Le coordonnateur des Coalitions de l’Afrique francophone pour la Cour pénale internationale (Cpi) explique dans cet entretien les conséquences des mandats d’arrêt émis contre le Premier ministre israélien et son ex-ministre de la Défense.
La CPI a le 21 novembre 2024, émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien et son ex ministre de la Défense, Benyamin Netanyahu et Yoav Gallant ainsi que le chef du Hamas Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri, plus connu sous le nom de « Deif » pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Peut-on dire enfin la Cour vient d’accuser des dirigeants du monde occidental qui semblaient bénéficier de l’impunité totale ?
Effectivement, ce 21 novembre 2024, la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (Cpi) dans la situation dans l’État de Palestine, a rendu à l’unanimité la décision de délivrer des mandats d’arrêt à l’encontre de MM. Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant, pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis depuis le 8 octobre 2023 jusqu’au 20 mai 2024 au moins, jour où le Procureur a déposé les demandes de délivrance de mandats d’arrêt.
En plus, la Chambre préliminaire I a délivré à l’unanimité un mandat d’arrêt à l’encontre de Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri, aussi connu sous le nom de « Deif », pour les crimes qui auraient été commis sur le territoire de l’État d’Israël et le territoire de l’État de Palestine depuis le 7 octobre 2023 au moins.
Dire que c’est maintenant que la CPI accuse des dirigeants du monde occidental n’est pas exact. Nous avons l’exemple de la situation en Ukraine. En, effet Le 17 mars 2023, la Cpi a émis des mandats d’arrêt contre Vladimir Poutine, président de la Russie, et Maria Lvova-Belova, commissaire russe aux droits de l’enfant.
Sur la base du principe de complémentarité conformément à l’article 1 du Statut de Rome, la Cpi est une juridiction complémentaire des tribunaux nationaux. Elle n’intervient qu’en dernier recours. Il faut savoir que la Cpi n’a pas été créée pour remplacer les juridictions nationales. Les pays occidentaux ont pour la plupart des mécanismes internes de lutte contre l’impunité. C’est ce qui explique qu’il y a souvent des poursuites contre des dirigeants en fonction comme à la retraite chez eux. Des exemples foisonnent. On ne peut donc pas dire que tous les dirigeants occidentaux bénéficient d’impunité. Il ne faut pas généraliser.
Une chose est d’émettre des mandats, une autre est de voir les pays les mettre en exécution. N’est-ce pas un coup d’épée dans l’eau quand on voit mal un Etat arrêter Benyamin Netanyahu et Yoav Gallant qui bénéficient du soutien ferme et total des USA ?
Nous ne croyons pas que ce soit un coup d’épée dans l’eau. Les USA ne sont pas partie au Statut de Rome de qui a mis en place la Cpi. Ils ne peuvent pas imposer leur décision à la Cour. A preuve, malgré les menaces, les pressions, intimidations et autres, le procureur a poursuivi son enquête et les juges ont décidé la délivrance des mandats d’arrêt à l’unanimité. Les Etats n’ayant pas adhéré au Statut de Rome, et donc n’ayant pas d’obligation, peuvent ne pas exécuter les mandats. Par contre beaucoup d’autres pays, Etats parties mettront en œuvre leurs obligations vis-à-vis de la CPI.
L’Union Européenne, l’Italie, les Pays-Bas, la France, l’Espagne, la Belgique et l’Irlande ont déjà fait savoir qu’ils appliqueront ces mandats d’arrêt.
Aujourd’hui, le premier ministre israélien et son ancien ministre de la Défense sont comme des prisonniers dans un ciel ouvert et des fugitifs en sursis.
Donald Trump, avait mis la pression sur la Procureure Fatou Bensouda qui avait été interdite de séjour aux USA. Avec son retour au pouvoir, il fera surement la même chose. Cela ne risque-t-il pas freiner la Cpi dans son action ?
Cela n’avait pas marché avec l’ancienne procureure et n’avait pas affecté le travail de la Cour. Mme Bensouda avait gardé le cap. Elle a travaillé avec dignité, indépendance et impartialité jusqu’à la fin de son mandat. S’il y a un « remake » des mêmes dispositions du président Trump, cela n’aura aucun impact sur le travail de la CPI.
Israël n’est pas signataire du Traité de Rome qui met en place la Cpi. Benyamin Netanyahu ne peut-il pas évoquer cela pour ne pas se sentir inquiété ?
C’est par méconnaissance du fonctionnement de la Cpi. Parmi les critères qui doivent être réunis pour que la Cour se saisisse d’une affaire, il y a le paramètre de la compétence territoriale. Même un Etat comme Israël qui n’est pas partie au Statut, dès l’instant où ses ressortissants commettent des crimes qui sont de la compétence de Cpi sur le sol d’un Etat partie, ils peuvent être poursuivis par la Cour. Cela a été le cas pour la Russie et aujourd’hui c’est Israël. D’ailleurs, la Chambre a relevé dans sa décision rendue, qu’il n’est pas nécessaire qu’Israël accepte la compétence de la Cour, étant donné qu’elle peut connaître de la question sur la base de sa compétence territoriale vis-à-vis de la Palestine.
Depuis le 2 janvier 2015, l’État de Palestine a adhéré au Statut en déposant son instrument d’adhésion auprès du Secrétaire général de l’Onu. Le Statut est entré en vigueur le 1er avril 2015 à l’égard de la Palestine
La CPI a émis un mandat contre Poutine qui n’est pas exécuté et elle vient d’accuser deux dirigeants israéliens. Cela ne fait-il pas trop pour une juridiction qui ne dispose pas de force de police et qui ne repose que sur la coopération des Etats ?
Il faut reconnaitre que l’une des faiblesses de la Cpi, c’est l’absence de force de police.
Dans le principe, conformément aux dispositions du Statut, les Etats parties s’engagent à coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites (Article 86) ; cette coopération concerne également l’exécution des mandats d’arrêt à travers l’arrestation et la remise de suspects (Article 89).
Malheureusement on constate que souvent cette obligation de coopérer est mise à mal pour des intérêts politiciens par certains Etats parties.
Les Etats parties au Statut de Rome doivent respecter leurs engagements à travers l’exécution des différents mandats d’arrêt émis. C’est à ce prix que le règne de l’impunité pourra prendre fin.
N’oublions toujours pas que l’impunité d’aujourd’hui est le crime de demain.
Nomel Essis