Vous avez décidé d’écrire votre premier roman intitulé ‘‘ce n’est pas le tonnerre mais notre estomac qui gronde’’ totalement en ‘‘nouchi’’ (un jargon ivoirien. Ndlr). Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire dans cet argot ivoirien ?
J’ai l’amour de cette langue. Ce qui rend cette œuvre unique, ce n’est pas tant l’histoire racontée, car elle est assez commune et reflète le vécu de nombreuses personnes. Ce qui distingue ce roman, c’est le langage utilisé. Le ‘‘nouchi’’ représente pour moi une extension naturelle de mon travail dans le slam, où j’ai la particularité de slamer en ‘‘nouchi’’. Ainsi, ce livre est une continuation de cette forme d’expression. C’est une façon de montrer mon affection pour cette langue et mon désir de promouvoir le ‘‘nouchi’’.
Dans ce choix stylistique, quels auteurs ou œuvres vous ont inspiré ?
Ce n’est pas un auteur qui m’a inspiré, mais plutôt le quotidien. Le ‘‘nouchi’’ est une langue que nous utilisons tous les jours depuis notre enfance. Ayant grandi à Adjamé, c’était naturel pour moi de m’exprimer ainsi. Cette forme d’expression nous a donc suivis même après nos études. J’ai eu la chance de faire des études universitaires, où j’ai appris des rudiments poétiques me permettant de m’exprimer de manière raffinée. J’ai donc souhaité appliquer ces techniques littéraires acquises à la faculté des lettres modernes au ‘‘nouchi’’. Ce, dans l’optique de créer quelque chose d’unique.
Dans une vidéo, vous affirmez que le ‘‘nouchi’’ devrait être enseigné à l’école. Pouvez-vous être un peu plus clair ?
Une langue naît, atteint un certain niveau et peut éventuellement disparaître. Le destin d’une langue, qui pour moi est une culture, doit être partagé. Aujourd’hui, nous parlons le français, non pas parce qu’il est né en Côte d’Ivoire, mais parce qu’il a parcouru des siècles et nous est parvenu par le biais de l’enseignement. Le ‘‘nouchi’’ devrait suivre le même parcours. Si nous voulons que cette langue ivoirienne ait un impact maximal, elle doit être intégrée dans l’enseignement. Le ‘‘nouchi’’ est une part de notre identité culturelle. Il faut donc éviter que cette culture disparaisse. Tout comme nous sommes fiers de présenter nos monuments, nos paysages, et notre cuisine. Nous devrions de la même manière être fiers de mettre en avant le ‘‘nouchi’’ car une culture non partagée finit par s’éteindre. Pour assurer la survie du ‘‘nouchi’’, il est crucial de le transmettre par l’enseignement.
Plus haut, vous avez dit que le ‘‘nouchi’’ est une part de notre identité culturelle. Pourquoi cette affirmation ?
Le ‘’nouchi’’ est notre culture parce qu’il nous caractérise et nous distingue en tant que peuple. La culture est ce qui permet de différencier un peuple. Par exemple, lorsque l’on parle du peuple Dan, on pense à ses masques et à ses montagnes. Quand on évoque le Sénégal, on pense naturellement au Tchêp (une spécialité culinaire sénégalaise). Le Wolof est également associé au Sénégal. C’est de cette même manière que le ‘‘nouchi’’ nous distingue. Si, en France, deux personnes parlent en ‘‘nouchi’’, on se sent immédiatement concerné et connecté à la même culture. Le ‘‘nouchi’’ est une part intégrante de notre identité.
Comment votre œuvre a-t-elle été reçue par le public et la critique jusqu’à présent ?
Franchement, je ne m’attendais pas à un tel engouement. Depuis sa sortie, l’œuvre ‘’ce n’est pas le tonnerre mais notre estomac qui gronde’’ a été majoritairement bien accueillie. Bien sûr, il y a eu des critiques et des suggestions d’améliorations, ce qui est normal. Cependant, dans l’ensemble, les retours ont été très positifs. Les lecteurs ont particulièrement apprécié l’utilisation distinctive du ‘‘nouchi’’. Beaucoup ont même affirmé avoir appris à parler cette langue grâce à ce livre. L’accueil a donc été vraiment favorable.
‘‘Le nouchi’’ n’est pas une mauvaise langue…’’
Selon vous, comment cet argot évolue-t-il par rapport au français standard ?
Le ‘‘nouchi’’ évolue très bien et très rapidement. C’est une langue si dynamique qu’il serait complexe de s’accorder sur une pédagogie fixe. Aujourd’hui, il suffit de regarder la sphère médiatique et sociale pour constater l’évolution du ‘‘nouchi’’. Autrefois, il était inimaginable que des médias nomment leurs émissions en ‘‘nouchi’’. Mais aujourd’hui, cette langue s’infiltre dans la communication, sur les panneaux publicitaires et même dans les discours politiques. Le ‘‘nouchi’’ est omniprésent et n’a pas encore atteint son apogée. Sur les réseaux sociaux, tout le monde veut parler comme un Ivoirien, c’est-à-dire parler en ‘‘nouchi’’. En France, dans la musique et la culture populaire, l’influence du ‘‘nouchi’’ est palpable. Il est donc important de ne pas considérer le ‘‘nouchi’’ comme l’antithèse du français. Le ‘‘nouchi’’ n’est pas une mauvaise langue, mais une langue qui évolue de manière normale. Les fautes en français chez les élèves ne sont pas dues au ‘‘nouchi’’, mais à des lacunes dans le système éducatif. L’on peut très bien parler correctement le ‘‘nouchi’’ et en même temps parler correctement le français. La preuve en est que depuis le début de cet entretien, j’ai utilisé très peu de mots en ‘‘nouchi’’. Nous n’avons jamais introduit de mots en’ ‘nouchi’’ dans nos rédactions scolaires. C’est donc à chacun de savoir faire la part des choses, et cela relève d’un travail collectif de la société. Le ‘‘nouchi’’ est une belle langue et une partie intégrante de l’identité culturelle ivoirienne. Nous ne devrions pas hésiter à le parler.
Pensez-vous que le Nouchi pourra un jour supplanter le français ?
Non, je ne pense pas que le nouchi puisse un jour supplanter le français. Cela serait dans l’ordre naturel des choses. Actuellement, combien de personnes parlent encore le latin ? Pratiquement personne. Certaines langues ont disparu au fil du temps. C’est pour cela que nous parlons de langues vivantes, en opposition aux langues mortes. Dans l’évolution normale des langues, le français pourrait être confronté à d’autres réalités. Le français n’est pas seulement modifié en Côte d’Ivoire. Il existe aussi le français québécois, le français belge, etc. Chaque région a en effet sa manière d’approprier la langue et de l’adapter à ses besoins. Alors, ce ne serait peut-être pas le ‘‘nouchi’’ qui causerait des changements majeurs, mais plutôt l’évolution de l’environnement et des mentalités. Cependant, il est important de souligner que le français est une belle langue et qu’il ne faudrait pas qu’elle disparaisse.
Réalisé par Meshack Eman (Stg)
Légende : Kapegik, adepte de la promotion culturelle de la Côte d’Ivoire. Ph : Dr