L’époque où les hommes avaient l’apanage de certains métiers est révolue. Comme Audrey Sean, de nombreuses jeunes filles ont réussi à briser les stéréotypes autour de la coiffure homme. Portrait (empreint d’enseignements) d’une femme dans un métier d’homme.
Coupe de cheveux ras à la garçonne, teintée parfois de jaune poussin ou rose bonbon… Ce look capillaire singulier n’enlève rien à la féminité d’Audrey Sean, coiffeuse homme professionnelle épanouie. Malgré son look, elle conserve ses atouts de femme attirante avec son regard captivant et sa gestuelle gracieuse. Son apparence tranche avec ces «garçonnes» qui se sont tellement prêtées au jeu masculin au point de s’accommoder aux comportements déviationnistes. Audrey est bien différente. Elle assume sa féminité dans un milieu où elle exerce un métier d’homme. Sans complexe, la jeune fille arbore ses prouesses sur les réseaux sociaux. Les clients qui s’aventurent pour la première fois dans le salon, où elle exerce à Cocody-Angré, hésitent parfois à lui confier leurs têtes, les yeux fermés. Ignorant sûrement tout de cette jeune manieuse de tondeuse, challengeuse dans l’âme.
Mais revenons à la genèse de cette passion d’Audrey pour la coiffure qui débute en 2012 à Yopougon, dans un salon mixte (Ndlr, homme-femme). Les difficultés financières contraignent la jeune fille de 24 ans à s’intéresser à un métier, afin de subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. Comme toute bonne apprentie coiffeuse, sans formation théorique, Audrey se contente d’apprendre sur le tas, sous l’œil observateur de son ex-patronne spécialisée dans la coiffure dame. Le déclic va naître lorsque la faiblesse de l’affluence du côté des dames va détourner son intérêt au profit de la coiffure homme. Très vite, la stagiaire est attirée par les coupes, les teintures, les épilations, etc.
«Les femmes ne venaient pas assez comme les hommes dans l’autre box. Donc je m’approchais du coiffeur pour lui donner quelques coups de main. C’est à partir de là que j’ai commencé à prendre goût», confie-t-elle nostalgique. Mais le plus dur restait à venir puisqu’il fallait tirer son épingle du jeu et s’imposer. Il s’en est fallu d’un cheveu pour que la cadette d’une fratrie de deux enfants range définitivement la tondeuse. Tellement la saine émulation n’existait que de nom dans son environnement de travail dominé par les hommes. Désireuse de voler de ses propres ailes, elle décide, après deux années d’apprentissage, de s’aventurer au Burkina Faso.
Sa longue escale au pays des hommes intègres ne l’a pas éloigné de sa passion pour la coiffure. L’odeur des produits capillaires et le bruit de la tondeuse lui manquaient tellement qu’elle a dû retrouver son métier d’amour à son retour en terre ivoirienne. Audrey s’installe à son propre compte à Port-Bouët où elle est victime de complot de tous genres. Mais elle n’est pas gagnée par le découragement. Malgré cette atmosphère «hostile», elle gagnait environ 60 000 FCFA par mois. «La concentration et la persévérance sont indispensables pour tirer profit de tout métier que l’on fait ou envisage d’apprendre. Ça peut ouvrir d’autres portes. C’est grâce à mon travail que les gens m’ont connue. Parce que même si tu es une femme que tu ne coiffes pas bien, tu n’auras pas de clients», suggère-t-elle. Tout invitant les coiffeuses toute catégorie comprise à profiter des TIC pour promouvoir leur savoir-faire et se donner beaucoup plus de visibilité. Même si elle s’en sort avec sa rémunération mensuelle actuelle, Audrey Sean ambitionne d’ouvrir un salon de coiffure à son nom et former des jeunes filles. «Les temps sont devenus durs au point où les jeunes filles ne doivent plus avoir peur des métiers d’hommes», encourage-t-elle. La jeune coiffeuse nourrit de grandes ambitions et il ne serait pas surprenant de la voir prospérer dans ce domaine.
Isaac Krouman