Certains sont muets, d’autres sourds ou malentendants ou encore les deux à la fois. Mais ces enfants vivent les mêmes réalités, la même galère. Quel est leur quotidien ? Comment se fait leur éducation? Quel avenir leur est-il réservé? Quelles sont les attentes de leurs parents ? Dossier sur ces enfants dont l’ouïe et le langage font souvent défaut pour toute une vie.
Elle a régulièrement le téléphone portable en main. Et ce 1er janvier 2018, jour du nouvel an, le besoin de Barakissa est plus que pressant. Il est 15h et l’ambiance est celle des grands jours de fête. Les enfants, superbement habillés, commencent à sortir des maisons pour les visites de famille. Certains choisissent de rendre visite à des sœurs, frères, oncles…d’autres par contre prennent d’assaut les supermarchés et le Zoo d’Abidjan. Cette dernière option est le choix de Barakissa. Se saisissant de son téléphone, elle envoie un message à son père : «Je veux partir au Zoo».
Assis sous un gros arbre avec ses amis en train de prendre le repas, Traoré Brahima, menuiser à Williamsville, répond : «OK». Il a compris le message. Sa jeune fille de 15 ans, sourde-muette, veut aller au Zoo d’Abidjan. Malheureusement elle ne peut le dire à son père de façon audible. A défaut de le retrouver parmi ses amis et de lui parler à travers les signes ou par le biais des gestes, elle a choisi une méthode plus discrète : le Sms (Short message service, Ndlr). Ce n’est pas la méthode idéale, mais la seule qui lui permet généralement de communiquer avec sa fille qui est malentendante depuis l’âge de 2 ans. «Elle parvient à émettre quelques fois des sons, mais ne parle pas», explique le père. Selon ce dernier, tout a débuté alors que la petite rentrait dans sa deuxième année. «Elle avait régulièrement la fièvre les soirs, et nous utilisions des médicaments pour la faire baisser. Et un jour, sa mère a remarqué que son oreille gauche puait. Après quelques jours de soins traditionnels, nous l’avons conduite à l’hôpital où le pédiatre lui a fait les premiers soins avant que nous ne puissions voir l’Orl (Ndlr, Otorhinolaryngologie). Ce dernier nous a prescrit une ordonnance. Et malgré l’achat des médicaments, c’est bien plus tard que nous nous sommes rendu compte que l’enfant ne réagissait plus lorsqu’on l’appelait», raconte le père.
Mais à l’âge de 10 ans, M. Traoré a pu inscrire sa fille dans une école de la commune d’Adjamé, juste pour qu’elle ne reste pas à la maison à ne rien faire. Mais deux ans plus tard, il a jugé que c’était peine perdue, vu qu’elle devait faire le Cp1 pour la troisième fois, le père de Barakissa a préféré la retirer de l’école. Et depuis lors, elle est à la maison, et essaie tant bien que mal d’aider sa mère dans les tâches ménagères. La fille de K. Tinan Hélène, Koné Saran Grace Désirée, a eu plus de chance. Elle a eu l’opportunité d’être inscrite à l’Ecole ivoirienne pour les sourds (Ecis). Mais un établissement d’où elle a été éjectée après deux ans à la maternelle. Parce que malheureusement, en plus de vivre avec un handicap auditif, Désirée a une hémiplégie. «Une situation causée par une méningite purulente, doublée d’une anémie sévère qu’elle a chopée quand elle avait 6 mois. Malgré tous les traitements qui lui ont été administrés, les examens ont révélé plus tard qu’elle était sourde et hémiplégite», explique la mère. A ce moment, la jeune fille nous (le guide et moi) retrouve au salon où nous échangeons avec sa mère, et s’accroche au guide qu’elle reconnaît : C’est Camille Tano, président de l’Organisation nationale des parents pour handicapés auditifs de Côte d’Ivoire (Onphaci). Père d’une malentendante, cet homme connaît le langage des signes.
Dès la fin des salutations (Ndlr, qui se résument à croiser les mains tout en en faisant des gestes avec l’index et le majeur joints pour dire bonjour), ignorant que nous échangeons sur sa situation, la jeune fille met la télévision en marche. «Elle vient suivre un dessin animé qu’elle aime bien. C’est son programme de tous les matins à partir de 10h», tente d’expliquer la mère. Une fois réveillée, elle sait qu’il faut, à défaut de prendre une douche, au moins se brosser, prendre son petit déjeuner. «L’Ecis a refusé de la garder après ses deux années à la maternelle. On m’a dit qu’elle doit être réorientée parce qu’elle n’est pas équilibrée. Les assistantes sociales ont souhaité que je l’inscrive dans un centre de guidance. Ce que j’ai fait. Mais après 5 mois, faute de moyens (le centre de guidance est situé dans l’enceinte de l’Institut national de santé publique, et la famille est logée à Yopougon), j’ai tenté de la ramener à l’Ecis. Les éducateurs m’ont alors proposé l’alphabétisation pour ma fille, ce que j’ai refusé. Et depuis lors, elle est à la maison », clarifie la mère.
Un établissement primaire, des centaines de demandes par an
Si l’hémiplégie de Désirée pourrait expliquer qu’on lui ait refusé plus tard l’inscription à l’Ecis, il faut reconnaître que ce sont des centaines d’enfants non-entendants qui sollicitent cet établissement chaque rentrée scolaire. Certains élus ont été éjectés du circuit scolaire de l’Ecis du fait de leur âge avancé. C’est le cas de Tapé Koré Enock, 18 ans. Son handicap, au dire de sa mère, n’a pas facilité les relations entre papa Koré et elle. «S’étant rendu compte que l’enfant avait des difficultés à nous entendre et à s’exprimer, le père a vite fait de prendre ses jambes à son cou. Seule, et dans l’incapacité de payer un loyer à Abidjan, j’ai dû rejoindre ma mère au village. Et des années plus tard lorsque je suis revenue à Abidjan, j’ai appris l’existence de cette association des parents d’enfants sourds. Heureusement, ces personnes ont bien voulu m’aider en permettant à mon enfant d’intégrer cette école.
Et je crois à cette période (il y a 7 ans), après la constitution de tout les dossiers () l’inscription était à 60 000 Fcfa», explique K. Ahou Simone, la mère d’Enock. Et chaque année, le coût variait. Mais la mère du petit garçon parvenait à se faire aider par l’Ong les sœurs Ester qui s’acquittait des frais de scolarité. « Malheureusement mon fils n’a pas pu avoir accès à la classe de Cm1, parce qu’il avait 15 ans. Il a donc dû arrêter les cours au CE2, non pas parce qu’il est nul, mais parce qu’il est handicapé auditif», insiste la mère. Le message est perçu. Si Enock n’avait pas eu cette pathologie, il aurait pu aller dans une école normale à un âge raisonnable et faire de longues études. Mais il faut dire qu’à côté de cette catégorie de malentendants qui ont dû quitter l’Ecis du fait de l’âge, certains n’ont même pas pu y avoir accès faute de moyens. C’est le cas du petit Fanny Mory, âgé de 13 ans. Devenu sourd à l’âge de 3 ans suite à l’écoulement de l’oreille, les traitements traditionnels et modernes n’ont pas permis à ses parents de venir à bout de ce mal. Le Père Fanny Moussa, menuisier, et son épouse Doumbia Alimata commerçante, habitent la commune d’Anyama.
«Les dépenses que nous avons effectuées pour tenter de guérir le mal dont souffre notre fils nous ont financièrement épuisés. Nous parvenons difficilement avec nos petits métiers, à subvenir aux besoins de la famille. Si nous devons aller l’inscrire à l’école des sourds de Yopougon, nous ne pourrons pas faire face aux charges. Comment lui payer quotidiennement le transport, la cantine, … Nos maigres moyens ne nous permettraient pas de continuer. C’est pourquoi nous avons opté pour l’inscription chez le Pasteur Aké qui essaie de leur apprendre à lire et à écrire», soutient M. Fanny. Pasteur Aké Maximin, ce bon samaritain pour les enfants sourds d’Anyama essaie tant bien que mal, d’apprendre le B, A = BA à ces tout-petits qui, malheureusement, ont été oubliés dans les politiques de développement. Sous un préau de fortune construit dans la grande cour de l’église Baptiste Fondamentale d’Anyama, cet homme de Dieu partage son savoir avec ces petits sourds. «Je crois qu’ils n’ont pas choisi de se trouver dans cette situation. J’ai appris la langue des signes bien qu’entendant, et j’essaie de la leur inculquer pour leur permettre d’échanger avec leurs amis, leurs parents. Pour le reste, le Tout puissant pourvoira», laisse t-il entendre. Pendant les échanges avec son père, le petit Mory, débout devant l’atelier nous regarde en souriant parce que dans l’équipe venue rendre visite à M. Fanny ce jour, se trouve son formateur, le pasteur.
Pour certaines précisions, le pasteur utilise le langage des signes auquel le jeune enfant répond aisément. Aujourd’hui en classe de CM1, Mory continue d’aller suivre les cours dans la cour de l’Eglise. A ces temps perdus, il joue avec les autres enfants du quartier qui ont fini par s’habituer à sa manière particulière de communiquer. Mais il faut dire que Mory, comme tous les autres enfants malentendants d’Anyama, a cette chance d’avoir le Pasteur Aké. Et s’ils s’adonnent effectivement à leurs études, ils ont l’opportunité de faire l’examen pour l’obtention du Certificat d’étude primaire élémentaire (Cepe). Si la chance leur sourit et qu’ils sont admis, leurs parents devront se faire à l’idée qu’ils iront faire le secondaire dans la commune de Yopougon. Parce que c’est dans cette seule commune, une fois de plus, que se trouvent les établissements qui encadrent les enfants non-entendants. Et c’est malheureusement l’un des calvaires des enfants sourds des autres communes d’Abidjan. « Etre sourd et aller à l’école, avec les réalités que nous connaissons, c’est déjà difficile. Mais quand l’enfant doit quitter une commune comme Treichville, Koumassi ou Port-Bouët, c’est un calvaire », relève Grattié Barnabé, père d’un enfant sourd, habitant la commune de Port-Bouët, précisément au quartier Adjouffou. Son fils en classe de 3e au Lycée moderne Yopougon Andokoi (Lmya) est non entendant.
« Lorsque l’enfant a cours à 7H30 ou 8H, il faut déjà le réveiller à 4H30mn pour qu’il se prépare. Ensuite, je dois l’accompagner déjà à 5h ou 5H 15mn à l’arrêt de bus. Il attend d’emprunter un autobus pour se rendre à la gare Nord à Adjamé. Et à ce niveau, il attend encore un autre autobus, le N°20 à destination de Yopougon Andokoi», explique le père, pendant que le fils, assis à nos côtés promène le regard d’une personne à une autre. Aux questions qui lui sont posées, il répond à travers les signes, tout en souriant. Son père nous apprend qu’il a eu un peu plus de 10 comme moyenne annuelle. «La 4e n’est pas une classe difficile, tu aurais pu avoir plus que ça », lui dit le guide. C’est vrai, mais je ne comprends pas bien les cours», réplique le jeune garçon toujours dans la langue des signes. Pour lui permettre d’être plus indépendant, son père lui a acheté un téléphone portable. Contrairement aux enfants entendants, les malentendants utilisent surtout le portable pour écrire des Sms. C’est d’ailleurs cet outil qui a permis à Beugré Lozou, il y a deux ans, de ramener sa fille malentendante à la maison, un soir, après une forte pluie. «Beugré Marlène était en classe de 4e l’année dernière et a eu un souci pour rentrer à la maison après les cours. Elle a une carte de bus comme tous les élèves d’ailleurs, mais en plus, je lui remets quotidiennement de l’argent pour son petit déjeuner, son déjeuner et pour lui permettre de rentrer à la maison les soirs en Wôrô-Wôrô (transport en commun).
Et malheureusement ce jour-là, certainement à cause de la forte pluie qui s’était abattue sur Abidjan, les autobus ont pris du retard. Et lorsqu’elle est arrivée à Treichville, elle n’a pas pu avoir de moyen de transport pour rentrer à la maison. Elle m’a envoyé un Sms me disant qu’il n’y avait plus de bus, et qu’elle était à l’arrêt de bus d’Ivosep (Ivoire Sépulture). Je suis allé la retrouver et nous sommes rentrés. Elle était avec des camarades d’école qui habitent également la commune. Et ce jour-là, nous sommes rentrés après 24h», soutient le père. Si pour ces enfants malentendants d’Abidjan c’est la croix et la bannière pour bénéficier de l’éducation, que dire pour ceux de l’intérieur du pays ?
Les malentendants de l’intérieur, des laissés-pour- compte
Ceux-là, aucune alternative ne leur est offerte. C’est aux parents de se débrouiller avec leurs progénitures comme ils le peuvent. Aussi les parents de Yamoussoukro sont-ils contraints de s’orienter vers l’église CMA qui offre une alphabétisation à leurs enfants. «Ce sont des vacataires qui, dans ce centre, s’occupent de nos enfants. Ils font en fait de l’alphabétisation pour juste leur permettre d’avoir des rudiments et surtout pour pouvoir lire la bible. Mais il y a également l’école du dimanche qui est consacrée à l’apprentissage du langage gestuel », disent en substance mesdames Kandé Géneviève et Kouamé Cécile, toutes deux habitantes de Yamoussoukro.
Elles espèrent que l’Etat mettra effectivement en œuvre l’école intégratrice tant souhaitée. A Abengourou, il y a le collège Saint Joseph qui, pour l’instant, accueille 1 élève sourd. Ce parent de Katiola reste très remonté. «A ce jour, nous constatons qu’il n’existe qu’une école primaire spécialisée pour nos enfants: l’Ecole ivoirienne pour les sourds (Ecis) située à Yopougon (Abidjan). Mais tous, nous savons que tous les enfants malentendants ne se trouvent pas à Yopougon. C’est dire que l’Etat a décidé d’ignorer nos enfants qui vivent avec ce handicap auditif. Sinon, comment comprendre qu’il y a des enseignants qui sont affectés sur tout le territoire national pour la formation des enfants malentendants. Et les nôtres, qu’est-ce qu’on en fait ? Comme pour nous dire, personne ne vous a demandé d’avoir ce type d’enfant’’, lâche un parent sous le sceau de l’anonymat. Il poursuit : «Nous avons compris le non dit et donc nous gérons nos enfants comme nous le pouvons», vocifère t-il. Malgré ‘’cette injustice de la vie’’, malgré ces innombrables efforts que ces parents doivent faire au quotidien, que n’entendent-ils pas ici et là ? Une véritable souffrance pour les parents.
La souffrance des parents
La première grande douleur et qui est commune à tous ces parents ayant des enfants sourds est’’ de voir son enfant et ne pas pouvoir lui parler’’. «Cela déchire le cœur, et ça ne s’explique pas. Il faut être dans cette situation pour la comprendre», fait remarquer maman Koné Pogolignan, mère de Beugré Marlène. Elle tient à préciser qu’il lui a été difficile d’accepter l’état de sa fille. «Quand nous nous sommes rendu compte que notre fille Marlène était malentendante, j’en avais honte. J’ai quasiment pleuré toutes les larmes de mon corps. Je me suis demandée pourquoi c’est à moi que le Tout-puissant a donné ce type d’enfant. Mais croyante que j’étais, j’ai fini par accepter la situation, mais je ne sortais quasiment jamais avec la petite. Je préférais l’enfermer dans la maison malgré ses pleurs », soutient-elle. Et la situation est quasiment devenue invivable lorsque nous avons ouïe-entendu dire que mon époux et moi avons sacrifié notre fille pour être riches, c’était infernale. Je n’ai plus voulu vivre dans quartier de Treichville où nous étions au départ.
Heureusement que mon époux était en train de construire notre maison. Je crois même qu’il faut reconnaître que ce sont des paroles qui nous ont contraints à vite terminer notre maison de Port-Bouët que nous habitons actuellement», relève Mme Beugré. Mais aujourd’hui, Marlène est en classe de 4e et les parents continuent de se demander ce qu’elle deviendra. Ils souhaitent qu’elle puisse aller le plus loin possible dans les études. «Pour le reste, Dieu décidera», se résout à dire le couple Beugré. Cette énorme douleur, Koné Tinan, la mère, l’a également connue. Dans la grande cours de Yopougon Banco où habitent Koné Désirée et sa mère, (son père étant décédé), l’ambiance est cordiale. Cependant, au dire de la mère, certaines petites actions viennent quelques fois dégrader cette paisible cohabitation. « Il arrive que certaines personnes parlant de ma fille, l’appelle Bobodeni (Ndlr, petite sourde en malinké) ou alors même directement ‘’la petite sourde là’’ ! Au départ, cela m’irritait, j’avais mal. Parce que je me dis que je n’ai pas choisi d’avoir un enfant avec ce handicap.
Mais aujourd’hui, j’ai dédramatisé. Pour détendre l’atmosphère, il m’arrive moi-même de dire à un enfant de la cours appelle moi ma ‘’Bobodéni’’. Mais je me dis que ce n’est pas évident que tous les parents d’enfants malentendants puissent atteindre ce niveau d’acceptation», reconnaît la mère de Désirée. Mais en attendant de voir un lendemain meilleur avec la mise sur pied de structures adaptées avec toutes les commodités pour leurs enfants, ces parents sont fiers de voir leurs enfants grandir, et de se débrouiller malgré leur handicap. Koné Désirée parvient aujourd’hui à faire la vaisselle et la lessive, Beugré Marlène sait faire la cuisine et aide sa mère dans certaines tâches ménagère, Kandé Yah Fatim, la fille de Kandé Géneviève qui a 16 ans apprend la couture et Koré Enock, lui se débrouille dans la soudure. «Ils n’ont pas le choix, avec ce qu’on leur apprend, ils ne sont destinés qu’aux petits métiers», dit Mme Kandé, avec un brin de colère. Mais tous ces parents, chaque soir en regagnant leurs lits, espèrent que demain, il fera jour pour leurs enfants.
Touré Yelly
Encadré1 : Ces enfants omis dans la politique de l’école obligatoire
La déclaration universelle des droits de l’homme, en son article 26 stipule que : ‘’toute personne a droit à l’Education’’. Ce droit a été réaffirmé dans la convention relative aux droits des personnes handicapées en son article 24 qui met en relief à travers 5 alinéas, toutes les conditionnalités et obligations des pays signataires en faveur de l’éducation des personnes handicapées. La conférence de Jomtien (Thaïlande, 1990) relative à la déclaration sur l’éducation pour tous a réaffirmé le principe d’égal accès à l’éducation de tous les enfants ainsi qu’à ceux qui ont des besoins éducatifs spéciaux ou des handicaps. Par ailleurs, à travers l’objectif du millénaire pour le développement qui recommande d’assurer l’éducation pour tous, les nations du monde se sont engagées à offrir une éducation de base pour tous les enfants quel que soit leur statut, donc en dépit de leur handicap. D’ailleurs depuis Juillet 2015, le gouvernement ivoirien a pris l’initiative louable de rendre l’école obligatoire pour tous les enfants de 6 à 16 ans.
Qu’en est-il pour ces Enfants vivant avec le handicap auditif (Evha) ? Apparemment rien n’a été prévu. Les statistiques publiées par la Direction de la promotion des Personnes Handicapées (Dpph) d’octobre 2006 révèlent que 26.655 enfants handicapés à cette époque étaient en âge d’aller à l’école. L’on comptait parmi eux environ 15.000 enfants sourds dont 19% résidaient à Abidjan et banlieue. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire compte, au dire des Orl, plus de 58.000 enfants sourds. Et pour tous ces êtres d’Abidjan et banlieue, il y a une seule école primaire, l’Ecole ivoirienne pour les sourds (Ecis) et 3 établissements secondaires (Lycée Moderne de Yopougon Andokoi, Le Collège Mitterrand et le collège Senghor). Ces trois établissements peuvent-ils absorber tous les élèves qui souhaitent se former ?
Pas évident. Mais au dire de Koné Krowélé, Directeur de la promotion des personnes handicapées (Dpph), ces enfants ne sont pas oubliés. Tout en reconnaissant l’insuffisance des infrastructures d’accueil, la politique de l’école intégratrice est en train d’être mise en œuvre. Cette politique prévoit qu’à partir de la 6e, les enfants sourds intègrent les écoles normales. ‘Il y a déjà une phase pilote qui est en œuvre dans trois établissements de Yopougon. Depuis 4 ans, des élèves qui ont fait le Cours préparatoire à l’Ecis ont été intégrés dans des écoles normales en classe de CE1. Et, on essaie de voir leur évolution. Le projet a débuté avec 12 élèves dans 3 établissements pilotes que sont les Groupes scolaires Gare Nord 1, Gare Nord 2 et Gare Sud, qui appartiennent tous à l’Inspection de l’enseignement primaire de Yopougon. L’année suivante, 16 élèves ont suivi et 20 l’année d’après. Aujourd’hui, les premiers qui ont débuté le projet sont au Cm2 et travaillent bien. «La tendance mondiale aujourd’hui est à l’intégration, parce qu’on se dit qu’il ne faut pas créer une exclusion en allant construire des écoles juste pour les malentendants. Mais il est prévu la construction de ces écoles inclusives dans chaque pôle de développement.
C’est ce qui est prévu dans le plan de statistique qui, bientôt, sera pris en compte dans le Pnd (Plan national de développement). C’est dans l’optique d’être beaucoup plus proche des populations pour pouvoir éviter les déperditions. Le Psn (Plan stratégique national), où tous les axes ont été identifiés est en examen. C’est lui qui permettra de savoir combien d’établissements il faudrait construire pour résoudre cette difficulté », soutient le Dpph. En attendant la validation de ce document et sa mise en œuvre, les parents des Evha doivent encore patienter.
T.Y
Encadré 2 : Les limites des écoles des Sourds
Pour ces écoles spécialisées des sourds, tout n’est pas au beau fixe. Au niveau de l’Ecole ivoirienne des sourds (Ecis), les enseignants sont formels : le matériel de formation n’est pas adapté. L’enfant sourd a besoin d’un matériel particulier. Dans la formation, l’élément principal, est l’ouïe, or chez l’enfant sourd, cet élément est défaillant. Pour sa formation, l’enseignant passe par la vue. «Tout ce que nous faisons comme enseignement doit donc être accompagné de support pédagogique. Ces enfants ont besoin de supports imagés, pour leur permettre de comprendre, de supports visuels (les vidéo projecteurs, …). Malheureusement les supports pédagogiques dont nous disposons, sont ceux de l’éducation nationale. Par exemple dans le livre de science, il y a des images, mais qui ne permettent pas aux sourds de comprendre.
Parlant par exemple de la chaine alimentaire, le sourd voit certes les images, mais il faut qu’elles soient animées pour qu’il puisse suivre. Ainsi, il pourra voir la chenille qui mange la feuille, ensuite le margouillat qui mange la chenille, le serpent ensuite qui mange le margouillat, et ainsi de suite. «Face à la situation, nous avons discuté avec les responsables, mais on nous a dit qu’il n’y avait pas de moyens. Pour l’instant, c’est éducation national qui offre le matériel dont la plupart sert à la formation de l’enfant entendant. Aujourd’hui, avec la situation des enfants malentendants, il y a lieu de repenser la pédagogie pour le sourd, des documents adaptés pour les sourds », explique sous le sceau de l’anonymat un enseignant de cette école. Pour l’enseignement secondaire, ce sont quasiment les mêmes limites. Selon un enseignant du collège Mitterrand et un autre du Lycée moderne de Yopougon Andokoi, le manque de matériel adapté conduit généralement les élèves sourds-muets à faire juste du suivisme.
«Ils (Ndlr, Evha) ne parviennent pas à suivre le rythme, vu qu’il est souvent difficile de trouver l’équivalent de ce qui est appris aux entendants, en langue des signe. Et il faut dire que dans ces établissements, il y a à peine un enseignant de la langue des signes. Les autres sont surtout des encadreurs qui expliquent ou réexpliquent les cours aux élèves sourds en classe ou en dehors dans une salle dite spécialisée même si elle est vide! Mais la réalité est que le niveau des élèves rend la tâche encore plus difficile », lâchent en substance les ‘’enseignants’’.
T.Y
Encadré 3 : Les propositions d’un spécialiste
Pour le Pr Tera Kalilou, Maître de Conférences à l’Institut de linguistique appliquée de l’université de Cocody à la retraite, on ne peut pas dire que rien n’est fait. Il y a du travail qui est en train d’être fait au niveau de la Dpph et qui peut être considéré comme informel, parce qu’il n’y a rien d’institutionnalisé. Or, nous avons là un problème assez important qui est la prise en charge des enfants malentendants. Il y a une prise en charge des affaires sociales, mais là, il s’agit d’un problème d’éducation. Et c’est où il y a problème parce que la Côte d’Ivoire n’a pas encore correctement pris en compte l’éducation des malentendants dans l’Education nationale. Les malentendants ne sont pas comme les autres. On ne peut pas mettre un enfant handicapé dans la même école que les autres. Mais déjà, la première chose à faire est institutionnelle. Il faut un texte les concernant spécifiquement, qui les prenne en charge dans l’éducation et qui permette de mettre en place les conditions de cette éducation. Et la première des conditions est l’accessibilité.
«Avec une seule école primaire se trouvant à Yopougon, que fait l’enfant handicapé auditif de Bingerville, de Bouaké, de Korhogo ? L’Etat doit mettre dans toutes les régions de Côte d’Ivoire, ce type d’école pour les enfants. En plus de l’accessibilité, il faut faire en sorte que ces enfants aient des mesures spéciales qui puissent les accompagner. Il leur faut un langage spécial, qui est le langage des signes, pouvoir le développer et faire le lien avec le langage écrit », explique l’enseignant. Pour lui, ces enfants doivent avoir accès à l’information à travers le langage des signes. Mais au-delà, cela doit leur permettre d’accéder au langage écrit. «Il y a un langage des signes qui existe, le Asl (American sign language). Tout le monde l’a adapté à sa culture. Mais en Côte d’d’Ivoire, cela n’existe pas. Seulement un doctorant est en train de faire des recherches dans ce sens. Aucune action de développement ne peut se faire sans recherche. Ce qui existe déjà peut permettre aux enfants de terminer le cycle primaire, il a une communication minimale. Mais pour qui veut aller au delà, il faut un langage plus fin », poursuit le Pr Tera.
Heureusement en Côte d’Ivoire nous avons aujourd’hui un homme sourd (qui n’est pas muet’ qui a pu créer un dictionnaire. «Mais ce document comporte juste 250 à 300 mots. Il faut un dictionnaire beaucoup plus étoffé pour permettre aux enfants malentendants d’être plus indépendants. L’idéal aurait été que les livres utilisés en classe aient leur équivalent en langue des signes », préconise l’enseignant. Selon lui, à l’analyse, c’est comme si on donnait à ces Evha tout juste le B, A Ba et pour le reste on leur demandait de se débrouiller. «C’est sur que tout cela à un coût, mais cela est nécessaire à moins que l’on ne décide que ces enfants vivent d’assistance. Cela n’est pas digne. Nous n’avons pas le droit de faire de ces enfants des éternels assistés. Il faut changer cette donne, pour en faire des citoyens bénéficiant d’une éducation», conseille Pr Tera.
T.Y