La Commission des Affaires générales et Institutionnelles de l’Assemblée nationale a adopté, hier, à la majorité le projet de loi portant régime juridique du gel des avoirs illicites. Ce, à l’issue de l’exposé du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Sansan Kambilé.
C’est une première étape franchie dans l’élaboration du régime juridique du gel des avoirs illicites. Hier à l’Hémicycle au Plateau, la majorité des 27 membres de la Commission des Affaires générales et Institutionnelles présents a adopté le projet de loi portant régime juridique du gel des avoirs illicites. Si ce quitus donné par la Commission est imité en plénière par les députés et plus tard par le Sénat – la Chambre basse du Parlement – le gel des avoirs permettra à la Côte d’Ivoire de renforcer son dispositif en matière de lutte contre la corruption et infractions assimilées.
Car si la notion de gel a été déjà définie par l’article premier de l’ordonnance N°2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées, le projet de loi précise seulement celle « d’avoir illicite » afin de mieux la circonscrire. L’adoption dudit projet de loi est intervenue à l’issue de l’exposé des motifs de l’émissaire du gouvernement, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Sansan Kambilé. Un exposé dans lequel aura décliné la nécessité pour la Côte d’Ivoire de se doter de ce dispositif juridique.
Ainsi, le projet de loi – composé de 17 articles – tel que présenté par le ministre de la Justice précise ledit régime à travers la définition de la notion et la détermination des modalités de sa mise en œuvre. « Le présent projet de loi prévoit que la mesure de gel des avoirs est décidé en cas d’urgence par le président de la Haute autorité pour la bonne gouvernance (HABG), seule autorité administrative habilitée par la loi », a dit d’entrée par le ministre de la Justice. Et d’ajouter que la mesure de gel des avoirs de la HABG est une « mesure conservatoire ».
Toutefois, en application de cette disposition, a poursuivi le ministre, la décision de la HABG, qui ne peut durer cinq jours, doit être homologuée par le président du Tribunal, à la requête du procureur de la République qu’il saisit à cet effet. « Cette décision d’homologation permet ainsi à la HABG de poursuivre ses investigations. Les questions liées à la destination des biens gelés relèvent de la compétence de son président durant toute la procédure de l’enquête.
La décision d’homologation doit être ensuite notifiée à la partie concernée et peut faire l’objet d’un recours non-suspensif devant la Cour d’appel dans un délai de quinze jours», a-t-il expliqué. Avant de préciser que dans son rôle de gestion du contentieux sur les biens gelés, le « président de la Haute autorité » est « habilité » à prendre « toute mesure pertinente », conformément aux dispositions des articles 100 et suivants de la loi N°2016-992 du 14 novembre 2016 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Par ailleurs, en tout état de cause, a laissé entendre Sansan Kambilé, le rejet de la plainte pour corruption par la HABG entraîne de plein droit la mainlevée de la mesure du gel. Dans le cas contraire, c’est-à-dire, en cas de condamnation du concerné à l’issue de la procédure judiciaire, les biens gelés peuvent faire l’objet de confiscation.
« Les détenteurs ou gestionnaires des biens, objet de la mesure de gel des avoirs qui entravent l’exécution de cette mesure, sont passibles de sanctions pénales », a-t-il dit pour conclure. Un exposé qui aura convaincu les différents groupes parlementaires en occurrence ceux du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et le Rassemblement des républicains (RDR). Ils ont unanimement salué la volonté du gouvernement et du président de la République, Alassane Ouattara de doter la Côte d’Ivoire de moyens de lutte efficace contre la corruption. Si les groupes ont apprécié cette initiative, ce fut moins le cas de certains membres de Commission que sont entre autres Alain Lobognon et Affi N’Guessan Pascal, respectivement députés de Fresco et de Bongouanou.
Ils ont émis des réserves vis-à-vis des termes «suspectés» et «soupçonnées» contenus dans les articles 1 et 3 du projet de loi. Selon eux, les termes n’ont pas leur raison d’être. Se montrant plus explicites, ils ont fait savoir que des avoirs suspectés ne sauront être considérés dans ledit texte comme illicites. « L’honorable Affi a été clair dès le départ. Il a dit qu’on doit légiférer ici sur le gel des avoirs et préciser à quel moment les avoirs peuvent être gelés. De ce fait, des avoirs jugés illicites à l’issue des enquêtes du procureur et de la HABG peuvent être gelés. Alors que sa proposition a été rejetée, on veut nous lier les mains en nous demandant d’accepter qu’une suspicion vienne se jeter sur les avoirs des citoyens.
Dès lors que la suspicion est utilisée, nous pensons que la loi est orientée. Ne nous donnons pas le pistolet pour qu’on nous achève. Nous sommes des hommes politiques. Par exemple, nous sommes en pleine élection et vous devez faire un grand meeting et on vient vous dire que vos comptes sont gelés parce que vous êtes suspecté d’avoir reçu de l’argent corrompu. Il faut qu’on respecte les droits des uns et des autres », a dénoncé Alain Lobognon. Quant à Affi N’Guessan, il a indiqué qu’au lieu de parler de « loi portant sur le gel des avoirs illicites », il faut légiférer sur « le gel des avoirs » et indiquer que « seuls des avoirs illicites peuvent être gelés ».
Par ailleurs, suggère-t-il plutôt que le texte mentionne que « les avoirs d’un individu ne peuvent être gelés sauf s’ils sont illicites ». A ces critiques, le ministre de la Justice a répondu que la loi est « générale et impersonnelle ». « Cette loi n’est pas faite pour pourchasser un opposant à la veille d’une élection. Elle ne cherche pas à accabler quelqu’un. À moins que cette personne se reproche quelque chose », a rectifié le ministre. Avant de recadrer les deux parlementaires : « Ne nous éloignons pas du sujet, ne nous détournons de la loi».
Outre ce projet de loi, les parlementaires ont adopté un autre portant ratification de l’ordonnance n°2018-25 du 17 janvier 2018 portant modification de l’ordonnance n°2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées, telle modifiée par l’ordonnance n°2015-176 du 24 mars 2015. Un projet de loi qui élargit la liste des personnalités assujetties à la déclaration de patrimoine. Ce, conformément à la Constitution du 08 novembre 2016.
Philippe Nado