Pour l’historien Vincent Lemire, la décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël « annule 70 ans de droit international ».
Des décennies de diplomatie américaine et internationale rompues en une courte déclaration. Le président des Etats-Unis Donald Trump a décidé, mercredi 6 décembre, de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y installer l’ambassade américaine.
Une décision dangereuse pour Vincent Lemire, historien et auteur du livre « Jérusalem, histoire d’une ville-monde ». Depuis Jérusalem, il détaille pour « l’Obs » les conséquences d’un tel choix politique. Interview.
En quoi la décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël est-elle dangereuse pour le processus de paix entre les Israéliens et les Palestiniens ?
Elle est dangereuse pour deux raisons. D’abord, jusqu’ici, les Etats-Unis étaient les médiateurs en chef, pratiquement irremplaçables. A partir du moment où ils s’alignent sur les positions israéliennes les plus à droite, ils annulent de facto leur rôle possible de médiateur. Il faudrait les remplacer par un acteur qui soit reconnu par les deux parties comme honnête et neutre.
La seconde raison est que, sur le terrain, cette décision peut déclencher un flux de violence absolument incontrôlable.
Quels intérêts poussent Donald Trump à faire ce choix ?
C’est un peu contre-intuitif parce que les Etats-Unis étaient censés présenter un plan de paix globale fin décembre, début janvier. Mais Trump est islamophobe et passionnément pro-israélien. Il a une vision de l’islam complément réactionnaire. Ses décisions correspondent à son idéologie.
Il a des convictions très proches de la droite évangéliste américaine, qui est très pro-israélienne. De plus, Trump est plongé dans des affaires extrêmement compliquées depuis deux jours, comme Netanyahou. Et la meilleure tactique de Trump, c’est les contre-feux. On l’a déjà vu.
Cette décision aura-t-elle des conséquences concrètes ou est-elle seulement de l’ordre du symbole ?
Il n’y aura pas de conséquences concrètes immédiatement dans la ville de Jérusalem. En revanche, cette décision des Etats-Unis, membre fondateur du Conseil de Sécurité de l’ONU, tire un trait sur 70 ans de droit international sur la question d’Israël.
Le cadre des négociations ne sera plus jamais le même. C’est une conséquence immense. La position des acteurs sera totalement bouleversée.
Quelle va être la réaction des pays voisins ?
Avec les pré-réactions, on est déjà dans un niveau élevé. La Turquie menace de rompre à nouveau ses relations avec Israël ; la Jordanie risque de ne pas rouvrir son ambassade en Israël ; l’Arabie saoudite est en train de sortir la cause palestinienne de son agenda diplomatique ; la Chine, membre permanent du Conseil de Sécurité, monte à la charge pour la première fois dans le conflit israélo-palestinien…
Tous les acteurs de la région sont obligés de se positionner par rapport à ça. Et il ne faut pas oublier les opinions publiques…
Qu’en pensent les Israéliens et les Américains ?
On ne voit pas du tout d’indices d’inquiétude du côté israélien. Il faut avoir en tête l’actualité des portiques de juillet dernier, qui était une humiliation très sévère pour Netanyahou, la droite israélienne religieuse et les services de sécurité. C’était une lourde défaite, et ça a été la première vraie victoire palestinienne à Jérusalem depuis la guerre des Six-Jours. On sent une volonté de laver l’affront de la crise des portiques.