De nombreux élèves des écoles confessionnelles islamiques en Côte d’Ivoire ne possèdent pas d’extrait d’acte de naissance ou de jugement supplétif qui ne sont pas exigés à l’inscription. Pis, ils ne sont pas parfois pris en compte dans les opérations d’identification organisées par l’Etat et les Ong. Notre reportage.
Assita Traoré parcourt chaque jour la distance qui sépare le domicile de ses parents situé au quartier « Ran » d’Anyama à son école coranique contre son gré.
Elle aurait souhaité comme ses camarades d’âge du même quartier, arboré la tenue bleu et blanc exigée aux élèves filles de l’enseignement secondaire en Côte d’Ivoire.
Agée de 14 ans, faute d’extrait d’acte de naissance, sa mère a du l’inscrire dans ces nombreuses « Medersa » ou établissement d’enseignement islamique qui accueillent de milliers d’enfants de la Cité de la cola.
La situation inconfortable d’Assita Traoré a été créée par la négligence de son père qui n’a pas déclaré sa naissance à la mairie alors que dans son carnet de naissance, l’on lit qu’elle est née le 8 novembre 2005 à la maternité d’Anyama.
« Elle est née alors que son père, un commerçant de cola, était à Dakar où il peut séjourner parfois plusieurs mois dans l’année. Sa mère, une analphabète, a gardé le carnet sur elle en espérant que son époux allait établir un jugement supplétif à l’enfant à son retour de voyage. Ce que le géniteur n’a pas fait parce qu’il fallait qu’il se rende au Tribunal de Yopougon auquel est rattaché Anyama. Il a trouvé la démarche couteuse », nous explique Cheick Ousmane Keita, 2ème adjoint au maire d’Anyama qui s’occupe de ces sans papiers.
Même s’il reconnait que l’absence d’une section du tribunal à Anyama est un handicap, l’élu municipal n’excuse pas pour autant la négligence du père d’Assita Traoré.
« On ne peut pas faire un enfant et ne pas le déclarer à l’état-civil pour quel que raison que ce soit. Ce n’est pas acceptable de nos jours », se plaint-il.
Le président des commerçants exportateurs de cola qui a ouvert un guichet pour recueillir les cas de toutes ces personnes sans identité et menacés d’apatridie, reconnait que de nombreux jeunes qui sont passés par l’école coranique sont sans extrait de naissance, une pièce qui n’est pas exigée à l’inscription dans la plupart de ces établissements. « Beaucoup parmi eux deviennent des apprentis de Gbaka ou des syndicats à la gare.
Le problème se pose quand ils veulent passer le permis de conduire où il faut fournir une carte d’identité.
Certains vont se faire établir de faux extraits de naissance à la sous préfecture pour obtenir le permis de construire afin de gagner leur vie», fait-il savoir.
D’autres plus audacieux prennent les extraits de naissance de leur frère ou d’un proche pour pouvoir passer le permis de conduire pour devenir chauffeur de gbaka, wôrô wôrô, taxi etc, révèle Cheick Keita.
L’imam Moussa Diarra, directeur de l’école confessionnelle islamique « Ibn Tamiyya » située à Abobo-Banco reconnait qu’ils ont des élèves inscrits sans extrait de naissance.
L’école a mis en place un système pour recueillir ces sans papiers afin qu’ils puissent s’inscrire.
« Nous leur confectionnons un dossier à l’inscription en attendant qu’ils fournissent un extrait d’acte de naissance avant la classe du Cours moyen 2 (Cm2). Ces cas sont fréquents chez les enfants qui viennent de l’intérieur du pays ou des orphelins », affirme le « Mwalim » ou le maître coranique.
Il soutient qu’un nombre infirme d’élèves n’arrive pas à présenter le Certificat d’étude primaire élémentaire (Cepe) faute d’extrait d’acte de naissance ou de jugement supplétif.
« Nous ne pouvons rien pour ces enfants sans pièce car la constitution des dossiers en dépend », regrette le maitre coranique dont l’établissement est inscrit depuis 2012 dans le tableau des écoles confessionnelles islamiques qui ont intégré le système formel.
Les oubliés pour compte
Le hic, les nombreuses campagnes menées par l’Etat ou les Ong pour octroyer des jugements supplétifs aux élèves de l’enseignement primaire n’ont pas pris en compte ceux des écoles confessionnelles islamiques. « Ce sont les oubliés de l’opération de lutte contre l’apatridie menée par le gouvernement. Il faut dire que ces élèves des écoles coraniques ne sont pas la cible de ces nombreuses campagnes organisées sur le terrain », reconnait Amon Dongo, coordinateur de la société civile ivoirienne engagée contre l’apatridie.
Pour combler ce vide, sa structure d’origine, le Mouvement ivoirien des droits humains (Midh), a ciblé ces enfants des écoles coraniques et ceux qui ne sont pas scolarisés dans les audiences foraines organisées à Gagnoa en 2018.
L’opération d’intégration des écoles confessionnelles dans le système formel initiée par le ministère de l’Education nationale depuis 2011, permettra à terme de réduire les cas d’élèves inscrits sans extrait de naissance. D’après les statistiques de la Direction des stratégies, de la planification et des statistiques (DSPS) du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle publiées en 2018, quelque 1409 écoles islamiques dont 244, soit 17,33%, sont intégrées dans le système éducatif national.
Cette enquête révèle que les écoles coraniques de type traditionnel où l’on apprend à mémoriser le Coran sont au nombre de 64 et les Medersa de 59. Les instituts franco-arabes bouclent cette liste avec 669 écoles.
Ces écoles islamiques comptent un effectif de 236. 920 élèves dont 105. 587 filles. Ce rapport d’enquête classe la Nawa (Soubré, Sud-Ouest) en tête de la répartition des effectifs des élèves par région administrative avec 32. 086 inscrits dont 3 448 dans les écoles confessionnelles intégrées ; 16 303 dans les écoles non intégrées ; 2 022 dans les types coranique traditionnel et 10. 267 au franco-arabe et 46 au Medersa. Le district d’Abidjan au Sud est classé 2è avec 29 127 élèves et le Sud-Comoé (Aboisso, Sud-Est) arrive en 3è avec 14 012 élèves enregistrés.
Le Bélier (Yamoussoukro, Centre) et le N’Zi (Dimbokro, Centre-Est) ferment ce tableau avec respectivement avec 890 et 651 élèves répertoriés. Les 6-11 ans représentent 69,7% de l’effectif global de ces écoles au plan national contre 0,5% pour les 19 ans et plus.
Près de 1,2 million d’élèves sans papier
Selon les chiffres publiés le jeudi 28 mars 2019 par le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, le nombre d’élèves du primaire ne disposant d’extrait d’acte de naissance s’élève à 1.141.942 de cas pour la rentrée scolaire 2018-2019.
C’est clair que cet effectif doit être revu à la hausse si on prend compte le nombre des élèves des écoles confessionnelles islamiques qui n’ont pas d’extrait d’acte de naissance.
Si rien n’est fait pour tous ces élèves, il faut craindre qu’ils deviennent des apatrides car c’est quasiment impossible pour eux de prouver leur identité.
Comme de nombreuses personnes dans leur situation, ils fondent leur espoir sur la Loi instituant une procédure spéciale de déclaration de naissance, de rétablissement d’identité et de transcription d’acte de naissance. Lorsque ce dispositif législatif a été expliqué aux populations d’Anyama par le député Ouattara Siaka dans les « Grins » de la commune, des personnes d’un certain âge ont manifesté lé désir de quitter leur situation d’apatride.
C’est le car de Moriba Camara qui a contacté le 2ème adjoint au maire pour obtenir un jugement supplétif dans le cadre de cette loi de la « dernière chance ». Agé de plus de 70 ans selon lui, il n’a jamais obtenu une pièce d’identité malgré les nombreuses audiences foraines organisées en faveur de ces personnes. « Il a passé toute sa vie comme orpailleur clandestin à Tortiya et à Seguela dans le nord du pays sans mettre les pieds en ville. Epuisé, malade, il est rentré à Anyama depuis deux ans sans aucune pièce d’identité », nous explique Cheick Keita qui l’a reçu. Ces cas de personnes à risque d’apatridie sont encore nombreux qui ont le regard tourné vers la justice pour retrouver une identité.
Nomel Essis