Expert-consultant, coordonnateur des Coalitions de l’Afrique francophone pour la CPI, Ali Ouattara dresse le bilan de cette juridiction pénale internationale installée à La Haye à l’occasion de son 20è anniversaire célébré le 18 juillet 2022.
Le 18 juillet 1998, des Etats signaient le Traité de Rome qui annonçait la naissance de la CPI entré en vigueur en 2002. Pourquoi depuis Nuremberg en 1945, il a fallu mettre tout ce temps pour mettre sur pied une cour destinée à juger les crimes internationaux ?
1er juillet 2002 – 1er juillet 2022. Cette date marque les 20 ans de l’entrée en vigueur du Statut de Rome instituant la Cour Pénale Internationale (CPI), Traité qui a été adopté le 17 juillet 1998 par 120 Etats.
L’histoire contemporaine de l’humanité, notamment celle du 20ème siècle, a été jalonnée par de nombreuses atrocités qui ont endeuillé toute la communauté humaine. La création d’une juridiction pénale internationale permanente s’est faite en réaction à ces massacres. Ce faisant, la communauté internationale a pris conscience de la nécessité de mettre en place une instance judiciaire appelée à défendre et à mettre en œuvre les exigences profondes de l’humanité. Cette justice présente alors un triple avantage : la sanction exemplaire des crimes particulièrement odieux, la dissuasion destinée à prévenir le retour de telles tragédies et enfin, la garantie d’une paix sociale durable en intégrant une dimension de Justice réparatrice dans les procès.
C’est ce qui a motivé la création de la CPI, juridiction pénale internationale permanente de lutte contre l’impunité. Avec une adhésion libre des états.
Avant l’avènement de la CPI, d’autres juridictions pénales avaient vu le jour, mais étaient limitées dans le temps et dans l’espace. Elles ont été créés par l’ONU ; il s’agit du TPIY (Tribunal pénal international pour la Yougoslavie), du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), etc
Les tribunaux crées par les Nations Unisavaient montré leurs limites, il fallait une juridiction permanente, indépendante, impartiale, efficace et effective qui ne dépendent pas de l’ONU et qui n’est pas limitée dans le temps et l’espace. Ce sont toutes ces raisons qui pourraient expliquer le temps mis pour la création de la Cour Pénale Internationale.
La création de cette instance pénale permanente a été saluée par l’ensemble des organisations nationales et internationales de défense des droits humains.
Quel regard jetez-vous sur le parcours de la CPI, 20 ans après sa création en termes de succès et d’échec ?
Depuis son entrée en vigueur, le 1er juillet 2002 à nos jours, la CPI compte à son actif plusieurs enquêtes, des examens préliminaires ; des mandats d’arrêts délivrés; des citations à comparaître émises; des personnes détenues; des affaires ouvertes, etc…
Ces actions sont appréciées par diverses organisations qui estiment que la CPI contribue énormément à la lutte contre l’impunité et au maintien de l’ordre mondial par son effet dissuasif. En dépit de ces progrès, la Cour reste confrontée à une perception controversée.
L’impunité d’autrefois est la génitrice des violences récemment vécues dans nos pays. Aussi, toutes actions de nature à faire la lumière sur les circonstances de commission d’exactions et à déterminer les responsables pour leur répression est à promouvoir et à encourager. C’est pourquoi, la CPI doit poursuivre ses actions, surtout en s’évertuant à être la plus indépendante et impartiale possible.
Par ailleurs, pour dissiper les appréhensions des plus sceptiques, la CPI devra accroître les campagnes de sensibilisation et créer un cadre permanent de communication plus efficace avec les Etats. De même, la Cour devra revoir sa stratégie d’enquête dans certaines affaires sur le continent africain, où elle joue sa crédibilité.
Notons que lorsque les poursuites échouent, les préjudices subis par les victimes demeurent. Les activités d’assistance du Fonds peuvent offrir la réhabilitation et ceci fait que son mandat d’assistance est essentiellement réparateur. Il faut donc renforcer cet instrument important.
En tout état de cause, la CPI doit paraître comme la fille de tous, et de ce fait mériter le soutien de tous. Il doit en être ainsi dans la mesure où le rejet de l’impunité apparait comme un critère de bonne gouvernance.
Que répondez-vous à ceux qui disent que la CPI a été créée par les occidentaux pour écarter ceux des dirigeants africains qui refusent de jouer leur jeu ou qui veulent se révolter contre leur domination ?
C’est une mauvaise perception et une méconnaissance du Statut de Rome instituant la CPI. La détermination de la CPI est de « mettre un terme à l’impunité des auteurs des crimes graves et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes à savoir le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression. », Il s’agit donc de rappeler aux Etats parties qu’il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux.
L’idée fondamentale est que la CPI est une juridiction complémentaire des juridictions nationales (Article 1er du Statut de Rome)
Ce que l’on oublie à dessein d’expliquer d’une part, est que l’absence d’une loi de mise en conformité avec le Statut de Rome (SR) et sa mise en œuvre effective empêche la Complémentarité et que l’absence de ratification du SR favorise l’inexistence d’un cadre de coopération ce qui finalement constituent une atteinte à l’intégrité des poursuites et une opportunité de justice perdue pour les victimes dans les Etats Africains. D’autre part on cache aux peuples africains que dans la plupart des situations ce sont les dirigeants des Etats africains eux-mêmes qui ont accepté la compétence de la cour ( article 12.1) ou qui ont reconnu sa compétence ( article 12.3). Par exemple, l’Ouganda, la RCA, la RDC, la Côte d’Ivoire,… ont demandé de façon officielle à la CPI d’ouvrir des enquêtes dans leur pays ou reconnu sa compétence juridictionnelle . Ce qui signifie s’immiscer dans leur affaire interne ; Et après comment peut-on dire que c’est la CPI ?
La CPI ne souffre-t-elle pas d’une tare congénitale puisque des grandes puissances comme les USA n’en sont pas membres ?
Comme je l’ai déjà dit, l’adhésion au Statut de Rome est libre. Chaque pays est libre d’adhérer. Il y’a aujourd’hui 133 états partis avec 33 pays africains, ce qui fait de l’Afrique le continent le plus représenté. On pourrait même dire que la CPI est plus africaine qu’occidentale au vu de ces chiffres. Autant les pays sont libres d’adhérer, autant ils sont libres de se retirer. Ce fut par exemple le cas du Burundi. Le souhait et l’idéal est que tous les Etats du monde (grande puissance ou non) puissent être Etat parties. Les USA sont donc libres de devenir membre ou pas. Il est sûr que notre souhait est que l’Amérique franchisse le pas. Nous faisons du plaidoyer dans ce sens et espérons que nous parviendrons un jour. C’est un travail de longue haleine.
Depuis les acquittements de Laurent Gbagbo, Blé Goudé, Jean Pierre Bemba, certains estiment que la CPI est devenue un tigre en papier qui ne peut pas empêcher un dirigeant de commettre des crimes graves en toute impunité ?
Ce n’est pas une bonne lecture. Nous constatons que depuis l’avènement de la CPI, beaucoup de dirigeants africains réfléchissent par deux fois avant de commettre ou de faire commettre des crimes sur leur peuple. Même les auteurs de coups d’Etat qui se sont déroulés ces derniers temps ont fait en sorte de ne pas commettre des crimes graves. Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que lorsqu’il y a un procès, il y a deux cas de figure: La condamnation ou l’acquittement. Ce n’est donc pas parce qu’il y a eu l’acquittement des personnes concernées qu’il faut remettre tout un système en cause. La CPI a pu commettre des erreurs et ou décevoir certains espoirs tant aussi bien au niveau des victimes que des Ongs et des Etats.Les 20 ans de fonctionnement constituent donc l’occasion d’une remise en cause pour mieux faire.
Croyez-vous encore en l’avenir de la CPI ?
Oui. La CPI a un bel avenir devant elle. Elle est la seule juridiction permanente au monde de prévention et de répression des crimes graves et de lutte contre l’humanité. Si elle n’existait, il fallait la créer. Elle a besoin de l’indulgence et du soutien de toutes et de tous pour faire de ce monde un havre de justice et de paix.
Sur le plan judiciaire, l’avenir de la CPI c’est :
C’est la complémentarité avec les Etats. C’est la domestication. C’est la mise en œuvre du Statut de Rome dans les Etats à travers les enquêtes nationales sur les crimes qui sont du ressort de la CPI. C’est aussi la Coopération avec les Etats parties comme non parties.
C’est la délocalisation des procès dans les pays en situation ce qui permettra d’être plus proche des victimes. C’est aussi la possibilité d’enquêter sur les ressortissants de tout pays quel que soit sa puissance.
Au final, la crédibilité de la justice internationale et celle de l’État de Droit dépendront de la capacité à répondre et à gérer les attentes des victimes en matière de justice. Par conséquent, investir dans la justice aujourd’hui signifie faire des économies demain, au niveau financier mais également et surtout en terme de vies humaines.
Nomel Essis