Diarra Lassina, chercheurs sur les questions de défense et de sécurité en Afrique de l’ouest, dans cet entretien révèle les conséquences de la rupture de la coopération de défense entre la France, le Mali et Burkina Faso, dans la sous région. Il appelle les autorités ivoiriennes à plus de vigilance.
Nous avons constaté une rupture de collaboration entre la Force Barkhane et le Mali d’une part et la Force Sabre et le Burkina Faso d’autre part. Comment analysez-vous les décisions de ces deux pays ?
Nous avons constaté une rupture de coopération militaire entre la France et le Mali d’une part et entre la France et le Burkina Faso d’autre part. L’argument qui est déposé sur la table du côté des autorités de la junte malienne, on peut d’emblée comprendre cet argument parce qu’il remonte un peu d’une incompréhension de la population. C’est tout à fait normal que nous puissions nous poser la question à savoir, pourquoi les partenaires extérieurs sont présents sur notre territoire, pendant que la base géographique et sociologique du phénomène terroriste s’élargit davantage ? Mais ce que les autorités ne disent pas suffisamment à cette même population est, quelle est la place qui a été accordée à la France dans la lutte contre le terrorisme ? Est-ce que la France doit intervenir en tant qu’un partenaire d’appui ou un partenaire qui doit être en première ligne dans la lutte contre le phénomène terroriste. En 2012-2013, lorsqu’il y avait une coalition terroriste qui descendait vers la partie sud du Mali, il y a eu une intervention de l’armée française de « l’opération Serval » qui a réussi à les repousser. En ce moment, la France était en première ligne. Mais lorsque nous avons basculé dans « l’opération Barkhane », la France ne jouait que le rôle d’appui aux forces armées locales. Aucunement, il n’a été question pour la France de se substituer aux armées nationales, et c’est cette question qui est l’élément important qu’il faut mettre sur la table et expliquer à la population, le rôle qu’on avait confié à la France. Mais cela est difficile d’autant plus que les autorités militaires maliennes et burkinabés pensent qu’il faut bâtir leur légitimité sur un socle doctrinal qui est le populisme national.
Les autorités burkinabès affirment que l’accord de défense avec la France, une disposition permettrait aux parties de dénoncer certains éventuels dysfonctionnements. Et c’est au vu de cela qu’elles dénoncent l’accord de défense avec la France.
En effet, dans la clause contractuelle, il y avait un élément qui donnait la possibilité aux deux parties de dénoncer l’accord. Et c’est que le Burkina Faso a fait en usant de son droit, ce qui est d’autant plus normal. En réalité, je ne pense pas que le départ des soldats français puisse permettre au Burkina Faso de se défaire de ce groupe extrémiste. De mon point de vue, il serait intéressant qu’avec la situation qui s’enlise au Burkina Faso, qu’on arrive à construire le multilatéralisme dans les relations internationales. Une coalition pour pouvoir aider le Mali et le Burkina Faso. Le Burkina Faso a perdu plus de 40% de son territoire. Ils ont besoin d’un partenaire. Moi, je ne veux pas que les uns et les autres utilisent des discours de raccourci pour expliquer un certains nombres de phénomènes. Ce que je sais, c’est que l’armée burkinabé a eu recours à l’armée française pour intervenir quand elle était débordée par des attaques terroristes. Il faut pouvoir expliquer cela à la population plutôt que de dire qu’elle est une force étrangère qui ne leur a pas apporté grande chose. C’est aussi intéressant que cette force soit présente, de façon collaborative avec une bonne coordination et coopération afin qu’ils puissent juguler le phénomène terroriste. D’autant plus que c’est un phénomène de nature transnational, aucun Etat à lui seul ne pourra combattre cela.
Est-ce que l’initiative d’Accra n’était-elle pas une réponse à ce problème ?
Toute réponse qui participe à la mobilisation de plusieurs partenaires étatiques, que ce soit au niveau local est la bienvenue. Nous avons vu le G5 Sahel, globalement la Cedeao et aussi l’initiative d’Accra. Le gros problème avec le terrorisme est qu’il n’est pas de la délinquance ordinaire ou la rébellion classique à laquelle nous avons assisté depuis un bon moment. Non ! C’est tout une forme de conflictualité qui évolue sur différente variable et dispose aussi de ses propres codes. Si vous avez une institution de la dimension de l’initiative d’Accra ou du G5 Sahel, il faudrait que des partenaires, des Etats qui composent ce regroupement aient une même analyse que celle de la conflictualité terroriste. Si nous n’avons pas la même approche, je crois qu’à l’arrivée, l’organisation sous régionale que nous essayons de créer pour lutter contre ce phénomène va s’avérer inefficace. Parce que, parmi les Etats qui la composent, ils y en a qui pensent que nous devrons évoluer sur la théorie du complot quand d’autres pensent qu’il faut évoluer sur l’aspect socio-économique qui est un vecteur de l’expansion du terrorisme. Mais au-delà, il y a un véritable enjeu qui est la variable idéologique, qu’il faut prendre en compte. Donc s’ils n’ont pas la même approche et analyse qu’ils décident de combattre ensemble, cela va être un véritable problème. Le temps pour eux de s’accorder sur le minimum et sur la trajectoire et c’est ainsi que nous assistons par moment à la disparition de ces organisations qui naissent sans effet escompté.
Le Mali et le Burkina Faso après avoir rompu avec la France ont noué avec une autre puissance étrangère à savoir, la Russie à travers la société privée Wagner. Est-ce que cette puissance pourra arriver à bout du terrorisme avec les nouvelles autorités des deux pays ?
Je suis pour une coopération interétatique dans la lutte contre le terrorisme. La France est un partenaire stratégique important pour l’Afrique en particulier pour les Etats du sud. Rompre des relations militaires avec la France au profit d’une autre puissance occidentale qui est la Russie pose de gros problèmes. La Russie n’a pas aujourd’hui de mon point de vue, cette capacité à lutter contre le terrorisme en Afrique de l’ouest. Parce qu’elle intervient dans ces États par l’entremise de l’entreprise des mercenaires qu’on appelle Wagner. Ici, le mercenariat montre toutes ses limites. La conflictualité terroriste est un phénomène qui se développe au sein des communautés. C’est ce qu’on appelle des conflits d’extractions sociales. Or les mercenaires dans leur champ d’actions commettent beaucoup d’exactions. Lorsque vous avez tout un militarisme développé et qu’en retour la population ne se sent pas en sécurité c’est l’effet contraire qu’on produit. C’est un premier niveau d’explication. Deuxième niveau d’explication, est que cela va être compliqué en termes de collaboration, de partage d’information et de renseignement entre la Côte d’Ivoire et ces États sahéliens qui ont décidé de rentrer dans le giron russe. Si le Burkina Faso bascule totalement dans le giron russe, ça va être très compliqué en termes de partage d’informations et de renseignements. D’autant plus que ces états voient la Côte d’Ivoire comme la fille de la France. Or dans notre sous-région on a besoin que les états se parlent et collaborent entre eux, parce que le phénomène auquel il faut faire face se développe un peu partout. Donc ça ne sert à rien de se diviser parce que dans l’expansion du terrorisme aucun Etat n’y échappera.
Est-ce que cette divergence politique ne fait-elle pas le nid du terrorisme en Afrique de l’Ouest ?
L’avantage que les terroristes ont aujourd’hui c’est qu’ils ont la possibilité de se mettre d’accord. Par contre, les États n’ont pas cette possibilité, au regard des intérêts géo-politiques divergents et des intérêts entre eux. C’est pourquoi lorsque vous me posiez la question de savoir l’efficacité en parallèle du G5 Sahel ou initiative d’Accra, pour être plus précis, je vous expliquais qu’il faut avoir la même approche de la même problématique sécuritaire qu’ils sont appelés à traiter. Comme ils n’ont pas la même approche ce qui fait qu’ils ont des points de divergence. Certains pensent qu’il faut aller vers telle puissance. Mais dans tous les cas, je comprends bien la position du Mali, du Burkina-Faso etc. Qui pensent pouvoir émerger des ressources endogènes pour pouvoir faire face à cette forme de criminalités. C’est tout à fait normal. Je suis d’accord pour cela. Mais à l’état actuel, ils ne sont pas capables de faire émerger des ressources endogènes. D’autant plus qu’il faut faire appel à une transformation en profondeur de l’Etat. Ce qui paraît important étant donné que c’est un phénomène à l’échelle mondial, régional et sous régional. Il faut avoir des partenaires capables de construire quelque chose et d’aider pour pouvoir lutter contre le phénomène du terroriste.
« BASSAM S’INSCRIVAIT DANS UN VASTE PROJET D’ATTENTAT »
Au niveau de la Cedeao, il est question de la mise en place d’une force anti coup d’Etat. Selon votre analyse, est ce que cette force sera efficace ?
En réalité, je ne suis pas de ceux qui privilégient le recours systématique à la force. Pour moi, il faut s’attaquer au problème depuis la racine. La multiplication de coup d’État en Afrique de l’Ouest qu’on a observé depuis 2020, révèle d’un certain nombre de dysfonctionnement de l’appareil politique ou l’appareil de l’État. Ce qui est en jeu, ce n’est pas la démocratie systématiquement mais la gouvernance. Alors lorsqu’on pense que la démocratie est en première ligne et ensuite la gouvernance, on fait une fausse route. Il faut construire d’abord la gouvernance, ensuite la démocratie et ça ira mieux. Aujourd’hui, ces états sont confrontés à un problème de gouvernance. L’on dit que la France a échoué au Sahel. Il faut reconnaître que le péché de la France, c’est de s’être déployée sur des territoires où n’y a pas d’Etat. Il n’existait d’Etat que sur la forme juridique. C’est-à-dire population, territoire et pouvoir politique. Mais en ce qui concerne un Etat disposant d’une puissance légitime et d’un contrôle total sur l’ensemble de son territoire, capable de lutter contre toute forme de corruption, le Mali n’en était pas un. Malheureusement, les militaires qui sont à la tête de ces Etats ne sont pas capables de transformer sérieusement l’institution étatique, pour aller vers un État fiable, qu’on appelle un État légal et rationnel afin d’englober et régler le problème de la gouvernance. Je pense que l’énergie qu’il déploierait à créer ces forces anti putsch pourrait être utile à améliorer la gouvernance des états-ouest Africains.
Où pensez-vous que les Forces françaises puissent se déployer sur le terrain pour plus d’actions ?
Il va y avoir une nouvelle articulation du positionnement militaire de la France au Sahel plus globalement en Afrique de l’Ouest. Le Niger et le Tchad pourraient être des options. La Côte d’Ivoire avait été à un moment donné vu comme une option, mais avec l’arrivée du ministre français des armées, Sébastien Lecornu qui a expliqué que la Côte d’Ivoire a fait une performance importante dans la montée en puissance des forces armées. Donc, qu’on n’a pas forcément besoin d’une présence militaire française importante. Sauf qu’il faut participer à des formations ciblées avec des piliers ciblés. Ce qui va entraîner une réduction de la force française en Côte d’Ivoire. Ainsi, la France va procéder maintenant à un dispositif un peu plus léger et non plus global et lourd. Ça va être une disposition souple capable de répondre aux besoins des Etats (besoins technique en armement, formation et renseignement).
Quel est l’impact de la décision du Mali et du Burkina Faso sur la Côte d’Ivoire ?
La Côte d’Ivoire partage une base frontalière avec le Mali et le Burkina Faso de long de plus de 1000 Km, ce qui n’est pas à négliger. La continuité géographique expose la Côte d’Ivoire à une vulnérabilité très importante. Quand nous regardons le phénomène terroriste, pour son évolution a besoin toujours d’une base arrière. Si le Mali et le Burkina Faso s’effondrent, les terroristes auront pour base arrière ces deux territoires pour attaquer la Côte d’Ivoire. A ce niveau, quelle que soit la puissance de feu de la Côte d’Ivoire ce sera très difficile de pouvoir faire face, d’autant plus qu’ils utilisent le vocable entre Etat prioritaire et Etat secondaire. Cela veut dire qu’à partir d’un État qui n’est pas contrôlé par le gouvernement ou la maîtrise de leur politique échappe au gouvernement. Les terroristes ont la possibilité de s’infiltrer dans un tiers État, de se préparer ou de projeter des attaques de par les positions du Burkina Faso et du Mali. Ils ont toute la latitude de préparer des attaques et même des infiltrations sur le territoire ivoirien.
Les autorités ivoiriennes se dotent d’armement de dernière génération et il y a des actions qui sont posées dans le Nord. Pensez-vous que ces actions seront efficaces pour contenir cette menace ?
Après les chocs de Grand-Bassam, le 13 mars 2016, la Côte d’Ivoire venait d’être frappée pour la première fois d’une attaque terroriste. Et quatre ans après, en 2020 on a eu le scénario de Kafolo, au nord du pays, qui a été difficile pour la Côte d’Ivoire, parce qu’il a eu une quinzaine de soldats ivoiriens malheureusement qui ont été tués. Mais les deux cas sont différents. Le cas de Bassam s’inscrivait dans un vaste projet d’attentat par contre, celui de Kafolo s’inscrivait dans une dimension de conquête territoriale. Il fallait prendre une partie du territoire ivoirien et en faire un camp d’entrainement sous le contrôle des groupes terroristes. L’attaque de Kafolo s’inscrivait dans cette dynamique. La Côte d’Ivoire a bien vu cela et elle a revisité sa carte militaire avec un maillage militaire très important, jusqu’à la limite frontalière avec le Burkina Faso, de manière à sécuriser son territoire. Et ça été vraiment une bonne chose pour la Côte d’Ivoire. Ce qui fait depuis près de neuf à dix mois qu’il n’y a pas eu d’incrustations armée sur le territoire. En plus de cela, la Côte d’Ivoire essaie de développer un certain nombre de projets à l’attention des jeunes. Pour dire que ce n’est pas le tout sécuritaire qu’il faut mettre dans la balance pour pouvoir lutter contre ce phénomène. La question qu’on se pose est de savoir si on a posé le bon diagnostic. Sur quelle variable évoluent ces groupes terroristes ? Pour ce qui concerne l’extrême nord-est de la Côte d’Ivoire, est-ce qu’ils évoluent sur la variable idéologique ? C’est-à-dire la variable religieuse. Où sur la variable socio culturelle en instrumentalisant les carences structurelles de l’État ou ils évoluent sur d’autres variables ? Ce que je sais, comme premier élément, ils évoluent sur la variable ethnique. Comme deuxième élément, ils évoluent sur la variable vindicative. Comme justificatif, ils soutiennent qu’il y a eu une violence intercommunautaire dans la région en 2016, au cours de laquelle des peuls ont été suffisamment tués. La Côte d’Ivoire n’a pas été suffisamment capable de mener une bonne enquête pour pouvoir dédommager ces victimes. Donc, ils sont venus en quelque sorte pour venger leurs parents qui ont été tués en 2016. Ils utilisent ces éléments pour recruter. Et cela met l’individu dans une situation difficile. C’est pourquoi, le terrorisme qui se développe dans l’ensemble de l’Afrique de l’ouest en particulier dans cette partie nord de la Côte d’Ivoire, il est difficile de dire que c’est un terroriste islamique. C’est un ethno-terrorisme qui se développe dans cette région.
Quelles est votre suggestion à l’endroit des autorités ivoiriennes pour que cette quiétude demeure sur toute l’étendue du territoire ?
Je salue l’orientation de la diplomatie ivoirienne et sécuritaire en matière de lutte contre l’insécurité. Ainsi que le maintien du leadership ivoirien dans l’espace ouest Africain, voir mondiale. Pour cela, la Côte d’Ivoire a opté pour la construction d’une coopération structurée et importante dans la lutte contre le terrorisme en particulier et d’autre facteurs d’instabilité et de gouvernance. Ce qui est important pour la Côte d’Ivoire est de comprendre que le terrorisme évolue sur plusieurs variables. Alors, qu’est ce qu’il faut ? Il faut pouvoir travailler sur tout le spectre de la conflictualité terroriste. Elle prend en compte la dimension religieuse, militaire et sociale. Ce qui pourrait être intéressant, c’est de construire et d’associer les guides religieux musulmans avec la création d’un pool d’imams capables de déconstruire le discours terrorisme.
Réalisée par Lassina Fofana