Dans un entretien à Tv5 monde Afrique le lundi 31 mars 2025, le président du PDCI Tidjane Thiam revient sur la crise dans son parti, la question des élections inclusives et les ambitions de sa formation politique pour la présidentielle d’octobre prochain.
Ci dessous, l’intégralité de l’entretien
En Côte d’Ivoire, le PDCI-RDA semble sur la voie de l’apaisement interne. La semaine dernière, Tidjane Thiam, le président du parti, a annulé les sanctions à l’endroit de tous les militants concernés par des mesures disciplinaires et qui étaient suspendus de leurs fonctions. Une décision qui intervient avant la réunion du bureau politique prévue le 5 avril à Yamoussoukro, une étape déterminante dans la préparation de la présidentielle prévue en octobre prochain.
Tidjane Thiam, bonsoir et merci d’être avec nous. Pourquoi avez-vous pris cette décision ?
Laquelle ?
Celle d’amnistier des personnes qui étaient concernées par les sanctions disciplinaires ?
Nous sommes un peu surpris par toute cette affaire et je ne veux pas m’apesantir là-dessus. Mais il s’agit d’une personne qui a porté son cas devant les tribunaux, ce qui est déjà en contradiction avec nos textes et nos statuts. Nous étions pris dans une tourmente qui ne se justifiait pas. On a 312 délégués en Côte d’Ivoire. Il s’agit d’un délégué sur 312. Donc, dans un esprit d’apaisement, je me suis dit qu’il valait mieux lever cette sanction et permettre à cette personne de participer au grand débat politique.
Donc, notre surprise est relative, parce qu’on nous demande quand même de continuer cette procédure le 2 avril.
Pour nous, la procédure est morte puisque l’objet de la procédure était qu’elle puisse assister à la réunion. On lui a donné cette possibilité. On nous dit maintenant qu’elle a changé ses demandes, ce qui, selon mes avocats, n’est pas conforme à la loi. Elle a formulé une nouvelle série de requêtes, demandant que moi-même je sois démis de mes fonctions, qu’il y ait un administrateur provisoire, etc.
Ce n’est pas l’essentiel pour nous.
Pensez-vous que cette amnistie va permettre aux parties d’entrer dans la voie de l’apaisement ?
Le parti est apaisé. Vous savez, l’unanimité, personne ne peut l’obtenir.
Nous suivons de façon moderne l’état d’opinion dans le parti, à la base. Il y a 84 % des membres de la convention qui me soutiennent sans réserve. C’est beaucoup. Dans n’importe quelle structure de nos jours, 84 % d’approbation, ça fait rêver.
Donc, vous n’êtes pas inquiet ?
Non, je ne suis pas inquiet du tout.
Récemment, vous avez exprimé des inquiétudes au sujet de la liste électorale publiée par la CEI, la Commission électorale indépendante. Le 17 mars, selon vous, la Côte d’Ivoire risque de se diriger vers des élections non inclusives. Pensez-vous que l’ancien président Laurent Gbagbo, son ancien ministre Charles Blé Goudé, ou encore Guillaume Soro, l’ancien président de l’Assemblée nationale, devraient pouvoir figurer sur cette liste et se présenter à l’élection présidentielle ?
Mon point de vue, c’est que, pour qu’une démocratie fonctionne, il faut dépasser certains conflits qui ont posé problème dans notre pays. Et quels que soient les sentiments des uns et des autres, je pense qu’un geste d’apaisement, un geste de générosité qui permettrait à chacun d’être candidat et de tourner définitivement la page serait une bonne chose.
C’est de cela que nous parlons lorsque nous évoquons des élections inclusives, parce que c’est toujours possible. On a vu le cas du Sénégal. Dans tout pays, une situation peut évoluer, rien n’est jamais bloqué définitivement.
Il y a la situation judiciaire de ces trois personnes. Cela signifie-t-il qu’elles sont justiciables comme les autres ?
Dans toute situation, il faut peser les avantages et les inconvénients. Nous, ce que nous disons, c’est que les avantages d’un geste d’apaisement – qui est aussi la culture du PDCI, la culture du Président Félix Houphouët-Boigny, la culture du dialogue – sont nombreux. Il a maintes fois donné l’exemple, en pardonnant à certains, en faisant preuve de grandeur d’âme.
En Afrique, vous êtes admiré quand vous faites preuve de grandeur, pas quand vous vous vengez ou écrasez les autres. Quand vous évoquez les personnes sur lesquelles nous avons levé les sanctions, c’est dans le même esprit. Je crois que le mode de gouvernance et de leadership en Afrique qui est respecté est celui de celui qui pardonne, plutôt que celui qui punit.
Le 10 mars, avec plusieurs opposants ivoiriens, vous avez créé la Coalition pour l’alternance pacifique en Côte d’Ivoire afin d’obtenir un dialogue politique et introduire des réformes du système électoral. Comment comptez-vous obtenir gain de cause ?
Je voudrais vraiment faire une pause pour expliquer pourquoi nous faisons tout cela. C’est à cause de l’état du pays. On dit souvent que j’ai été absent longtemps. Oui, c’est vrai. Mais cela me permet de comparer la situation d’avant et celle d’aujourd’hui. Dans certains domaines, nous avons progressé ; dans d’autres, la situation est très mauvaise.
Prenez la santé : l’espérance de vie en Côte d’Ivoire, selon la Banque mondiale, est de 59 ans. Au Sénégal, elle est de 68 ans. Pourtant, le PIB par habitant en Côte d’Ivoire est 50 % supérieur à celui du Sénégal.
Comment peut-on avoir neuf ans d’espérance de vie de moins que le Sénégal ? Cela représente 93 000 morts de plus par an, soit 250 morts par jour.
Chaque Ivoirien se plaint d’aller à Ivosep. Voilà les vrais problèmes. Cette coalition est un moyen, pas une fin. La fin, c’est d’arriver au pouvoir pour mettre l’accent sur le capital humain, sur la santé et l’éducation, qui sont les piliers du développement de la Côte d’Ivoire.
À travers cette coalition, envisagez-vous une candidature commune ?
Non, nous n’avons pas du tout parlé de cela. Ce n’est pas une organisation politique. C’est une coalition pour réunir les conditions d’une élection équitable et transparente. Chaque parti garde son identité et son idéologie.
Nous avons choisi le mot « coalition » à dessein : pour une alternance pacifique. La Côte d’Ivoire a besoin d’alternance. Nous avons vu au Ghana une alternance pacifique, au Sénégal une alternance plus ou moins apaisée. Il n’y a aucune raison que la Côte d’Ivoire ne puisse pas en faire autant.
Si vous êtes élu, comment comptez-vous mettre fin à 15 ans de règne du RHDP ?
Ce sont les Ivoiriens qui peuvent y mettre fin. La seule question qui se pose, c’est : peut-on mesurer ce qui a été fait en 15 ans ? Veut-on donner 5 ans de plus au RHDP ou non ? La réponse appartient aux Ivoiriens. Nous, nous développons des propositions.
Comment comptez-vous convaincre les Ivoiriens ?
Le PDCI regorge de talents. J’ai été agréablement surpris par l’enthousiasme des cadres du parti. Nous avons mis en place six groupes de travail et nous avons reçu une avalanche de candidatures, y compris de personnes extérieures au PDCI.
Nous avons travaillé sur la paix et la sécurité, le capital humain, l’éducation, le développement durable, l’économie et l’équité. Car la croissance doit être équitable, et non seulement rentable pour quelques-uns.
Enfin, après tant d’années à l’étranger, ne craignez-vous pas que cela vous porte préjudice lors de la présidentielle ?
Nous travaillons scientifiquement. Les résultats des focus groups montrent que la majorité des Ivoiriens voient cela comme un atout.
Donc, vous n’avez pas de problème de notoriété ?
La notoriété est très élevée. J’ai sillonné le pays, tenu des meetings, et les Ivoiriens ne m’associent pas à des choses négatives.
Tidjane Thiam, merci d’avoir répondu à nos questions au sujet de la situation en Côte d’ivoire et du programme que vous comptez présenter aux ivoiriens. Et aux ivoiriennes, si vous êtes élu lors de la convention du PDCI RDA.
J’ai toujours été Ivoirien, je suis Ivoirien, je serai toujours Ivoirien. Merci beaucoup.
Retranscrit par Fulbert Yao (herrwall2007@yahoo.fr)