Dans leur majorité, les journaux ivoiriens sont dans le rouge. Mévente, absence de publicités, réduction du lectorat…constituent entre autres, les difficultés auxquelles est confrontée la presse (écrite) nationale. En témoignent les chiffres publiés par l’autorité nationale de la presse (Anp).
De 2006 à 2018, en effet, ce sont 258 titres qui sont tombés dans le domaine public. Soit 37 quotidiens, 132 hebdomadaires et Bihebdomadaires, ainsi que 89 mensuels et autres périodicités.
En 2018, il ne restait plus sur le marché de la consommation de l’information, que 77 publications éditées par 67 entreprises de presse, qui ont livré 23 601 776 exemplaires à Edipresse dont 7 150 257 ont été vendus, soit un taux de vente de 30,30% pour un chiffre d’affaires de plus de 2,3 milliards FCFA.
Alors question : qu’est ce qui explique cette galère de la presse papier ?
Le contenu ?
La question du contenu est évoquée comme l’une des raisons fondamentales, mais pas la principale. En effet, la presse ivoirienne, on peut le dire sans se tromper, est un domaine où la liberté d’expression s’est le plus exercée depuis 1990. Mais, obligés parfois de survivre grâce à la générosité d’hommes politiques, de nombreux journaux publient des contenus souvent politisés, partiaux, acerbes, violents, injurieux, incitateurs à la haine, à la xénophobie et au tribalisme.
Conséquence, rien que pour l’année 2018, ce sont 393 manquements à l’éthique et à la déontologie qui ont été constatés, révèle l’Anp.
Pour Patrice Yao, président du Groupement des éditeurs de presse de Côte d’Ivoire (Gepci), il faut repenser le contenu, car les journaux parlent de la même chose. Poursuivant, le président des éditeurs de presse préconise les grands genres qui mettent en lumière le vécu des citoyens et traite des questions de fond.
Son argument est amplifié par Bertrand Holl, le Directeur général d’Edipresse. A en croire ce dernier, l’actualité politique prédomine dans les journaux au détriment des autres sujets. «Quand on prend les journaux français, on trouve plein de sujets dans les uns qui ne figurent pas dans les autres et qui sont des sujets de fond. Alors qu’en Côte d’Ivoire, les sujets traités sont tous un peu similaires, et se nuisent par leur similitude», déplore t-il.
La distribution,…
La question de la distribution ne peut pas être occultée. Si pour les Editeurs de presse, le mode de gestion d’Edipresse est dépassé et qu’il n’intègre pas un certain nombre de mécanismes, l’entreprise se défend.
Pour son directeur général, Bertrand Holl, l’entreprise accuse certes du retard pour solder les factures des journaux, mais sur la distribution, elle met les moyens. « On est présent partout dans le pays. Sur les 32 régions, on est présent dans 31. Souvent, par les stations services, les marchands traditionnels, les bureaux de la poste. Si nous ne sommes pas présents dans la 32e région du pays, c’est justement parce qu’il n’y a pas de bureaux de poste en état de fonctionnement véritable », explique le directeur.
Toujours, d’après lui, Edipresse est passée de 30 centres de vente dans les régions, à 82 et a gagné en moyenne une heure sur l’horaire de livraison de sorte que toutes les villes sont servies avant 16h.
Bertrand Holl pointe du doigt les marchands traditionnels qui ont tendance à se retirer pour faire d’autres activités.
«Quand le métier est fait par un marchand de journaux, il est fait avec plus de soin, quand c’est son activité unique. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, dans beaucoup de villes, les marchands des journaux, n’arrivent plus à vivre de la vente des journaux, parce que même s’ils vendent 100 numéros par jour, ils vont gagner 20%, pourtant vendre 100 numéros ce n’est pas petit. Mais avec 6 000 F, s’il a une boutique, des frais d’électricité, il n’arrive plus à tenir ses charges », explique-t-il.
Puis d’ajouter : « Notre souci est qu’aujourd’hui, les marchands traditionnels ont tendance à se retirer, pour faire d’autres activités. On les remplace par les bureaux de postes, par les stations, mais ce n’est pas la même qualité. Il n’y a pas ce travail personnalisé. Mais, nous faisons l’effort d’être partout, en grande partie grâce à la poste »
Le niveau de culture des journalistes,…
Sur cette question, Jean Claude Coulibaly, président de l’Unjci est formel. «Les journalistes doivent élever le niveau ». Dès lors que l’entreprise est bien structurée avec des journalistes sérieux, poursuit-il, cela attire les lecteurs.
«La licence de notre métier, c’est la culture. Un journaliste qui n’est pas cultivé, ne peut pas apporter le plus que la société attend. A travers ses écrits et ses reportages. Si vous n’avez pas ce qu’on appelle le background, il est difficile d’exceller dans le domaine que nous avons choisi qui est le maniement de la langue », argumente-il.
Pour être des journalistes de qualité, il propose la lecture régulière des œuvres et une auto-formation. «Quand la qualité de l’écriture n’est pas au-dessus de la moyenne, il est clair que vous perdez une partie du lectorat qui est l’élite, qui a été formée, qui a été bien éduquée, qui est allée dans de bonnes écoles. Si vous voulez véritablement séduire et draguer cette partie du lectorat, il est vrai que vous devez donner une production de qualité. Qui soit au-dessus de la moyenne», pense M. Coulibaly.
Une crise structurelle,…
Pour Guillaume Gbato, Secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la presse de Côte d’Ivoire(Synappci), le problème se trouve à la création des journaux. Le printemps de la presse en 1990, n’a pas été, selon lui, l’occasion de créer au départ de véritables entreprises de presse dans un environnement structuré et organisé y compris par les acteurs eux-mêmes mais aussi par l’Etat de Côte d’Ivoire. La presse est née dans un environnement hétéroclite. « C’étaient des moments d’effervescence démocratique et les responsables n’ont pas pris le soin de dire qu’une entreprise de presse est d’abord une entreprise normale. Ce problème a poursuivi la presse jusqu’à son accentuation », soutient il, dans un entretien.
La rareté de la petite monnaie,…
Le problème des pièces de monnaie se pose en Côte d’Ivoire depuis 1996, soit deux années après la dévaluation du F CFA par rapport au franc français, intervenue en janvier 1994. Au point qu’elle est source de nombreux désagréments entre les différents secteurs qui se rejettent la responsabilité de la disparition de la monnaie de transaction.
Elle entrave fortement la vente des journaux, car très souvent, le client se voit refuser l’achat pour problème de monnaie.
Pour contourner cette difficulté, les institutions doivent apporter leur concours. Le Gepci, L’Unjci et les autres organisations de la presse doivent faire des suggestions à ce niveau. Une étude de la carence de la petite monnaie serait importante pour voir les mesures qui peuvent être mises en œuvre pour rétablir les normes de circulation fiduciaire. « Il s’agit, entre autres, de rechercher les facteurs économiques essentiels de la pénurie des petites coupures de monnaie, d’identifier les principaux agents susceptibles d’être à l’origine de cette pénurie, de décrire et d’analyser son impact sur les différents secteurs d’activité, et surtout d’être éclairés sur les voies de résolution d’une telle crise », proposent également les économistes Tedongap Nguefack Romeo Raymond et Grangerwilfrid, dans un rapport.
Les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux seraient en partie responsables de la chute des ventes. Le lectorat selon certaines enquêtes, passerait plus de temps devant son smartphone, sa tablette ou son ordinateur pour discuter, pour se faire des amis, pour visionner une vidéo en ligne ou partager des images, plutôt que de lire un journal. Selon l’agence ‘’we aresocial’’, sur une population d’environ 25 220 000 habitants présents sur le territoire ivoirien, on dénombrait à fin 2018, 11 060 000 millions de personnes qui utilisaient internet en Côte d’Ivoire. Le nombre des plus actifs sur les réseaux sociaux en Côte d’Ivoire était de 4 900 000 millions de personnes soit un taux de pénétration de 19%. Les internautes qui se connectent le plus souvent avec un mobile sont estimés à environ 4 500 000 millions soit un taux de pénétration de 18%. Des chiffres plus élevés.
Au premier semestre 2019, les usagers des réseaux sociaux ont augmenté, avec 67,4% d’individus ayant déclaré être inscrits sur au moins un réseau social, selon mediametrie.fr.
Les perspectives
Pour Edipresse, il lui faudrait une aide gouvernementale, qui permettra d’ouvrir des boutiques en région. Quant aux entreprises de presse, des subventions conséquentes des pouvoirs publics seraient les bienvenues. D’ailleurs, le président de l’Unjci Jean Claude Coulibaly sollicite l’Assemblée nationale et le Sénat, pour une subvention directe de 8 milliards de FCFA de l’Etat à la presse.
Une autre perspective serait de rationaliser le secteur, en favorisant la concentration actionnariale.
Comme alternative, l’on pourrait aussi développer des synergies entre des journaux locaux, capables de diffuser en langues locales, et des journaux nationaux. Enfin, en l’absence de possibilité réelle de subventions gouvernementales, l’on gagnerait aussi à créer des médias indépendants à but non lucratif.
L’agrafage des journaux
L’agrafage des journaux serait aussi une solution bénéfique qui éviterait les fraudes, les locations. Mais cette solution est techniquement lourde pour les imprimeurs. Aucun d’entre eux n’est prêt à le faire pour le moment. La cherté rajouterait un module dans leur processus d’impression qui est compliqué. L’Etat pourrait donc apporter une aide à ce niveau.
Fulbert YAO (herrwall2007@yahoo.fr)