En Côte d’Ivoire, les pagnes occupent une place de choix dans la culture vestimentaire. Mais ils sont aussi par l’intermédiaire des sobriquets qu’ils portent, un miroir social vivant, car ils recèlent nombre d’histoires et de secrets.
Fabriqués traditionnellement avec des matériaux de la forêt ou de savane ; en écorce battue ou en fibre orné de motifs ; ou de manière moderne avec des tissus imprimés par les grandes firmes, les pagnes sont portés chaque jour et servent à confectionner des chemises, pantalons, robes, des sacs, des chaussures, des rideaux, des draps, des nappes….
Les plus vendus et les plus connus de ces pagnes sur les marchés, portent des noms parfois simple, mais qui expriment haut ce que la population dit plus bas.
Ainsi, certains pagnes prônent l’égalité des sexes, ou servent à dénoncer l’infidélité, à interpeller les maitresses: «ton pied mon pied. si tu sors je sors», « Je cours plus vite que ma rivale», «maitresse yako», « l’œil de ma rivale », «Jalousie », «Tais-toi-jaloux ».
« Oeil voit, bouche ne parle pas » qui renvoie à la sagesse et la discrétion des femmes qui le portent. ; « Awoulaba », qui représente la beauté de la femme avec ses généreuses courbes ; « Amassewa » qui symbolise la bonne épouse : douceur et humilité.
D’autres pagnes communiquent sur l’actualité politique et économique tels que : Le balai de Guei (pour faire allusion au coup de 1999 en Côte d’ivoire. Le Président, Henri Konan Bédié est renversé par l’Armée. Il est remplacé jusqu’à la tenue des nouvelles élections par le Général Robert Guéï.), « Dévaluation », «Conjoncture ».
Sur des événements liés à l’actualité mondiale tel que: « la fusée Apollo» nommé après le lancement de la fusée du même nom, « Kennedy » en hommage au président américain, « Barack Obama », en hommage au premier noir américain
D’autres noms permettent de partager un coup de gueule: « 3 ministères toi seul » (nom donné pour dénoncer l’accumulation de postes par des hommes politiques).
« Mon mari est capable » avec ce pagne, la femme exprime à son entourage et à ses rivales l’amour que son mari lui porte.
Certains noms tels que « réconciliation », «L’union fait la force », sont donnés pour symboliser la fraternité et la solidarité. Dans une Côte d’Ivoire qui a connu presque dix années de guerre, en le portant, il invite tous les Ivoiriens à se donner la main pour, ensemble, s’engager dans la reconstruction du pays, explique un spécialiste.
Origine et utilité des pagnes
Les pagnes sont particulièrement ancrés dans la société ivoirienne, commente Ouraga Basseri, sociologue et enseignant à l’université Félix Houphouet Boigny d’Abidjan.
« Pour l’ivoirien, le pagne a une valeur symbolique, culturelle. Il intervient dans les rites tels que les dotes, pour marquer un attachement à la famille, en considération à la valeur qu’on accorde à la femme. Il intervient aussi dans les cérémonies funéraires, pour marquer son attachement au défunt, ou la grandeur de la famille est symbolisée par le nombre de pagne offert à cette occasion », dit il.
« Dans la hiérarchie sociale celle ou celui qui porte un pagne de valeur à de la valeur, en terme de pouvoir d’achat», ajoute t-il.
Toutefois, fait t-il savoir avec la modernité, il y a un délaissement du pagne. «Ce sont les femmes d’une certaine génération qui adorent les pagnes. Mais des hommes de culture veulent se réapproprier, en l’intégrant dans la culture, dans l’habillement », mentionne t-il.
Une activité économique rentable
A la rue du commerce au plateau, l’un des plus bouillants de la capitale économique ivoirienne, les femmes et hommes du secteur avouent que les noms augmentent surtout chez les femmes, la convoitise, les poussant à rivaliser d’adresse pour être la première à porter le modèle en vogue.
« Avec les noms on les vend mieux. Car ce que les hommes ne peuvent pas dire, le pagne l’exprime et en portant le pagne, ils s’expriment indirectement», indique D. Marcelline, une grossiste.
« Les clients aiment les noms, le mot qui calme. Ceux qui achètent les pagnes, s’intéressent d’abord aux noms, puis à la beauté », martèle Mariam Doumbia, une styliste.
Les pagnes sont vendus en moyenne entre 30.000 FCFA et 70.000 FCFA ) le complet (3 pièces). Ou plus pendant les fêtes des mères ou à la veille du nouvel an.
Jeanne Assamoua, d’une quarantaine d’années, ne jure d’ailleurs que par les pagnes. « Je porte régulièrement les pagnes et je les choisi par rapport à leurs noms », dit-elle en montrant un tissu qu’elle vient d’acquérir pour 40.000 fcfa.
Le marché du pagne fait face malheureusement depuis le début des années 2000 à la concurrence et à la contrefaçon. Des pays asiatiques ont profité du succès du pagne et se sont mis à en fabriquer parfois de mauvaise qualité vendus entre 2.000 (4 USD) et 6.000 F CFA (11 USD).
« Les dessins, les couleurs ils ont tout copié, ça nous fatigue, nous perdons assez », lâche écœuré D. Marcelline, sans toutefois dévoiler de chiffres.
Pour lutter efficacement contre la contrefaçon, selon le ministère de l’industrie et des mines, l’Etat de Côte d’Ivoire a fait voter depuis fin 2013 une loi relative à la lutte contre la contrefaçon et le piratage, et à la protection des droits de propriété intellectuelle dans les opérations d’importations, d’exportations et de commercialisations de biens et services, est en vigueur. Un comité national de lutte contre la contrefaçon a été également mis en place pour traquer les trafiquants.
Mais d’après Maurice Comoé, le président de la Fédération des associations de consommateurs actifs de cote d’ivoire, des disfonctionnements continuent toutefois d’exister :
« L’état n’a plus ses pouvoirs de contrôle de tout ce qui est mis sur le marché de la consommation au plan national. Les services de répression du ministère du commerce, les services de la direction générale du commerce intérieur, ayant en charge le contrôle et la régulation du marché de la consommation, sont en nombre insuffisant en termes de personnel. Pire, ils ne disposent pas de moyens efficients, de locomotion leur permettant d’assurer leur charge », déplore-t-il.
Fulbert YAO