A Korhogo dans le cadre du concert de clôture du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua 11), l’un des deux chanteurs du groupe français de reggae Dub Inc, Komlan Aurélien, s’est prêté aux questions de L’Expression. Une interview vérité sur les secrets de la réussite du groupe.
Vous avez joué, pour la première fois, devant le public ivoirien à Abidjan. Avant votre deuxième sortie, ce dimanche à Korhogo (L’interview a été réalisée le samedi 21 avril.Ndlr), comment jugez-vous déjà ce premier contact avec les fans du reggae ?
C’était une belle première expérience Nous étions vraiment content de venir à Abidjan, grâce au Femua. C’était une très belle scène sur le terrain de l’Injs. On a eu un peu de frayeur au début parce qu’il y a eu un peu de pluie. On s’est dit que s’il y a une annulation, ce serait vraiment triste. Au final Dieu a voulu qu’on joue. On a pu faire notre prestation plus tard que prévu. On a eu quand même du monde. On n’avait pas malheureusement le stade plein. Mais, je pense que nous avons pu faire découvrir notre musique au maximum de gens. Il faut rappeler que nous sommes venus avec toute l’équipe technique. Il était important de présenter un vrai spectacle. Nous avons donc présenté un spectacle de son et de lumière tel qu’on le voulait.
Vous ne connaissiez pas ce public ivoirien. Est-ce que vous aviez des appréhensions ? Ou bien, le fait de savoir qu’Abidjan est la troisième capitale mondiale du reggae vous a d’emblée rassurés ?
Complètement. Quand je me suis mis à écouter du reggae, j’ai écouté autant Bob Marley qu’Alpha Blondy. Ce dernier a été un chanteur très important. Pas simplement pour les fans du reggae en France. Mais, pour tous les gens qui écoutent de la musique. Ismaël Isaac, Tiken Jah Facoly. Je me souviens quand j’avais 17 ans, je suis originaire du Benin, j’avais un cousin à Cotonou qui m’envoyait des cassettes. Cela, afin que je puisse écouter ce qui sortait à Abidjan. Déjà à l’époque, je m’étais rendu compte qu’Abidjan était la vraie capitale du reggae africain. Symboliquement pour nous, c’était important. Et si on part de la formation du groupe, notre premier morceau en collaboration, c’était avec Tiken Jah en 2003. On le connaît donc depuis presque 20 ans. Abidjan a toujours un peu marqué notre histoire et notre amour du reggae. C’était symbolique d’être là.
Lorsqu’on regarde l’ossature du groupe Dub Inc, on se demande comment vous êtes parvenus à acquérir cette notoriété, aujourd’hui indiscutable? Quel est le secret de votre réussite?
Avant tout, et pour que ça tienne, il y a pas mal d’amitié. On était avant tout une bande de jeunes amis. Au début du groupe, même pour ceux qui ne se connaissaient pas encore, on avait tous la volonté de faire de la musique. On a d’abord monté un groupe, pas d’abord pour réussir dans le sens… on ne pensait pas que ça allait durer aussi longtemps. On ne pensait pas que ça allait nous pousser aussi loin. Par contre, ce qu’on a très vite saisi, c’est qu’il y avait quelque chose de magique. On jouait ensemble. Akim, qui arrive avec sa voix orientale, cet accent arabe. Moi, je chantais des choses plus ragga. Ça marchait quand même. Il y avait quelque chose qui fonctionnait. Et, le vrai travail que nous faisons depuis 20 ans est de conserver cette magie ensemble et de conserver cette fusion. La seule manière de le faire est de laisser tout le monde s’exprimer. Que personne ne range ses affluences, ses origines. Au contraire les fasse ressortir afin de créer quelque chose ensemble. Je crois que l’image du groupe est aussi de dire aux gens qu’on a beau être d’origines ethnique, sociale différentes. On a beau avoir des influences différentes, on a réussi à créer quelque chose à nous. Quelque chose qui ne ressemble pas forcement aux Africains. Mais qui ressemble un peu à tout ça. En tout cas qui ressemble qu’à nous. Et, c’est notre vrai travail que de garder cela. (…) Et maintenant, c’est notre public qui nous porte en France et dans le monde. C’est grâce à des démarches, comme celle du Femua, que nous arrivons à construire un public en Afrique.
Votre musique ne ressemble pas à tout ce qui se fait comme reggae en Afrique. Là où la notion de musique de revendication est plus prononcée. Comment cela se perçoit dans vos chansons ?
Au départ, notre premier disque s’appelait «Diversité». C’était la fondation du groupe. C’est autour de ces valeurs-là, celles de la diversité et du métissage, que nous avons construit le groupe. Moi, j’ai grandi en France avec des Ivoiriens, des Sénégalais, des Polonais, des Portugais, des Marocains etc. Je venais d’une banlieue française où tous ces gens qui étaient venus pour travailler en France ont réussi à travailler ensemble. Donc, avant déjà de parler pour l’Afrique, on tenait à avoir un message universel dans le sens où la misère où quelle soit est la même. On voulait exprimer ces choses-là. Et cette idée d’exil qui est partout. Ensuite, de par nos origines africaines, on a voulu exprimer ce qu’on pensait par rapport au continent. Et pour cela, nous avons collaboré avec beaucoup d’artistes Tiken Jah, Alif et Drissa Dembélé du Burkina Faso …
Est-ce que ça vous parle, vous Dub Inc, les titres enflammés d’un Tiken Jah où d’un Alpha Blondy sur la corruption, les coups d’Etat etc.?
Oui Bien sûr. Après, nous on comprend bien que pour les artistes ici, c’est tout autre chose. Nous, ce n’est pas un texte qui va nous faire exclure de notre pays, qui va nous envoyer en prison. Le rôle d’un Tiken Jah, d’un Alpha Blondy ou d’un artiste qui a un message à faire passer ici est toujours beaucoup plus politique. Il a une résonance beaucoup plus politique, beaucoup plus directe avec les gens et les situations de son peuple. On admire ces artistes pour leur engagement. C’est aussi cela qui nous a emmené à cette musique. De voir à quel point des gens comme Tiken Jah peuvent aller aussi loin dans leur engagement. De quitter son pays pour s’installer au Mali pour essayer de reconstruire quelque chose. Nous sommes témoins de ces engagements. On trouve cela formidable.
L’ambition de Dub Inc est grande pour l’Afrique. On parle de conquérir le continent à partir d’Abidjan ?
Je suis réaliste. On ne fait pas de musique africaine. Nous, on va surtout intéresser les mélomanes ici. Les gens qui s’intéressent au reggae. Après, on verra. On a pu jouer dernièrement à Ouagadougou grâce à Alif parce qu’on avait collaboré avec lui. On a aussi joué en République Démocratique du Congo. Maintenant, on est à Abidjan. Après, on sera en Afrique du Sud. On se dit qu’en allant jouer dans plein de petits coins comme ça pour des choses importantes comme le Femua, on va commencer à créer un mouvement autour de nous. Cela parce que le Femua a un écho plus que culturel. Il a un écho social avec la thématique sur l’immigration.
Finalement, lorsque qu’on regarde Dub Inc, on se rend compte que votre histoire ressemble beaucoup à celle du groupe Magic System avec des notions d’amitié, de solidarité…?
Ce sont des valeurs primordiales. Si, j’ai un conseil à donner aux jeunes artistes, c’est de s’unir autour de ces valeurs. Après ce sont des valeurs qui doivent se chérir et se travailler. Je vais donner un exemple concret. Si on est ensemble encore après tant d’années, c’est parce que nous avons fait des choix radicaux sur l’argent. Nous partageons absolument tout ensemble. Moi, j’écris des textes. Mais, je partage avec les musiciens du groupe. Sans cette solidarité, ça ne marche pas.
Fofana Ali, Envoyé Spécial à Korhogo