Les associations de consommateurs sont regardantes sur la politique gouvernementale de lutte contre la vie chère. Dans cette interview, Jean-Baptiste Koffi, le président de l’Union fédérale des consommateurs de Côte d’Ivoire (UFC-CI) demande plus de visibilité dans la structure des prix des produits pétroliers. Tout en saluant le renouvellement de la Commission nationale de la concurrence.
En votre qualité de tout nouveau membre de la Commission nationale de la concurrence, dites-nous en quoi consiste le travail de cette instance, avec à sa tête une juriste en la personne de Essoh Yanny Milie Blanche Epse Abanet ?
Comme vous le savez, la Côte d’Ivoire, notre pays, a fait très tôt le choix du libéralisme économique. Et depuis les années 1990, la fixation des prix des biens et services sur le marché est libre. Hormis les produits comme l’eau, l’électricité, les ouvrages scolaires du primaire produits localement, le gaz, le carburant et le téléphone fixe, dont les prix sont encore administrés, c’est-à-dire fixés par Etat, les prix de tous les autres biens et services vendus dans notre pays sont fixés par le libre jeu de la concurrence. En d’autres termes, de façon générale, l’Etat n’intervient plus directement dans la fixation des prix des biens et services. Par contre, l’Etat a l’obligation de créer et garantir la concurrence dans l’intérêt aussi bien des consommateurs que des opérateurs économiques. La Commission de la concurrence est donc l’autorité administrative indépendante, chargée de veiller au respect du libre jeu de la concurrence. C’est un régulateur. Elle veille à ce que la concurrence se fasse dans des conditions optimales, qu’elle soit bien organisée et structurée. Car au final, ce sont les consommateurs et les opérateurs qui gagnent. D’ailleurs, notre souhait en tant que consommateur, c’est qu’il y ait le maximum de concurrence dans tous les secteurs. Le marché de la téléphonie mobile et celui de la bière dans notre pays nous ont montré ce que la concurrence peut apporter aux consommateurs en termes de baisse des prix et amélioration de la qualité des produits. Quand la concurrence tire les prix vers le bas, ce sont les consommateurs qui en bénéficient. Cette concurrence doit se faire également de manière loyale. La Commission doit veiller à ce que la contrefaçon ne prospère pas au détriment des produits des entreprises légalement constituées. En tout cas, les organisations de consommateurs saluent le renouvellement de la Commission de la concurrence qui augure d’un avenir meilleur pour les consommateurs.
Quelles sont les chances de réussite de la nouvelle présidente dans sa mission ?
Il ne faut pas voir le travail de la seule présidente de la Commission. C’est toute une équipe. S’il y a succès, c’est un travail d’équipe. De même en cas d’échec, l’ensemble devra assumer. Mais il faut déjà apprécier la réforme de cette Commission en tenant compte de la qualité des personnalités cooptées pour l’animer. Vous avez des professeurs agrégés d’université, des avocats, des hauts fonctionnaires de notre administration, des opérateurs économiques, des acteurs de la société civile, etc. Cela augure de la qualité et du niveau des travaux qui seront effectués. Par ailleurs, le fait que la Commission soit présidée par un magistrat peut aider dans la mesure où des questions juridiques ne manqueront pas de surgir au cours des travaux. Sans oublier le fait que la présidente étant un haut fonctionnaire de l’Etat, cela la met à l’abri de tout risque de conflit d’intérêt dans l’accomplissement de sa mission. Il faut sincèrement saluer cette équipe pluridisciplinaire qui l’entoure, chacun venant avec son savoir-faire pour que la Commission réussisse sa mission.
Selon-vous, la mise en place de l’indice de la cherté de la vie évoquée par le ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion des PME, Souleymane Diarrassouba, lors « des Jeudis du RHDP », va-t-elle effectivement changer la perception des populations sur la cherté de la vie ?
Personnellement, je n’étais pas présent à cette rencontre. Mais il faut noter que si tout le monde parle de plus en plus de la cherté de la vie et déplore l’insuffisance des moyens ou mesures prises par le gouvernement pour juguler le phénomène et qu’en face nos autorités ne partagent pas toujours cet avis, c’est certainement parce qu’il n’y a pas d’accord sur ce qu’est la cherté de la vie et les outils pour apprécier l’évolution de ce phénomène. Il faut dès lors qu’on trouve un baromètre, c’est-à-dire un outil de référence sur la cherté de la vie dans notre pays. De ce point de vue, je pense que la mise en place de l’indice de la cherté de la vie est la bienvenue. Ce sera un bon outil d’aide à la décision pour nos autorités, et les variations à la hausse ou la baisse permettront aux populations de mieux apprécier les actions menées par nos dirigeants. De mon point de vue donc, c’est important que le gouvernement ait pris cette décision concernant la mise en place de l’indice de la cherté de la vie.
Quel bilan faites-vous de la 3e édition de la Semaine du consommateur de Côte d’Ivoire (SCCI), couplée à la 1re édition de solde et de promo générale en ligne en Côte d’Ivoire ? Pensez-vous avoir atteint vos objectifs ?
La SCCI est un concept que nous avons créé pour plusieurs raisons. Nous nous sommes rendu compte que les consommateurs ne sont pas suffisamment informés sur leurs droits et devoirs mais également ne tiraient pas toujours profit de certains avantages que leur offrait la loi dans notre pays. Au sein de la SCCI, nous avons créé « Les Universités de la consommation », un vrai cadre de formation et d’échanges entre les opérateurs économiques, les consommateurs et les pouvoirs publics. Nous avons choisi de renforcer les capacités des consommateurs en matière de numérique. Ils ont beaucoup apprécié. Et nous en sommes heureux et satisfaits. Un autre point de satisfaction est l’engouement pour les soldes. La SCCI fait la promotion des soldes générales dans notre pays et l’innovation de cette année a été la digitalisation des catalogues de prix des marchandises ainsi que la géolocalisation de ces derniers grâce à l’application Tooceka, qui est le premier réseau social des consommateurs mis en place avec le concours de l’Union fédérale des consommateurs de Côte d’Ivoire. Toutes ces actions combinées font que la mayonnaise des soldes est en train de prendre dans notre pays.
« J’ai confiance en cette nouvelle Commission de la concurrence »
Nous sommes dans une économie libérale, vous l’avez rappelé. Mais, est-ce à dire que les consommateurs ne doivent pas se plaindre du nouveau décodeur HD de Canal + fixé à 25.000 F Cfa, qui serait gratuit en France ?
Je reconnais qu’il y a eu beaucoup de bruits autour de cette affaire de décodeur HD (Ndlr, Haute définition) de Canal+. Mais sachez qu’au sein de la l’UFC-CI, nous avons une organisation spécialisée qui s’occupe des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Quand Canal+ a commencé sa campagne, la responsable de cette organisation (Le Forum des lecteurs Auditeurs et Téléspectateurs de Côte d’Ivoire) a pris l’initiative d’adresser un courrier au Directeur général de Canal+ pour mieux comprendre la campagne en cours. En réponse, ce dernier a souhaité rencontrer toutes les associations et organisations de consommateurs existant sur la place. Ce qui a été fait avec mon intervention en ma qualité de président en exercice de la Confédération des organisations de consommateurs de Côte d’ Ivoire (COC-CI). Nous avons un devoir de vérité vis-à-vis des consommateurs. Il nous a été expliqué par le DG que l’opération de changement des décodeurs HD qui est en cours n’est pas une obligation. C’est une option offerte à ceux des abonnées propriétaires de leurs anciens décodeurs et qui souhaiteraient passer en haute définition. Cette clarification faite, il n’y avait pas de notre point de vue, lieu de polémiquer outre mesure, d’autant plus que ce secteur est même ouvert à la concurrence.
Mais, ce qui écœure les consommateurs, c’est le fait que le fameux décodeur soit gratuit en France et payant en Côte d’Ivoire…
Il nous a été expliqué qu’ici en Côte d’Ivoire, les abonnés ayant la formule avec location de décodeur pouvaient, s’ils le souhaitent, obtenir le nouveau décodeur HD sans rien payer. C’est donc une question de type d’abonnement. Encore une fois, pour nous, cette affaire est un non événement. Il faut simplement aller à la source de la vraie information.
Par rapport aux prix du carburant, doit-on redouter une autre augmentation du prix qui est passé de 595 F Cfa à 600 F Cfa ?
Certainement, tout comme il peut avoir baisse de tarif. C’est ainsi que doit fonctionner le principe de l’ajustement automatique du prix du carburant à la pompe adopté par le gouvernement. Ce que nous regrettons et déplorons, c’est le déficit de transparence qui entoure l’application de cette mesure. Ce qui fait que même en cas de baisse de 5 F Cfa, nous n’avons rien comme visibilité pour apprécier cet effort que le gouvernement fait pour nous. Qu’est-ce qui prouve que ça ne doit pas baisser de 15 ou 20 F Cfa ? Nous demandons au gouvernement d’aller au-delà de simples communiqués pour mettre tout le monde à l’aise. Parce que dans la structure du carburant, nous savons très bien qu’il y a l’Etat lui-même qui a une part, il y a la SIR, les pétroliers, les revendeurs, etc. Chacun est rémunéré sur ce que paie le consommateur que nous sommes. Nous disons que s’il y a hausse, tout le monde doit pouvoir serrer la ceinture. A commencer par l’Etat. Il n’est pas question que ce soient les consommateurs qui supportent seuls les hausses tarifaires. Seul le partage de l’information peut mettre tout le monde à l’aide. Il faut mettre la structure des prix des produits pétroliers à la disposition du public.
Un dernier appel à lancer aux consommateurs pendant cette période où beaucoup se plaignent de la cherté de la vie.
Je demande aux consommateurs de se former et de s’informer parce qu’aujourd’hui, les choses vont vite. C’est pourquoi, cette année, lors de la SCCI, nous avons mis l’accent sur le numérique. Aujourd’hui, avec cet outil, on peut faire beaucoup d’économie. A dire vrai, nous n’avons pas le choix. Le numérique est une exigence de notre époque. Adaptons nous.
Réalisée par Isaac Kroman