La destruction à Grand Bassam d’un bâtiment prestigieux et emblématique du site classé « Patrimoine mondial de l’Unesco » a fait l’effet d’une onde de choc. Deux mois après, nos reporters se sont rendus dans la Ville historique, précisément sur le lieu du ‘‘crime’’.
A Grand Bassam, on a déjà tourné la page de la destruction de l’ex ‘‘Celtic-bar’’, un des bâtiments prestigieux et emblématique du « Patrimoine mondial de l’Unesco », rasé le 8 janvier dernier. Le site est situé non loin du Centre céramique et de la première salle de cinéma de la Côte d’Ivoire. Au temps colonial, ce centre était un haut lieu de distraction des colons. Les Libano-syriens et les Africains, pour passer de bons moments, ont créé le Celtic-bar. Le bâtiment est d’ailleurs présenté comme l’ancêtre de tout ce que qu’on appelle communément ‘‘maquis et bar’’.
Lorsqu’on demande aux habitants ce qu’ils savent du bâtiment rasé et leurs sentiments après cette destruction, ils marquent, pour la plupart, un grand étonnement. Ils ne savent pas trop quoi répondre. Beaucoup de Bassamois avouent ne pas savoir de quoi il est question. Et pourtant, depuis 2012, date de l’inscription de Grand-Bassam sur la liste du « Patrimoine mondial de l’Unesco », tout un arsenal d’arrêtés et de décrets protège plus de 110 hectares de la ville historique. Toute la zone, depuis l’entrée du ‘‘Pont de la victoire’’ au cimetière colonial sur la route d’Azuretti en passant par la zone résidentielle, la cité administrative et le village N’Zima, est protégée.
Il faut une autorisation préalable pour restaurer son propre bien immobilier ou pour couper un arbre dans cette zone. Seulement voilà, malgré toutes ces mesures, la famille Anani a réalisé l’impensable en rasant un bâtiment historique et des arbres centenaires. Faut-il craindre pour les autres bâtiments de la ville historique ? Qu’est ce qui est fait pour protéger le site ?
Après la traversée du Pont de la victoire, le visiteur tombe sous le charme de la ville historique. L’architecture des bâtiments qu’on ne trouve nulle part dans le pays, l’histoire de chaque élément du site, la ‘‘marche des femmes’’ sur le pont en 1949, la valeur environnementale, paysagère et culturelle avec l’Abissa… C’est d’ailleurs à partir de ce mythique pont, chargé d’histoires, qu’on a cette heureuse sensation que la première capitale de la Côte d’Ivoire (1893-1900) est dans un jardin aménagé. «(…) Dès que vous descendez du pont, le visiteur est accueilli par les manguiers centenaires. Ces manguiers ont été plantés dans les années 1940.
C’est pourquoi, il est interdit de couper les arbres sur le site. Partout, on retrouve de la verdure. Quand vous avez la chance, un jour, de voir un plan aérien de la ville historique, c’est extraordinaire», assure Djako Romaric, Secrétaire exécutif de la Ville historique de Grand-Bassam. Le patron de la ‘‘Maison du patrimoine’’ est aujourd’hui sur le pied de guerre. Avec sa petite équipe logée dans un des ‘’bâtiments exceptionnels’’ du site qui abritait au temps colonial la poste et les services de douanes, l’homme multiplie les séances de travail et les rendez-vous. Le spectre du drame du 8 janvier impose que des mesures urgentes soient prises pour protéger le site.
Car, comme l’actuel siège de la Maison du patrimoine, il faut renforcer la surveillance autour de l’ex-palais du gouverneur devenu un musée, tout comme l’ex-palais de justice» pratiquement en ruine, l’évêché, le siège épiscopal où encore l’église locale. Ce dernier bâtiment récemment restauré présente désormais un beau visage. Au temps colonial, il jouait le rôle de commissariat et de centre de commerce. Plus loin, se trouve la maison Ganamet située au quartier commerce, elle est également en ruine.
Ce sont tous des bâtiments préfabriqués depuis la France et transportés sur de gros porteurs jusqu’à Grand-Bassam par la mer. Une fois surplace, ils étaient montés avant de laisser la place pour la maçonnerie. La Maison du patrimoine assure également la protection «des bâtiments remarquables», une vingtaine environ sur le site, comme l’actuelle mairie de Grand-Bassam, la préfecture, la sous-préfecture, l’ancien marché transformé aujourd’hui en bibliothèque centrale et la salle Jean-Baptiste Mockey. Enfin, on trouve les bâtiments ordinaires, plus de 80 sur le site.
Des travaux de nuit pour contourner les mesures d’interdiction
«Notre travail n’est pas facile. Il arrive qu’on nous appelle à 22 heures voire 23 heures pour nous informer que des individus sont en train de procéder à une extraction de sable en bordure de mer. Cette activité est complètement interdite. Car, la conséquence, c’est l’érosion (…) Généralement, les particuliers entament des travaux de constructions le week-end, c’est-à-dire les samedis et les dimanches où l’administration ne fonctionne pas. Nous parvenons toujours à les arrêter», confie le Secrétaire exécutif.
La veille est donc permanente pour les agents de la Maison du patrimoine. Sept jours sur sept et 24 heures sur 24, des inspections sont menées pour dissuader les particuliers qui veulent, en dehors de toute consultation du Comité, entamer des travaux de restauration des vieux bâtiments. Ce matin du 13 février, les responsables de l’établissement scolaire ‘’Bassam 4’’ qui doivent refaire leur clôture ont effectué le déplacement à la Maison du patrimoine pour avoir le feu vert des gardiens du site historique.
De l’avis du Secrétaire général, ces dossiers dits légers sont facilement gérables au niveau du Comité. Pas besoin, assure-t-il, de réunir les deux comités locaux et la Commission de permis de construire pour accéder à la demande. Mais, du côté de la Maison du patrimoine, on préfère rester prudent. Une équipe devrait superviser les travaux afin de s’assurer que le site ne sera pas dénaturé. Il arrive même que, pour contourner la Maison du patrimoine, des travaux soient engagés nuitamment.
Une entreprise, rapporte Romaric Djako, qui sous-traitait avec un grand groupe de téléphonie mobile en Côte d’ Ivoire, a entamé des travaux de nuit. Cette entreprise, a-t-il précisé, construisait des tranchées pour faire passer les fils optiques. «Le hic, c’est que la Maison du patrimoine n’était pas informée de ces travaux. Ce jour-là, la chance nous a souri. Car un de mes agents est descendu un peu tard du bureau, aux environs de 22h.
Au niveau du Pont de la victoire, il a vu des ouvriers en plein travaux autour des manguiers centenaires pour faire passer les fils de la compagnie de téléphonie mobile. Nous avons alerté le préfet pour faire arrêter les travaux», a confessé M. Djako.
Fofana Ali