Les pays du Sahel sont confrontés, depuis des années, à l’avancé des groupes terroristes. Comme une personne qui se noie, les dirigeants s’accrochent à tout pour espérer venir à bout du phénomène. En plus des stratégies nationales, des espaces communautaires comme le G5 Sahel sont mis sur pied. Il regroupe le Tchad, la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Si la menace est réelle, il n’en demeure pas moins qu’il y a des jeux d’intérêts dans cette affaire. C’est du moins ce que pense Windlamita Marino Compaoré, professeur certifié de philosophie, doctorant en science politique. Lisez plutôt !
Introduction
Depuis un certain temps, la bande sahélo-saharienne est le terreau de l’insécurité ; une situation qui a concouru, semble-t-il, à la création du G5 Sahel, instance interétatique qui regroupe la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. Partant de là, cette instance s’est donné pour vocation de lutter contre l’insécurité par une approche holiste de la sécurité. Elle vient augmenter le nombre des organisations dans la région ouest-africaine.
Ce qui nous amène à nous poser les questions suivantes : quelle peut être la plus-value du G5 Sahel dans la lutte contre l’insécurité et sur l’intégration en Afrique de l’Ouest ? Ne faut-il pas craindre un conflit de leadership entre lui et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) ? La création de la force conjointe du G5 Sahel a-t-elle une incidence sur les politiques nationales de sécurité ?
De toute évidence, ce volet militaire de sa stratégie est fortement influencé par la France. Alors, faut-il y voir une manœuvre de la France en vue de maintenir son hégémonie dans le Sahel ? Qu’est-ce qui explique le lobbying de cette dernière en faveur du G5 Sahel ?
En plaçant le G5 Sahel dans la catégorie des organisations internationales, nous tenterons de répondre à ces questions en partant de l’approche théorique développée par Guillaume Devin sur les organisations internationales et le multilatéralisme (Devin, 2016). Sa thèse principale est que l’organisation internationale est « un construit social, solution provisoire à des exigences d’action collective résultant de la combinaison de stratégies intéressées et d’objectifs en mouvement » (Devin, 2016 : 9).
En effet, toute organisation offre un cadre pour l’action par la division du travail et des tâches par l’intermédiaire d’un système d’autorité et de communication. Ce cadre est fait de contraintes et d’opportunités. De même elle n’est pas un fait social neutre, mais « elle est structurée par ses membres et les relations de pouvoir qu’elles traduisent : si l’on sert et se sert des organisations, c’est aussi pour se servir » (Devin, 2016 : 17-19). Partant de là, on peut alors décliner l’hypothèse selon laquelle, le multilatéralisme (régional) du G5 sahel peut être une réponse possible à la question de la sécurité qui, aujourd’hui, requiert une action collective. Cependant ce multilatéralisme est imprégné des stratégies intéressées de certains acteurs qui le composent, surtout la France et la Mauritanie.
I. L’agenda du G5 Sahel et les politiques nationales de sécurité des pays membres
Le G5 Sahel, créé le 16 février 2014 à Nouakchott, est une réponse aux menaces sécuritaires liées aux phénomènes comme le terrorisme, la criminalité transfrontalière organisée, la résurgence des rébellions armées, les conflits intercommunautaires. Cet espace est devenu le lit de ces phénomènes à cause de la porosité des frontières qui est souvent le corolaire de la faiblesse des effectifs des forces de défenses et de sécurité, de la précarité de leur équipement, puis de la mauvaise gouvernance de façon générale. En un mot, les menaces sécuritaires gagnent du terrain à cause de la faiblesse des Etats de cette zone.
Face aux phénomènes de cette nature, le multilatéralisme régional apparait comme une méthode appropriée à la quête d’une sécurité collective. Ce qui peut légitimer la création du G5 Sahel. De même, elle adopte un nouveau paradigme de la résolution des problèmes de sécurité en conformité avec la logique en cours depuis quelques décennies dans les politiques onusiennes de sécurité : la conception holiste de la sécurité.
En effet, le sens de notion de sécurité a évolué ; il n’est plus à envisager sans le développement. Comme le souligne Barry Buzan, le problème de sécurité est très systémique, il s’agit d’un problème « dans lequel les individus, les États et le système jouent un rôle, et dans lequel les facteurs économiques, sociétaux et environnementaux sont aussi importants que les facteurs politiques et militaires » (Devin, 2016 : 207). Désormais il faut assurer simultanément la sécurité économique qui consiste à la protection contre la pauvreté, la sécurité alimentaire qui consiste à l’accès à l’alimentation, la sécurité sanitaire, la sécurité environnementale qui consiste à la gestion rationnelle et durable des ressources naturelles, la sécurité politique etc.
C’est cette nouvelle vision de la sécurité qui incline le G5 sahel à la mise sur agenda de la question de la bonne gouvernance, du renforcement de la capacité de résilience des populations à travers des politiques de développement. Cependant, le volet militaire du G5 Sahel semble être le plus attendu ou l’aspect sur lequel on communique le plus.
La mise en place du G5 Sahel n’est pas sans incidence sur les politiques nationales de sécurité. La force conjointe du G5 Sahel, lancée le 6 février 2017, est une force composée des forces de défense des pays membres. Elle ne vient pas se substituer aux forces de défense nationales des parties prenantes, mais en complément, semble-t-il. En effet, Au nom du principe de subsidiarité qui anime le G5 Sahel, sa « stratégie s’appuie sur les compétences et les avantages comparatifs des parties prenantes ».
Et au nom de ce même principe, « le G5 Sahel n’agit que si son action est plus efficace et apporte une valeur ajoutée à l’action des États. »(Secrétariat permanent, 2016 : 21). Par son Comité de défense et de sécurité, il offre un cadre stratégique de mutualisation des actions militaires, l’échange des renseignements qui est un élément très important dans la lutte contre l’insécurité transfrontalière. Le volet militaire initié semble être un mécanisme d’appropriation des questions de sécurité par les Etats de la région. Cependant, cette appropriation n’est-elle pas limitée ? Peut-on parler d’une autonomie opérationnelle de la force du G5 Sahel ? Faut-il voir dans la mise en place de la force conjointe la panacée des problèmes de sécurité ?
Ces questions ne sont pas anodines dans la mesure où des contraintes font obstacles à l’opérationnalisation des stratégies militaires de la force conjointe au point qu’on peut parler de « marge d’appropriation limitée » (Sow, 2018 : iv). Ces contraintes sont multiples à en croire Djbril Sow.
D’abord, il y a l’absence de dynamique interne franche et fondée sur une vision commune de la menace. Sinon qu’est-ce qui justifierait la création de la force multilatérale de sécurisation du Liptako-Gourma en janvier 2017 entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger ? (Sow, 2018 : iv). Ensuite, il y aussi l’amalgame des cibles dû à la coexistence entre terrorisme et lutte armée. Cette situation pose une difficulté aux forces d’intervention car les acteurs des luttes armées sont protégés par le droit international. Or ils sont aussi dans le trafic transfrontalier.
Enfin, son rôle stratégique problématique dans la nord du Mali où on a déjà la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) et l’armée française à travers la force Barkhane.
De toute évidence, il y a une centralité et une prépondérance de l’armée française dans la mise en œuvre de la force conjointe au point que l’on peut parler d’un « paradoxe de l’appropriation dans la dépendance » des questions sécuritaires par le G5 Sahel. Dans cette dynamique, une autonomie opérationnelle n’est pas envisageable en ce sens qu’aucun des cinq Etats sahéliens n’a la capacité militaire et la volonté politique nécessaires pour se substituer à la France. (Sow, 2018 : iv, 11). La coopération sécuritaire est fortement imbriquée avec la France au point qu’on peut parler d’un G6 qui ne porte pas son nom (Sow, 2018 : 11).
II. Le G5 Sahel entre les questions de l’intégration, de la souveraineté des Etats de l’Afrique de l’Ouest
Le G5 Sahel vient augmenter le nombre des instances à vocation multilatérale dans la région ouest africaine. Certains y voient le spectre de la fragmentation de l’Afrique de l’Ouest (Yapi, 2017). Cette position se justifie-t-elle ? En effet, Au nom du principe de cohérence, le G5 Sahel tient compte des instances préexistantes et travail à trouver « une cohérence avec d’autres stratégies portées par les autres organisations régionales et internationales. » (Secrétariat permanent, 2016 :21). Partant de ce passage, on peut entrevoir une éventuelle collaboration ou une synergie d’action entre le G5 Sahel et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO).
Mais, il faut souligner que la position de Gilles Yapi est aussi fondée pour deux raisons. D’abord cette nouvelle instance est, géographiquement, englobée par une autre instance qui est la CEDEAO. Et le multilatéralisme qui y a cours se fait avec des États qui n’appartiennent pas uniquement à la CEDEAO, un regroupement dans lequel l’intégration est très avancée. De même, il y a une similarité des objectifs entre ces deux regroupements au point qu’on peut dire que la probabilité d’une concurrence dans la pratique est très élevée. Du point de vue des feuilles de routes, les objectifs du G5 Sahel ne se distinguent pas considérablement de ceux de la CEDEAO.
En effet, le texte du Secrétariat permanent sur la stratégie du G5 Sahel est clair : celui-ci travaille à garantir l’intégration économique et régionale (Secrétariat permanent, 2016 : 4). Pourtant la CEDEAO s’était assigné cette tâche. On est tenté de dire que dans cette aventure, on veut faire du nouveau avec du vieux (Abba, 2017). Vu l’urgence et les moyens que la mise en place de ce projet nécessite, n’était-il pas plus judicieux de confier cette tâche à la CEDEAO qui a déjà ses organes ? Ou des intérêts cachés en jeu nécessitent la création d’un nouveau cadre ?
La problématique de la souveraineté des Etats
L’analyse de la question de la souveraineté peut se lire à deux niveaux d’échelles différentes à savoir à partir de l’Etat dans l’organisation et à partir de l’organisation en tant qu’acteur sur la scène internationale. Il faut noter que les organisations interétatiques « sont des pôles d’autorité échappant partiellement à l’action des gouvernements et deviennent ainsi des acteurs du système international » (Marchesin, 2008 : 93-94).
En principe, la souveraineté des Etats du G5 Sahel n’est pas compromise puisque l’appartenance à cette organisation relève d’une adhésion volontaire. De même, au nom du principe d’appropriation, la stratégie est formulée à partir des différentes recommandations de la conférence des Chefs d’Etat des pays membres qui en est l’instance suprême de décision. Ce principe exige l’implication et la responsabilité de chaque États. Cependant, cette adhésion à l’organisation implique des pressions, des contraintes dans les faits. Cela est déjà visible avec la rupture diplomatique entre le Burkina Faso et Taiwan. Le Burkina Faso était obligé de rompre avec Taiwan à cause d’une contrainte relative à son engagement dans le G5.
La Chine est l’une des partenaires du financement de certains projets de développement de cette organisation. Celle-ci n’est pas disposée à faire profiter le financement à un pays qui reconnait Taiwan comme un État. Comme l’avait bien remarqué Philippe Marchesin, « l’une des principales limites de l’autonomie des organisations interétatiques concerne leur budget » puisqu’il dépend du bon vouloir des Etats (Marchesin, 2008 : 91). Même en tant qu’acteur sur la scène internationale, le G5 Sahel dépend du financement de l’Union européenne (UE). Alors, si nous partons de l’idée de la consubstantialité entre efficacité et autonomie financière d’une institution, on est en droit d’être sceptique quant à l’éventuelle efficacité dans la mise en œuvre des politiques de développement et de sécurité projetées par le G5 Sahel.
III. Le G5 Sahel ou le jeu des intérêts
1. Le jeu d’intérêts des acteurs membres
A partir de la configuration actuelle des acteurs (Etats) du G5 Sahel et ses « partenaires », on peut y appréhender un jeu d’intérêts. De prime abord, une organisation internationale est « une structure d’opportunités dans laquelle les intérêts s’affirment et se recomposent. » (Devin, 2016 : 121). Cela s’explique par le fait que l’adhésion est toujours intéressée. On peut avoir un profit à portée internationale ou nationale. Le G5 Sahel n’échappe pas à cette logique.
De même « les organisations régionales constituent ainsi des ressources politiques qui offrent aux affiliés (aux Etats et à leurs responsables) des opportunités de distinction et de leadership bien plus difficiles à acquérir au sein des instances du multilatéralisme mondial dans lesquelles ils restent souvent des acteurs dominés » (Devin, 2016 : 139). Cette théorie semble se confirmer à la lecture du cas Mauritanien dans le G5 Sahel. La Mauritanie y tire un profit symbolique parce qu’en s’engageant dans le G5 Sahel, elle gagne en visibilité à l’échelle internationale.
En effet, celle-ci ne jouait pas les premiers rangs dans l’Union du Maghreb arabe (UMA). Et l’occasion d’abriter le siège d’une instance qui a le vent en poupe lui permet d’être au-devant de la scène internationale de la bonne des manières. Aussi par la circonstance, abritera-t-elle l’école régionale de guerre du G5 Sahel, l’une des rares écoles militaires de l’Afrique. Et ce projet avoisinerait 7 millions d’euros (Lettre du continent, 2018 : 1).
Du coté des partenaires du G5 Sahel, on peut expliquer le lobbying de la France par ses intérêts en jeu. En effet, elle fait partie des pays qui forment avec le G5 Sahel « les partenariats stratégiques mutuellement bénéfiques » (Secrétariat permanent, 2016 : 19)). Elle y tire un profit normatif par l’« imposition » de ses stratégies militaires en matière de lutte contre le terrorisme à travers les opérations qu’elle coordonne. Du point de vue économique, son effort est motivé par le fait que les fonds fiduciaires doivent être gérés par l’agence Expertise France et le fait que dans le contrat, l’appui de l’Arabie saoudite doit exclusivement servir à l’achat d’équipements militaires français (Lettre du continent, 2018 :1).
La question de l’intérêt peut se poser à l’endroit de certains acteurs qui ne sont pas dans le jeu mais qui influencent sa configuration. C’est le cas de l’Algérie. En effet, le cas de l’Algérie peut se lire dans un double sens. D’abord celle-ci semble méfiante vis-à-vis de cette organisation parce que de façon officieuse elle voit le retour de la France à ses frontières. Ce qu’elle ne peut pas supporter compte tenu de leur relation passée. Mais il y a aussi que les pays du G5 sahel veulent éviter des querelles de leadership ou éviter de voir leurs ambitions entravées par un « grand-frère » qui n’a pas toujours su assumer ses responsabilités. Au regard de ce jeu d’intérêts, il y a lieu de reconnaitre que le multilatéralisme est aujourd’hui un objet de puissance que les États tentent de contrôler () Devin ,2016 : 164. Et le G5 Sahel n’échappe pas à cette logique. La suite ici https://lefaso.net/spip.php?article94879
Source Lefaso.net