Le dernier rapport de l’Ong Mighty Earth interpelle les gouvernants, les multinationales, les consommateurs et les producteurs sur les dangers liés à la production abusive de la noix de cajou sur la biodiversité et la sécurité alimentaire. Selon le rapport rendu publique le 9 novembre 2023, lu par Amourlaye Touré, Consultant pour Mighty Earth au cours d’un point de presse, la production de l’anacarde est une arme à double tranchant pour la Côte d’Ivoire. Car d’un côté, il a apporté aux populations des zones de production du pays, des ressources financières dont elles avaient grandement besoin, en augmentant les revenus des cultivateurs et en permettant aux ménages ruraux un meilleur accès à l’éducation et aux services de santé. Plus de 500.000 ménages en Côte d’Ivoire tirent leurs revenus de la culture de la noix de cajou, ce qui signifie que près de 2,5 millions de personnes vivent de cette industrie. Cependant, « l’explosion » de l’anacarde au cours des vingt dernières années, a créé une dépendance excessive à l’égard de cette culture. En effet, la majorité des agriculteurs abandonnent ou réduisent la quantité et la gamme de cultures vivrières et de plantes médicinales indigènes qui caractérisaient autrefois ces zones. Ce qui à moyen ou long terme aura des conséquences sur la biodiversité et entrainera une insécurité alimentaire. Le représentant de Mighty Earth en Côte d’Ivoire, a par ailleurs souligné que bien vrai que l’anacardier a contribué à stabiliser les conditions du sol dans l’extrême nord, cependant, il s’est étendu, dans d’autres régions du pays, à des zones de savane boisée sèche, remplaçant ces paysages naturels importants par des vergers d’anacardiers qui s’étendent sur de dizaines kilomètres dans toutes les directions. Cela, pour Amourlaye Toure, a des conséquences importantes sur la faune qui a besoin de diverses espèces d’arbres et d’arbustes indigènes pour prospérer. « Il est important de noter que, malgré sa rentabilité initiale, l’anacarde crée également des vulnérabilités économiques pour les ménages ruraux, qui dépendent de plus en plus du cajou comme unique source de revenus, ce qui les rend vulnérables aux baisses du marché, comme on l’a vu en 2022/2023. Cette situation pourrait se poursuivre à mesure que l’augmentation rapide de la production de noix de cajou sature le marché et que la production de noix de cajou augmente simultanément dans les pays voisins. Comme les anacardiers ont, dans de nombreuses exploitations, largement remplacé les cultures vivrières, cette vulnérabilité s’accompagne également d’un risque croissant d’insécurité alimentaire pour les agriculteurs qui dépendent des revenus du cajou pour nourrir leurs familles », a argumenté M. Touré. Malgré l’inquiétude relevée, le rapport présente une lueur d’espoir. Dans la mesure où « il existe un certain nombre de moyens par lesquels l’industrie ivoirienne du cajou pourrait continuer à prospérer en ayant un meilleur impact sur l’environnement et en permettant des moyens de subsistance et une sécurité alimentaire à plus long terme pour les ménages ruraux. » Ces moyens sont consignés dans des recommandations à l’intention du secteur public comme privé. Ces deux secteurs devraient, selon le rapport, travailler en collaboration avec les organisations de la société civile pour aider les planteurs et les ouvriers à produire, transformer et vendre les noix de cajou, afin qu’elles soient profitables sur le plan économique, tout en préservant l’environnement et la santé des personnes. À l’endroit du gouvernement de Côte d’Ivoire, le rapport recommande que l’Etat ivoirien devrait s’engager à mettre fin à l’expansion de la production de noix de cajou dans les écosystèmes indigènes. Aussi, le Conseil du coton et de l’anacarde (CCA), l’organisme public chargé de superviser l’industrie de cajou en Côte d’Ivoire, devrait entamer un dialogue multipartite sur l’impact environnemental de la culture de l’anacarde, dans le but de renforcer les normes et les réglementations du secteur et de promouvoir des chaînes d’approvisionnement en noix de cajou socialement et écologiquement responsables. Le conseil devrait partager de manière transparente les mesures prises pour protéger la biodiversité et restaurer les paysages dans les régions productrices de noix de cajou. À l’attention des entreprises qui achètent et vendent les noix de cajou, le rapport recommande, au niveau de l’exploitation, le développement d’une traçabilité complète de leurs chaînes d’approvisionnement en noix de cajou et publier ces informations sur leurs sites internet. Elles doivent faire preuve de diligence raisonnable, en consultation avec des chercheurs et la société civile locale, afin de mieux appréhender l’ensemble des problématiques environnementales et sociales des régions où elles s’approvisionnent en noix de cajou. Elles doivent collaborer avec les gouvernements, les négociants et les producteurs de noix de cajou pour mettre en œuvre des recherches et élaborer des programmes pour stopper l’expansion de la production de cajou dans les écosystèmes indigènes et restaurer les habitats dégradés. À l’attention des pays consommateurs, le rapport de Mighty Earth recommande que la Commission européenne devrait se saisir de l’occasion du processus de révision de 2024 du règlement sur la déforestation de l’UE (RDUE) pour inclure les noix de cajou dans une liste élargie de produits de base concernés par ce règlement, et pour inclure d’autres terres boisées dans le cadre du règlement. Le Congrès américain, quant à lui, doit redoubler d’efforts pour adopter une législation similaire à celle de l’UE, qui viserait à interdire les ventes de noix de cajou liées à la destruction d’habitats naturels, au même titre que d’autres produits agricoles tels que le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, la pâte à papier et le papier, le soja et le caoutchouc.
À l’endroit des bailleurs de fonds et des investisseurs du secteur de l’anacarde, le rapport demande aux agences multilatérales et les bailleurs de fonds internationaux soutenant le secteur de la noix de cajou en Côte d’Ivoire à allouer des fonds spécifiques à la recherche sur la manière de « verdir » la culture du cajou, afin d’encourager la biodiversité au sein des exploitations. Ils devraient également soutenir instituts de recherche ivoiriens et internationaux pour étudier comment augmenter la productivité des vergers de cajou existants, afin de réduire la tendance à l’expansion des exploitations dans la végétation indigène. Dans tous les financements, les bailleurs de fonds devraient encourager la planification du paysage pour savoir où l’anacarde devrait ou ne devrait pas être plantée ; et sensibiliser au fait qu’un secteur du cajou sain dépend des services écosystémiques fournis par les forêts et les paysages biodiversifiés. Ils devraient conditionner le financement du secteur du cajou à l’absence d’expansion dans les réserves forestières, les parcs ou autres zones protégées et assigner de fonds spécifiques à la restauration des écosystèmes essentiels dans les paysages de culture du cajou. Amourlays Touré avait à ses côtés Souleymane Fofana, coordinateur général du Regroupement des Acteurs Ivoiriens des Droits Humains (RAIDH), qui a fait un témoignage dans le rapport.
Gnahoré David