L’Autorité de Régulation des Jeux de Hasard (ARJH), peu connue, est pourtant le gendarme du secteur des jeux. Un domaine dynamique mais aussi en proie à la prolifération d’activités illicites telles que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le Directeur Général, déterminé à assainir ce milieu, en parle dans une interview accordée à Fraternité Matin.
Qu’est-ce que le jeu de hasard ?
Selon l’article 1, 6e tiret de la loi n°2020-480 du 27 mai 2020 portant régime juridique des jeux de hasard en Côte d’Ivoire, le jeu de hasard se définit comme un « jeu ou pari pour lequel un enjeu de nature quelconque est engagé, ayant pour conséquence soit la perte de l’enjeu par au moins un des joueurs ou des parieurs, soit le gain de quelque nature qu’il soit, au profit d’au moins un des joueurs, parieurs ou organisateurs du jeu ou du pari et pour lequel le hasard est un élément, même accessoire, pour le déroulement du jeu, la détermination du vainqueur ou la fixation du gain ». En d’autres termes, le jeu de hasard est une activité de divertissement où des personnes misent de l’argent ou un objet de valeur et dont l’issue repose en partie ou exclusivement sur le hasard. Le hasard, c’est la somme des variables cachées. C’est l’ensemble des facteurs que nous ignorons, mais qui existent et qui participent au cours des évènements. Cinq critères caractérisent les jeux de hasard, à savoir : le joueur mise de l’argent ou un objet de valeur, la mise est irréversible, le jeu est ouvert au public, le joueur peut soit gagner, soit perdre, l’issue du jeu repose en partie ou en totalité sur l’aléatoire.
Peut-on faire une comparaison entre la période avant l’existence de l’ARJH et la période actuelle ?
Oui Bien sûr, c’est la raison pour laquelle, il a été institué un nouveau cadre juridique pour réguler le secteur des jeux de hasard en Côte d’Ivoire. Le secteur des jeux était régi par deux dispositifs légaux adoptés en 1970. Il s’agit de la loi n°70-208 du 20 mars 1970 portant création de la Loterie Nationale de Côte d’Ivoire et la loi n°70-575 du 29 septembre 1970 portant interdiction des loteries. Cette seconde loi tendait à interdire les tombolas et les loteries de toute espèce, sur toute l’étendue du territoire national, à l’exception de celles organisées par la Loterie nationale. Ces deux textes de lois ont été ultérieurement complétés par le décret n°98-371 du 30 juin 1998 portant règlement des établissements de jeux de hasard modifié par le décret n°2009-29 du 12 février 2009. Tous ces textes étaient parfaitement adaptés au contexte de l’époque, caractérisé par un faible développement des jeux de hasard. C’est dans ce cadre que les jeux de casino étaient interdits aux Ivoiriens ; un hôtel de 5 étoiles ou un hôtel de 4 étoiles avec un projet d’investissement pour passer à 5 étoiles, était exigé pour ouvrir un casino. Aujourd’hui, à l’ère du numérique et de la dématérialisation croissante, ajouté à l’émergence d’une clientèle nouvelle complètement différente de celle d’hier, ces dispositifs juridiques ne paraissent plus en mesure de régler efficacement la problématique nouvelle soulevée par les jeux de hasard en Côte d’Ivoire ; d’où la prise de la loi N°2020 – 480 du 27 mai 2020 qui abroge certaines dispositions antérieures.
Peut-on dire un mot sur le développement des jeux de hasard en Côte d’Ivoire et ailleurs ?
Le secteur des jeux de hasard dans le monde et en Côte d’Ivoire de façon particulière, est en perpétuelle croissance due au développement des technologies de l’information et de la communication. La dynamique économique du marché des jeux est très forte en Côte d’Ivoire, notamment par l’avènement de nouvelles offres de jeux (jeux en ligne).
Pourquoi à partir d’un moment, l’Etat a-t-il jugé nécessaire de se doter d’une institution en charge de réguler le secteur ?
Le réajustement du dispositif juridique relatif aux jeux de hasard procède de la légitime nécessitée pour l’Etat d’accroitre son contrôle sur le secteur des jeux de hasard par la mise en place d’une Autorité Administrative Indépendante doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, à savoir l’ARJH. A travers cette Institution, l’Etat assure son devoir régalien de protection de : l’économie nationale car ce secteur intervient significativement dans la mobilisation des ressources de l’Etat, la population, en particulier les mineurs et d’autres catégories de personnes vulnérables, contre l’addiction aux jeux, par la promotion du jeu responsable.
Que faut-il entendre par réguler le secteur des jeux de hasard ?
Réguler, c’est le fait d’assurer un fonctionnement correct du secteur des jeux de hasard. C’est de s’assurer du respect de la règlementation des jeux de hasard par l’ensemble des acteurs du secteur et appliquer le cas échéant, des sanctions à tous ceux qui contreviennent à la législation en vigueur.
En somme, l’Etat s’engage à limiter, encadrer l’offre et la consommation des jeux et d’en contrôler l’exploitation.
Quelles sont les missions de l’ARJH ?
Conformément à l’article 24 de la loi portant régime juridique des jeux de hasard en Côte d’Ivoire, l’Autorité de Régulation des Jeux de Hasard a pour mission le suivi de la mise en œuvre de la règlementation des jeux de hasard. A ce titre, elle est notamment chargée de : Contrôler le respect des lois et règlements ainsi que les obligations résultant des autorisations ou conventions en vigueur dans le secteur des jeux de hasard, surveiller le secteur des jeux de hasard, réguler la concurrence en collaboration avec les services techniques en charge de la lutte contre la concurrence déloyale, régler les litiges pouvant survenir dans le secteur des jeux de hasard, protéger les intérêts des usagers de jeux et des opérateurs en prenant toute mesure propre à garantir l’exercice d’une concurrence effective, saine et durable sur les segments du secteur libéralisé, conseiller l’Etat en matière de jeux de hasard, vérifier les mesures prises par les opérateurs pour la promotion du jeu responsable et la lutte contre le jeu excessif, contrôler la régularité des documents présentés sur sa réquisition par les opérateurs et promoteurs de jeux de hasard, contribuer à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, informer et sensibiliser les opérateurs de jeux et les usagers au jeu responsable, exercer une surveillance des opérations de jeu ou pari en ligne.
Comment saisir l’ARJH en cas de litige ?
L’ARJH peut être saisie par toute personne physique ou morale, de tout litige entre les opérateurs de jeux de hasard ou entre un opérateur de jeu de hasard et un usager. L’ARJH est saisie par requête motivée adressée au Directeur Général.
Avez-vous pouvoir de sanction ?
L’ARJH a un pouvoir juridictionnel lui permettant de prononcer des sanctions contre les opérateurs qui contreviennent à la législation en vigueur. Conformément aux articles 35 et 37 de la loi portant régime juridique des jeux de hasard, l’ARJH peut, après une mise en demeure infructueuse et audition, infliger au contrevenant, l’une des sanctions administratives suivantes : confiscation du matériel, objet de l’infraction, déménagement de l’équipement ou de l’installation objet de l’infraction aux frais du contrevenant, avis de restriction de la portée ou de la durée d’une concession, avis de suspension provisoire ou définitive d’autorisation, interdiction d’exercer pendant une durée d’un à cinq ans toute activité en relation avec le secteur des jeux de hasard et de fréquenter des établissements de jeux de hasard. Des sanctions pécuniaires peuvent être aussi prononcées par l’ARJH, après observations écrites de l’opérateur mis en cause.
Quels sont les jeux auxquels s’applique la loi ?
La loi s’applique aussi bien, aux jeux concédés à la LONACI, tels que mentionnés à l’article 8 de la loi portant régime juridique des jeux de hasard, qu’aux jeux soumis à l’autorisation préalable de l’ARJH, tels qu’énumérés à l’article 10 de la loi portant régime juridique des jeux de hasard en Côte d’Ivoire. Au titre des jeux concédés nous avons : les loteries de toutes sortes incluant la loterie nationale, les jeux instantanés et les jeux de nombre, à l’exception de celles soumises à autorisation, les paris hippiques, les paris sportifs, les paris sur des compétitions sportives virtuelles et événements virtuels, les jeux de casino et machines à sous, uniquement par voie de canaux et réseaux de communication électroniques, les jeux en ligne. Au titre des jeux soumis à autorisation : les loteries publicitaires ou promotionnelles, les loteries d’objets mobiliers exclusivement destinés à des actes de bienfaisance ou à l’encouragement des arts, les jeux organisés dans les casinos et les machines à sous sur les supports physiques.
Les jeux concédés à la LONACI sont-ils également concernés par la régulation de l’ARJH ?
Selon l’article 9 du décret n°2023-945 du 06 décembre 2023 portant régime des jeux concédés à la Loterie Nationale de Côte d’Ivoire, « le contrôle des jeux concédés est exercé par l’Autorité de Régulation des Jeux de Hasard, qui assure la surveillance du secteur des jeux de hasard. L’article 10 du décret ci-dessus cité précise que « la mission de contrôle consiste à vérifier que les conditions de l’organisation des jeux concédés sont conformes aux règlements des jeux approuvés et à assurer le libre jeu du hasard. L’Autorité de Régulation des Jeux de Hasard est fondée à réclamer la production, par la LONACI ou l’un de ses partenaires, de toute documentation nécessaire à l’exercice de ses missions ».
On assiste aujourd’hui à une prolifération des machines à sous illicites dans les rues d’Abidjan ainsi qu’à l’intérieur du pays. Quelles actions menez-vous pour endiguer ce phénomène quand on sait que les mineurs y ont accès ?
Pour lutter contre la prolifération des machines à sous illicites, nous avons sollicité et obtenu du Ministère de l’intérieur et de la sécurité que nous remercions au passage, un appui significatif à travers le corps préfectoral qui a été instruit de procéder au démantèlement et à la saisie de ces machines à sous illicites sur l’étendue du territoire national. Le lancement officiel de cette opération d’envergure a eu lieu dans la ville de Bouaflé, le 15 février 2024, avec l’incinération de plus d’une centaine de machines à sous illicites saisies. Cette opération continue et s’accentuera avec la mise en place prochaine de la brigade de contrôle et de surveillance de l’ARJH.
Que visent réellement ces opérations ?
Ces opérations visent d’une part, à faire appliquer strictement la législation en vigueur, en extirpant du secteur des jeux de hasard, tous les opérateurs véreux et clandestins qui opèrent sans aucune autorisation, en violation des textes en vigueur, et d’autre part, assurer la protection de la population, notamment les mineurs et les personnes vulnérables mais surtout prévenir l’addiction.
Relativement à l’addiction au jeu qui est une véritable problématique, de nombreux parieurs ont fini par sombrer. Y-a-t-il un dispositif qui est mis en place pour sauver les personnes accros au jeu ? si oui, comment fonctionne-t-il ?
L’ARJH procède régulièrement par des campagnes de sensibilisation des acteurs et usagers de jeux de hasard, au jeu responsable et à la limitation des mises. Le dispositif existant actuellement, est la limitation des mises et les décisions d’interdiction volontaire. La demande d’interdiction est un courrier adressé à l’ARJH par l’usager en personne, qui constate les effets néfastes du jeu de hasard sur sa vie et celle de son entourage immédiat. Il sollicite alors de l’ARJH, qu’il soit interdit de jeux dans les espaces et établissements de jeux de hasard. Après instruction de la demande par le Conseil de Régulation, une décision d’interdiction est prise à son encontre et adressée aux opérateurs de jeux de hasard, leur faisant injonction de refuser tout accès à leur établissement, à l’usager ayant fait la demande d’interdiction, et ce, pour une période donnée. Par ailleurs, toute communication commerciale d’un opérateur de jeu de hasard légalement autorisé doit comporter un message de mise en garde contre le jeu excessif. Ainsi à sa demande, l’opérateur reçoit de l’ARJH une certification de conformité que ce dernier présente au Conseil Supérieur de la Publicité (CSP) pour l’obtention d’un visa CSP en vue de l’affichage.
Quelles sont les ressources de l’ARJH ?
Conformément à l’article 23 de la loi portant régime juridique des jeux de hasard, les ressources de l’ARJH sont constituées par : une quote-part des contreparties financières relative aux autorisations, les redevances de régulation auxquelles sont assujettis les opérateurs dans les conditions fixées par décret pris en Conseil des ministres, les taxes parafiscales dont la perception est autorisée par la loi de finances, les frais de dossiers relatifs aux demandes d’autorisation, les droits de timbres liés aux procédures devant l’ARJH, les produits des sanctions pécuniaires perçus dans le secteur des jeux de hasard à l’exclusion des amandes pénales, les subventions publiques nationales ou internationales, les dons et legs, toutes autres ressources qui pourraient lui être affectées.
Quel est le lien entre l’ARJH et le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ?
L’ARJH est une autorité de contrôle du blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme dans le secteur des jeux de hasard. Elle mène cette mission en lien avec le Comité National de Coordination chargé de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) dont le Président siège au sein du Conseil de Régulation de l’ARJH.
Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans l’exercice de vos missions ?
Les problèmes que rencontre l’ARJH dans l’exercice de ses missions sont d’ordre règlementaire, matériels et financiers. En effet, au plan règlementaire, certains décrets d’application de la loi portant régime juridique des jeux de hasard, pouvant permettre un fonctionnement harmonieux de l’ARJH, sont en cours d’analyse. En outre, l’ARJH étant en phase d’opérationnalisation ne dispose pas encore de tous les moyens matériels pour son plein fonctionnement.
Une autre difficulté réside dans le fait que la majorité des opérateurs de jeux en ligne agréés par la LONACI, ne sont pas représentés sur le sol ivoirien et ne peuvent par conséquent être soumis à des contrôles efficaces de l’ARJH.
De quoi avez-vous donc besoin pour relever tous ces défis ?
Comme indiqué plus haut, l’ARJH attend que certains de ses textes réglementaires soient pris par le gouvernement pour mener à bien la noble et grande mission qui lui a été confiée par l’Etat de Côte d’Ivoire.
Quels sont les acteurs du secteur des jeux de hasard ?
Les acteurs du secteur des jeux de hasard sont : l’Autorité de Régulation des Jeux de Hasard (ARJH), la LONACI, en sa qualité de concessionnaire, les opérateurs de jeux en ligne agréés par la LONACI ainsi que les partenaires de cette dernière, les établissements de machines à sous, les promoteurs occasionnels de jeux de tombolas ou loteries promotionnelles, les opérateurs de casinos, les usagers (joueurs).
Quels rapports entretient l’ARJH avec la LONACI ?
L’ARJH, dans sa mission de régulation du secteur des jeux de hasard, entretient de bons rapports avec tous les acteurs du secteur des jeux de hasard en général, et particulièrement avec la LONACI en tant que structure de l’Etat, bénéficiant d’une concession, qui reste un opérateur de poids dans le secteur des jeux de hasard. A ce titre et conformément donc à l’article 39 de la loi portant régime juridique des jeux de hasard, « l’Autorité de Régulation des Jeux de Hasard peut ordonner à tout fournisseur d’accès internet de procéder à titre provisoire et conservatoire au blocage de tous sites de jeux de hasard illégaux et clandestins, menaçant le monopole du concessionnaire ou de rediriger les usagers de ces sites vers le site internet dédié de celui-ci… ». Il va sans dire qu’un assainissement du secteur des jeux de hasard par l’ARJH devrait permettre un accroissement des collectes de la LONACI, ainsi que des ressources plus importantes au profit de l’Etat. Ce à quoi l’ARJH s’attèle.
Quelles sont les relations entre les acteurs du secteur ?
Nous estimons que les acteurs entretiennent entre eux de bons rapports dans la mesure où l’ARJH n’a pas encore été saisi d’un quelconque litige opposant des opérateurs. Toutefois, il faut relever que L’ARJH avait été saisi de griefs formulés par les usagers à l’encontre d’un opérateur, relativement au non-paiement de leur gain suite à un pari sportif. Mais cette situation a vite été réglée à la grande satisfaction des usagers.
A combien se chiffre le nombre des opérateurs du secteur des jeux de hasard ?
Le concessionnaire, ses partenaires et ceux à qui il a délivré des licences sont au nombre de 07. Nous avons : la LONACI bénéficiaire d’une concession de l’Etat de Côte d’Ivoire, LUDUS SAS (1XBET), GOOD GAME LIMITED, PREMIER COTE D’IVOIRE (PREMIER BET), BETCLIC SAS (BETCLIC), LYDIA LUDIC, TERROUBI-CI SAS. Les opérateurs soumis à autorisation préalable recensés dans le domaine des casinos par nos soins sont au nombre de 04 : Casino BARRIERE, Casino ICE PASSION, Casino SHYNI GOLD, Casino PORTE D’ORIENT. Cependant, tous les casinos doivent se mettre en règle conformément à la nouvelle législation en vigueur depuis 2020. A cet ensemble, il faut ajouter les demandeurs d’autorisations pour les tombolas ou loteries promotionnelles dont le nombre varie d’année en année. Nous ne saurions terminer sans adresser au Président de la République Son Excellence Monsieur Alassane OUATTARA et à son Gouvernement, nos vifs et sincères remerciements, pour les réformes constructives faites dans tous les domaines en général, et en particulier dans le secteur très sensible des jeux de hasard. Nous remercions en particulier le Ministre des Finances et du Budget, Monsieur Adama COULIBALY qui a porté de bout en bout, ce noble projet d’assainissement du secteur des jeux de hasard en Côte d’Ivoire. Nous voudrons également remercier le quotidien leader Fraternité Matin, qui nous a ouvert ses colonnes, en acceptant volontiers de porter notre voix auprès de la population ivoirienne. A l’endroit des opérateurs du secteur, nous les exhortons à se conformer à la loi. Quant aux usagers, nous leur conseillons la prudence et les invitons à adopter les bonnes pratiques en vue de prévenir le jeu excessif. Pour terminer, nous tenons à réaffirmer l’engagement de l’Autorité de Régulation des Jeux de Hasard (ARJH) à poursuivre sans relâche l’assainissement du secteur des jeux de hasard, car les enjeux multiformes qui s’y attachent, nous interpellent et nous amènent à solliciter le soutien de tous « Pour des Jeux Sûrs et Responsables ».
Source : Fraternité Matin