journal Soir Info, il y a bien longtemps. C’était en 2000. A l’époque, les Ivoiriens reprochaient aux militants du RDR de défier leur mentor et de ne voir que lui en Côte d’Ivoire comme le seul homme capable de diriger le pays. J’ai répondu à la remarque du journaliste en disant qu’en dehors de lui, il y a d’autres hommes de valeur dans notre pays pour conduire sa destinée. Il y a eu les Présidents Houphouët et Bédié, comme il y aura d’autres personnalités. Regardons autour du Président Ouattara. Il y a des cadres comme Amadou Gon Coulibaly pétris de qualités intellectuelles indéniables. Il y en a d’autres ailleurs. Je ne voulais pas dire autre chose comme beaucoup qui l’avaient fait et qui aujourd’hui, dans une posture acrobatique, ne jurent que par lui.
Aujourd’hui en 2018, la question qui est sur toutes les lèvres, c’est l’après Ouattara et l’échéance 2020. Comment voyez-vous l’après Ouattara et surtout le passage de témoin ?
Je ne vois pas l’après Ouattara parce que pour l’instant, le président Ouattara est au pouvoir.
C’est un débat qu’on ne peut pas fuir Puisque la politique, c’est aussi l’art de prévoir de se projeter…
Le président Ouattara a dit qu’en 2020, il va avoir un candidat du RHDP qui sera choisi selon les modalités qu’il a précisées. Chaque membre du RHDP donnera son candidat et c’est le meilleur que, tous les partis auront choisi qui va conduire le RHDP à l’élection présidentielle. Ce meilleur peut être le Président Bédié ou le Président Ouattara lui-même, je dis bien le Président Ouattara lui-même, le Président Mabri Toikeusse ou un autre président de parti membre du RHDP. Mais, au-delà de ceux-ci, il y a dans le RDR comme dans tous les autres partis, des personnalités capables de diriger ce pays. Il y a par exemple le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly qui a les aptitudes pour diriger ce pays. Le RDR peut voir en lui le futur porte flambeau d’un parti. Mais, comme je l’ai dit tantôt, le président Ouattara est au pouvoir. Quant à l’avenir, je crois qu’il ne faut pas avoir des craintes. La haute direction du parti trouvera les moyens pour dégager celui d’entre nous qui est le meilleur. J’ai parlé du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas d’autres. Mais actuellement, c’est lui que je vois. Il y a également le président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro et bien d’autres cadres du parti
Dans votre engagement politique au RDR, quel est votre plus grand regret, et quel est votre plus grosse satisfaction ?
Mon regret, c’est que le parti a accédé tard au pouvoir. S’il n’y avait pas ces blocages et éliminations fantaisistes de candidats, peut être que le RDR aurait accédé au pouvoir plus tôt.
Ma plus grande satisfaction aujourd’hui c’est qu’au bout du compte, le RDR a finalement accédé au pouvoir avec le bilan globalement positif de la gouvernance du Président Ouattara.
Regardez les importants investissements réalisés dans les infrastructures économiques, les routes, les ponts, les nouvelles universités, les écoles… Tout ceci préfigure un autre miracle ivoirien, notons encore le rayonnement de la Côte d’Ivoire dans la sous-région, en Afrique et dans le monde entier, son siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Je suis fier de ce que c’est par le RDR au pouvoir que la Côte d’Ivoire a renoué avec la croissance et converse avec les grands pays de ce monde.
Interview réalisée par Kra Bernard