Dans cet entretien accordé à l’infoexpress à la faveur de la 9ème édition du Salon africain de l’invention et de l’entreprise innovante (Saiit), du 24 au 26 juillet 2023 à Abidjan, l’ivoirien Alain Fabrice Kouamé, inventeur du carburant à base de déchets plastiques nous livre les secrets de sa création.
La Côte d’Ivoire accueille pour la première fois le Saiit. Quelles sont vos motivations en participant à ce salon ?
Je remercie l’Oapi (Office africain de la propriété intellectuelle, ndlr) de m’avoir invité. Il faut savoir qu’il y a eu beaucoup de postulants. Et dans ma catégorie, nous étions 158 personnes. Seulement deux (2) ivoiriens ont été retenus. C’est un salon important qui permet de nouer des partenariats mais aussi des contacts avec d’autres stands. Ce salon réunit plusieurs pays africains en vue de savoir ce que chaque pays, en particulier la Côte d’Ivoire, fait pour le développement de notre continent. Ici, j’ai même croisé un stand où on fabrique des machines industrielles. Et là, je peux me rapprocher des inventeurs pour obtenir des machines au profit de mon entreprise.
Justement quel est le produit que vous présentez aux visiteurs ?
Actuellement je fabrique du carburant précisément de diesel à base de déchets plastiques à savoir les sacs plastiques, les verres et bouteilles en plastique.
Quelle est la spécificité de ce produit ?
Il faut savoir qu’à la base, le pétrole vient du plastique. Et comme le plastique est un problème environnemental alors je choisis de recycler ces déchets plastiques en les transformant en carburant.
Comment se passe le processus de fabrication, de la collecte jusqu’au produit fini ?
Simplement expliqué, je collecte les déchets plastiques et je les chauffe à la vapeur. Ensuite on va refroidir cette vapeur pour obtenir du carburant. Pour commencer, il faut un réacteur, des condenseurs sans oublier un système de sécurité bien renforcé. Je dirai aussi qu’il faut respecter les températures au moins six cent degrés (600°). Toutefois je ne peux pas donner beaucoup de détails parce que l’invention a été brevetée donc elle détient une licence.
Quelle est la fréquence de traitement de vos produits ?
Pour le moment, on n’est pas encore une grande entreprise qui produit à grande échelle. Nous faisons une production à petite échelle c’est pourquoi nous avons décidé de participer à ce salon pour mieux nous faire connaître et tisser des partenariats.
Qui peut utiliser votre produit et comment l’utiliser ?
Toute personne ayant un véhicule qui fonctionne avec du diesel peut utiliser le produit. Que ce soit, une voiture, un tracteur ou un groupe électrogène. Un exemple simple, si dans un village il n’y a pas d’électricité, il suffit de collecter les déchets plastiques qu’on va transformer en carburant à l’aide d’un groupe électrogène, le village a de l’électricité.
Quand est-ce que vous avez lancé vos activités ?
Cela fait près de 5 ans que j’ai commencé. D’abord je me suis concentré sur l’obtention d’un produit de qualité. Ensuite j’ai mené des actions dans le but de faire connaître le produit. Pour ce faire, j’ai été plusieurs fois à des émissions télévisées notamment C’midi. Aussi j’ai participé à un concours des inventeurs, organisé par la Fondation Friedrich Naumann que j’ai gagné. Ce qui m’a permis d’aller en Allemagne pour représenter la Côte d’Ivoire en vue de présenter mon projet. Là, il y avait environ cent (100) inventeurs de différents pays dont des japonais, des américains et bien d’autres nationalités. Je n’ai pas été premier lors de ce concours mais je suis revenu avec beaucoup d’expérience, des contacts et j’ai eu d’autres formations. Cette année j’ai participé au concours organisé par petro ivoire où j’ai remporté le prix spécial.
Avec le riche parcours que vous avez en seulement cinq années, pouvez-vous affirmer que la transformation des déchets est une réalité en Côte d’Ivoire ?
Je dirai plutôt que ça commence bien. Il y a quand même des usines et des entreprises qui collectent des déchets en grande quantité et qui l’exportent. Peut-être pas pour en faire du carburant. Sinon le marché commence à s’agrandir. Il y a même une entreprise qui collecte des déchets en type PET (Le PET ou Polytéréphtalate d’éthylène, est utilisé pour conditionner 70 % des boissons gazeuses, des jus de fruits, des boissons diluables et de l’eau en bouteille). Par contre, il faut dire qu’on (la Côte d’Ivoire) n’a pas encore développé le recyclage mais il y a beaucoup de choses qui se font.
Hormis la transformation des déchets plastiques en carburant, nourrissez-vous d’autres projets comme la transformation en gaz ?
Pour le moment non. Parce que la transformation en carburant nous prend beaucoup de temps. Toutefois je précise que dans le processus de transformation, j’obtiens non seulement du pétrole mais aussi de l’essence et du gaz. Mais l’essence et le gaz n’ont pas encore été testés.
Avec le phénomène de la contrefaçon, avez-vous pensé à protéger vos produits ?
Oui nos produits sont protégés. De toutes les façons la contrefaçon existe donc il faut rester vigilant.
Avez-vous des soutiens ?
Personnellement je travaille sur fond propre. L’État peut faciliter les financements dans la perspective de l’année de la jeunesse. Dès que cela est fait, c’est à nous jeunes d’être responsable de cet appui et d’en faire bon usage parce que la plupart des bénéficiaires de financements ne sont pas responsables. Non seulement, l’Etat doit faciliter les financements mais aussi il doit avoir un suivi sur l’utilisation stricte des financements.
Ça devrait être difficile sans financement, où trouvez-vous alors les ressources pour continuer vos activités ?
J’avais une ferme où j’élevais et vendais des chiens de race. Je fais aussi des petits jobs. En somme, je travaille et je fais des recherches en même temps.
Quel est votre message à l’endroit des jeunes entrepreneurs ou de ceux qui voudraient vous emboîter le pas ?
Je vais être franc avec vous. C’est vrai que l’invention m’a permis de voyager, j’ai pu découvrir d’autres horizons mais tout cela n’a pas été facile. C’est très difficile d’entreprendre, d’inventer ou d’innover. Alors je ne condamnerais pas celui qui n’a pas l’envi de le faire. Depuis cinq ans, toutes mes dépenses sont sur fonds propres. C’est après avoir obtenu des résultats que j’ai commencé à postuler pour des concours. Mais les concours ne donnent pas de financements. C’est bien parce que cela te donne un coup de pouce. Cette activité demande du temps, de l’énergie, du courage et surtout de l’argent. Si c’était à refaire je ne pense pas que j’y arriverais. Mon conseil serait d’être positif dans ce qu’on fait.
Avez-vous suivi une formation pour réaliser cette invention
Mon domaine n’a rien à avoir avec ma formation. Je suis autodidacte. J’ai fait un Baccalauréat série C au lycée mixte de Yamoussoukro. Puis un BTS en comptabilité et un Master en Audit et contrôle de gestion. Le déclic est venu lorsque j’ai constaté les inconvénients des déchets plastiques sur la santé. Je faisais beaucoup de recherche. Petit à petit, je crée des machines. J’encourage les jeunes à faire des recherches, c’est bien d’aller sur les réseaux mais c’est très important de se cultiver. Personnellement, au lieu d’acheter un joli téléphone, j’achète une machine pour fabriquer. Parfois ça n’a pas marché mais j’ai continué. Il m’est arrivé de mettre 500.000 Fcfa où un (1) million de Fcfa dans une machine et à la fin, l’activité ne marche pas.
Réalisé par Serge A. N’Zebo (Stg)