L’annonce des gouvernements ivoirien et ghanéen d’augmenter le prix plancher pour les producteurs de cacao et d’imposer des frais supplémentaires aux acheteurs de cacao est une étape nécessaire importante pour rendre le secteur du cacao durable. Cette initiative devrait être soutenue par l’industrie du cacao.
Le Conseil du Café-Cacao (CCC) et le Ghana CocoaBoard (Cocobod) ont décidé, à partir de 2020-2021, de facturer des frais supplémentaires de 400 $ appelé Différentiel de Revenu Vital (DRV). Cela permettrait aux deux États de mettre en place un fonds de stabilisation et de garantir un prix stable de 1820 $ par tonne aux agriculteurs. C’est environ 675 $ de plus que le prix reçu par les agriculteurs ivoiriens pendant la récolte 2018-2019 et à peu près celui qu’ils recevaient avant la chute des prix de près de 40%, en 2016.Cette hausse des prix pour les agriculteurs est un aspect essentiel de toute stratégie de développement durable. Outre le rôle évident des entreprises, les gouvernements peuvent préparer le terrain pour un secteur du cacao durable en créant une stabilité des prix à un niveau acceptable.
C’est pour cette raison que nous, acteurs de la société civile ivoirienne, nous soutenons cet effort de notre Gouvernement.
Cependant, nous avons des préoccupations auxquelles les gouvernements et l’industrie doivent répondre:
1) Une stratégie globale cohérente est nécessaire: Cette revalorisation des prix devrait s’inscrire dans une stratégie cohérente dans laquelle tous les acteurs prennent leurs responsabilités afin de respecter les droits humains des agriculteurs, de protéger les forêts et de transformer l’agriculture ouest-africaine. Augmenter le prix à la ferme est un élément essentiel pour rendre le cacao durable, mais ce n’est pas le seul.
2) Il faut s’assurer que la totalité du différentiel de 400 $ facturé aux acheteurs de cacao va aux agriculteurs. Il doit y avoir une transparence sur la part de cette manne qui reviendra aux gouvernements d’origine, et toutes les parties doivent veiller à ce que ces prix plus élevés profitent directement aux producteurs de cacao. Pour aider à garantir que des fonds supplémentaires soient versés aux agriculteurs, nous pensons que leurs représentants légitimes doivent être associés au processus, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. Cela implique qu’un environnement favorable à la légitimité et la crédibilité des organisations professionnelles agricoles de la filière cacao soit créé.
3) Il y a un grand besoin de transparence financière de la part du CCC : si des fonds de stabilisation doivent être mis en place, la gouvernance de ces fonds nécessitera une transparence, une responsabilité et une gestion inclusive considérablement modifiées par rapport aux expériences antérieures.
4) Il faut plus de protections pour les forêts et les agriculteurs: S’il n’y a pas de contrôles adéquats en place, ces réformes entraîneront la déforestation. La hausse des prix des produits de base est presque toujours corrélée à l’augmentation des taux de déforestation. Le moment est venu de mettre en place les « mécanismes de suivi conjoints » promis en 2017, dans le cadre de l’Initiative Cacao et Forêts (ICF), signée par le Ghana et la Côte d’Ivoire. Toutes les parties doivent veiller à ce que les nouvelles réformes soient bonnes aussi bien pour les agriculteurs que les forêts car, selon certaines estimations, environ 30% de la production de cacao en Côte d’Ivoire, ces dernières années, provient des parcs et des zones protégées.
Protégerles forêts tout en foulant aux pieds les droits humains de milliers d’agriculteurs, est totalement inacceptable. Les familles vivant illégalement dans des zones protégées qui sont expulsées devraient être informées en temps opportun et bénéficier de moyens de subsistance alternatifs.
5) La nécessité de mieux aborder les droits de l’homme et le travail des enfants s’impose: résoudre à lui seul la pauvreté ne résout pas le travail des enfants. Les réformes des prix ivoiriennes et ghanéennes sont prometteuses, mais un développement communautaire est également nécessaire.
6) Une réforme agricole et un contrôle de l’offre excédentaire sont de la première importance car cette initiative ne peut se suffire à elle-même. Cette nouvelle politique devrait déclencher une politique agricole et environnementale plus cohérente et globale, accompagnée d’une transparence (fondée sur des statistiques fiables) et d’uneresponsabilisation obligatoires de tous les acteurs de la filière cacao. En effet, des prix plus élevés entraîneront une offre excédentaire s’ils ne sont pas accompagnés de politiques visant à diversifier les cultures / l’agroforesterie, le reboisement, la protection des forêts, l’investissement dans les infrastructures, l’augmentation des rendements et d’autres mesures qui limitent la production de cacao. La Côte d’Ivoire a annoncé qu’elle maintiendrait son interdiction des nouveaux plants et le rajeunissement des plantations de cacao, mesures prises après le surplus de la récolte 2016-17.Toutefois, la création d’un marché intérieur africain pour les produits dérivés du cacao soutenu par un environnement des affaires favorables au développement de PME locales pourrait davantage contribuer à la stabilisation durable des prix.
7) Il est nécessaire que plus de pays agissent en synergie et rapidement: nous appelons les autres pays producteurs de cacao comme l’Équateur, le Cameroun, l’Indonésie et le Nigéria à protéger également leurs agriculteurs et à ne pas saboter cet effort ivoiro-ghanéen.
8) Il est également nécessaire que les entreprises s’engagent pour le succès de l’initiative: nous appelons toutes les entreprises de chocolat et de cacao à s’engager dès maintenant à payer suffisamment pour que les producteurs de cacao gagnent un revenu décent.
9) Les gouvernements sont maintenant plus ambitieux que les certificateurs. Il est temps que les certificateurs dépassent les seuils fixés par les pays producteurs.
Sans un prix juste les producteurs, ivoiriens notamment, seront forcés de porter sur leurs seules épaules l’affaiblissement de l’industrie du cacao. Agir pour un prix plancher équitable est devenu encore plus urgent, dans le nouveau contexte mondial de la pandémie du Coronavirus, pour protéger les plus vulnérables de la pauvreté et la misère !
Fait à Abidjan le 08 mai 2020
Pour les ONGs de l’environnement et des droits humains en Côte d’Ivoire:
1- Green Forest
2- Raidh
3-Inades
4-Vigilance citoyenne
5-Roscidet