A la veille de son départ pour Kinshasa, l’ambassadeur d’Allemagne en Côte d’Ivoire s’est ouvert à la presse. Au menu de cette interview, la coopération bilatérale entre les deux pays mais aussi les conséquences de la guerre en Ukraine et bien d’autres sujets d’actualité.
Vous êtes à la fin de votre mission en Côte d’Ivoire. Pouvez-vous faire le bilan de votre séjour en matière de coopération entre la Côte d’Ivoire et l’Allemagne ?
Je suis arrivé pendant la période de Covid-19. Après 3 ans, ma mission prend fin et je peux affirmer que la coopération entre nos deux pays est au beau fixe. Nous avons pu renforcer nos relations. J’ai beaucoup apprécié nos relations amicales et politiquement,
nos deux pays partagent la même vision. Je peux prendre pour exemple la position de la Côte d’Ivoire par rapport à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Nous sommes d’accord sur ce sujet et c’est une grosse signification de la charte des Nations unies et des principes que nous avons établis après la deuxième guerre mondiale. Nous partageons les avantages du multilatéralisme avec des visites ministérielles qui ont commencé cette année. Je suis heureux que nous ayons organisé des visites officielles, notamment celle du parlement allemand. Je suis heureux de la bonne coopération sur les différents secteurs. Comme exemple, je peux citer les priorités sur l’énergie renouvelable avec bientôt l’inauguration de la première centrale solaire en Côte d’Ivoire dont l’Allemagne a financé les ¾ en collaboration avec l’Union européenne. Nous avons aussi des relations culturelles. Il y a de nombreux Ivoiriens qui choisissent l’allemand comme deuxième langue étrangère. Je suis certain que le changement de la législation en Allemagne, pour donner plus d’opportunités aux étrangers d’aller en Allemagne pour une formation en vue de la bonne promotion de la langue allemande, est une chance pour beaucoup d’Ivoiriens qui ont décidé d’apprendre l’allemand, une langue assez difficile. Je peux aussi indiquer qu’à la fin de ma mission, je suis heureux qu’au mois de juin dernier nous avons vu l’ouverture de la chambre de commerce allemande ici en Côte d’Ivoire pour booster nos relations économiques.
Justement, concernant les relations quel est aujourd’hui le niveau actuel des échanges commerciaux entre la Côte d’Ivoire et l’Allemagne ?
Les échanges sont positifs pour la Côte d’Ivoire. Selon les statistiques de 2022, nous avons environ 3 millions de produits allemands importés en Côte d’Ivoire et 900 millions de produits ivoiriens exportés vers l’Allemagne. Ce sont, pour la plupart, des produits alimentaires et en grande partie le cacao. 60% du cacao en Allemagne vient de la Côte d’Ivoire. Nous trouvons aussi des produits comme la noix de cajou, la banane et la mangue en Allemagne qui viennent de la Côte d’Ivoire. Concernant l’Allemagne, nous exportons des machines, des produits chimiques, la boisson et d’autres produits vers la Côte d’Ivoire.
Aujourd’hui, la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne sont confrontés au terrorisme. La Côte d’Ivoire est voisine à deux pays qui luttent fortement contre ce fléau et mène des actions pour pouvoir protéger ses frontières avec ces pays. Quel est l’apport de l’Allemagne dans ces pays et quelles sont les actions menées par votre pays pour aider la Côte d’Ivoire à protéger ses frontières ?
Nous sommes comme la Côte d’Ivoire, engagés au Sahel, et nous avons commencé dans d’autres pays qui sont eux aussi engagés et inquiets de ce que nous appelons l’expansion du terrorisme au bord de la côtière. Nous avons bien apprécié que la Côte d’Ivoire soit l’un des pays qui a reconnu le danger et, aussi dans sa politique, a priorisé cette menace du terrorisme avec une approche compréhensible. Depuis le début, nous soutenons la Côte d’Ivoire avec des programmes. Comme celui avec la Commission nationale des frontières qui est un programme de l’Union africaine mais financé par l’Allemagne avec des organisations comme l’Organisation internationale des migrations (OIM). Nous avons construit des postes frontières et nous avons avec le Pnud mis en place un programme avec les jeunes au Nord de la Côte d’Ivoire pour créer des emplois, mais aussi avec des éléments pour renforcer le dialogue entre les autorités et la population locale. C’est un programme de plus de 4 millions de dollars. En plus, nous avons depuis longtemps un projet de coopération pour le parc de la Comoé. Ce projet inclut aussi des éléments pour la population autour du parc afin qu’elle accepte le parc comme patrimoine national et pas comme une source de revenu. Nous allons élargir cette zone. Cela sous-entend des moyens de la coopération officielle à un certain pourcentage. Nous allons réserver le Nord de la Côte d’Ivoire pour la création d’emplois en faveur des populations, en particulier les jeunes et les femmes.
L’Allemagne investit dans plusieurs domaines en Côte d’Ivoire. Quels sont les domaines d’activités dans lesquels l’Allemagne a le plus investi ?
D’abord à mon humble avis, il y a le défi de renforcer les investissements et j’espère que l’ouverture de la Chambre de commerce allemande va permettre aux entreprises moyennes d’investir plus dans un pays comme la Côte d’Ivoire. On a vu des investissements dans l’énergie renouvelable médicale. J’ai revu de plus en plus de délégations, d’hommes d’affaires allemands en Côte d’Ivoire sur plusieurs thèmes pour voir des opportunités ou coopérer avec des entreprises locales.
Dans quels domaines d’activités vous investissez le plus ?
Nous investissons dans l’énergie renouvelable, le secteur pharmaceutique et médical.
Aujourd’hui, l’Allemagne est gouvernée par les socio-démocrates avec à leur tête le chancelier Olaf Scholz. Qu’est-ce qui a changé depuis qu’il est au pouvoir ?
Premièrement, on a une coalition de trois partis socio-démocrates, les verts et les libéraux. Ils ont établi ce gouvernement dont le programme principal était de changer notre industrie en une industrie verte. De décarboniser l’industrie allemande. On a négligé, ces dernières années, le fait de booster la digitalisation dans notre pays. Il y a aussi la transformation du secteur énergétique, celui des nouvelles technologies, l’intelligence artificielle. Au début, c’était un gouvernement pour une modernisation du pays.
On remarque que depuis le 24 février 2022, la guerre est de retour en Europe, précisément en Ukraine. Comment cette situation est-elle vécue dans votre pays ?
La Russie n’a jamais voulu entrer dans l’Union européenne. Mais, on a tout fait pour connecter la Russie avec l’Europe. À cause des liens historiques avec la Russie, on a beaucoup investi dans ce pays, pas seulement économiquement mais aussi à travers des échanges scientifiques entre les villages et villes. On a reçu beaucoup de matières premières de la Russie qui reste un grand fournisseur de gaz de l’Europe. La guerre a eu beaucoup de répercussions sur l’Allemagne. L’année dernière, on a eu moins de dépendance sur l’énergie pour notre pays. C’était un grand défi contre l’inflation qui est très élevée en Allemagne. Cela a touché la vie des populations mais en plus, on a reçu un million de réfugiés qu’on a aidés à trouver du travail. Vous avez suivi tous les efforts qu’on a faits ? On n’était pas préparé à cette guerre. Mais, il faut dire qu’elle a renforcé la solidarité européenne. C’est la première fois en Europe qu’un conflit éclate, après la deuxième guerre mondiale. On a le sentiment que la liberté est en danger. Les Ukrainiens se battent pour leur liberté. C’est la raison pour laquelle, on est prêt à soutenir ce pays.
Le fléau de la corruption est l’un des obstacles qui freinent les investisseurs allemands dans leur volonté de s’installer dans certains pays d’Afrique dont la Côte d’Ivoire. A ce propos, le GIZ (coopération internationale allemande) apporte son appui au ministère de la Promotion de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption à travers le projet bonne gouvernance pour l’accroissement des investissements et l’emploi en Côte d’Ivoire. Ce projet vous donne-t-il satisfaction au point d’encourager les investisseurs allemands à choisir la destination Côte d’Ivoire ?
La bonne gouvernance fait partie de notre coopération officielle. Parce que pour attirer des investissements, on a besoin d’une stabilité politique et des conditions favorables au climat des affaires. Et la corruption est un problème dans beaucoup de pays. Dans le cadre du G20, l’ancienne chancelière Angela Merkel a créé le compact africain. Où chaque pays est obligé de réformer le secteur économique, créer des conditions favorables à une législation positive, combattre la corruption. On a le GIZ, pour l’opération technique de nos programmes avec l’agence de promotion de la bonne gouvernance et l’Autorité de la bonne gouvernance. Naturellement, c’est l’Etat, à travers le gouvernement, qui décide quelle mesure prendre. On est bien avancé avec les chances qui s’ouvrent avec la digitalisation. Les experts nous indiquent que c’est un phénomène qui existe dans le monde surtout en Afrique. Mais, on a de plus en plus de moyens pour créer la transparence par la digitalisation. Si les procédures de douane ou des impôts utilisent la digitalisation, on a une garantie de transparence. Ainsi, avec notre soutien, les actions du ministère de la Promotion de la Bonne gouvernance, et de la Lutte contre la corruption et la Haute autorité pour la bonne gouvernance ont bien avancé sur le sujet. Si on veut attirer les grandes entreprises qui sont à la bourse de Francfort, Londres ou New York, on ne doit pas favoriser la corruption.
Du 22 au 24 février 2023, deux ministres allemands, Svenja Schulze (Développement) et Hubertus Heil (Travail) ont séjourné en Côte d’Ivoire pour s’imprégner des personnes travaillant au début des chaînes d’approvisionnement mondial. Cinq mois après, cette mission a-t-elle eu des résultats tangibles ?
L’objectif de cette visite, premièrement, était d’informer sur la législation allemande mais aussi européenne sur le travail des enfants. Afin de rassurer les Ivoiriens que l’Allemagne et l’Europe sont prêtes à soutenir le gouvernement, à remplir les critères notamment la traçabilité, la déforestation avec le système assisté de reboisement et appuyer le secteur de l’agroforesterie. Deuxièmement, pour le ministre du Travail, l’objectif était de voir les possibilités pour les Ivoiriens d’avoir une bonne connaissance de la langue allemande. Peut-être, être candidat pour une formation ou aller en Allemagne pour travailler. C’étaient les deux objectifs de ce voyage. Pour ce qui concerne la chaîne d’approvisionnement, particulièrement pour le cacao, il faut savoir que les producteurs de chez nous sont obligés de justifier qu’ils n’ont pas contribué à la déforestation, qu’ils ont payé un revenu décent et qu’ils n’ont pas contribué au travail des enfants.
Pouvons-nous voir, un jour, des entreprises allemandes construire des usines de montage de véhicules en Côte d’Ivoire ?
Pour le moment, en Afrique de l’ouest, c’est au Ghana que Volkswagen a décidé de s’installer. Pour ce que je crois, c’est à la Côte d’Ivoire de préciser que cette politique d’industrie automobile possible. Avec le potentiel de la Côte d’Ivoire, ce n’est pas exclu. Vous avez déjà Scania avec une formation professionnelle ici. Il y a aussi des possibilités pour les camions, des bus. On a le développement avec l’INP-HB, notamment des opportunités pour l’agriculture. Non, rien n’est exclu. Peut-être dans le futur.
Nomel Essis