2.000 personnes souffrent d’hémophilie en Côte d’Ivoire mais seulement une centaine sont prises en charge. Or, cette pathologie incurable qui ne touche que les garçons doit être prise en charge sinon les malades peuvent mourir lors de saignements causés par des blessures, des circoncisions…Et cela, parce que leur sang ne coagule pas.
Elle a le visage radieux et le soulagement se lit sur le visage de DouhéEliason Henriette. Et pour cause, des patients atteints d’hémophilie dont l’âge varie entre 2 ans et demi et 12 ans et un adolescent de 17 ans se sont fait circoncire en toute sérénité le 19 mars au Centre hospitalier et universitaire (Chu) de Yopougon. Cela, grâce au don de facteurs sanguins estimés à plus de 15 millions Fcfa, au service Hématologie du Chu de Yopougon, par le Laboratoire Saham Pharma du Maroc. «L’hémophilie est une maladie incurable.
Je suis mère d’hémophile, je suis une conductrice, c’est-à-dire que je fais des enfants hémophiles. J’ai le gène, je suis née avec, et je le transmets. Les personnes hémophiles sont un groupe de malades un peu particuliers car leur sang ne coagule pas.
Quand ils sont blessés, ils saignent et il faut une intervention pour qu’ils coagulent. Il manque un facteur dans leur sang qu’on compense par le facteur 8 et le facteur 9. Les marocains viennent prendre nos malades en charge parce que les hémophiles ne peuvent être circoncis sinon, ils perdent du sang et cela finit par les emporter. Et la plupart des médecins ne prennent pas cette initiative et les marocains sont plus expérimentés en la matière.
Le don de médicament fait par le Laboratoire Saham Pharma permettra désormais aux enfants hémophiles de se faire circoncire en toute sérénité. Evalué à plus de 82000 unités, ce don va couvrir les opérations de circoncision des malades sur une longue période», explique DouhéEliason Henriette, Vice-présidente de l’Ong Hémophile, bénéficiaire du don. Elle ajoute que de nombreuses personnes ont honte d’avouer qu’elles sont hémophiles et que cela constitue une des bases de leur lutte afin que les patients puissent bénéficier d’une prise en charge adéquate.
En effet, en Côte d’Ivoire sur une population évaluée à plus de deux milles hémophiles, seulement une poignée de ces malades, une centaine environ, bénéficient d’une prise en charge au Chu de Yopougon. «Il y a des gens qui ont honte de dire qu’ils sont hémophiles. Nous demandons à tous ceux qui sont dans les hameaux de venir nous voir. En plus de la Fédération mondiale des hémophiles qui nous aide, voici que nous bénéficions de l’aide des Marocains. Nos malades sont connus ici au Service hématologie dirigé par le Pr Sanogo Ibrahima. Il suffit qu’ils se présentent au Chu de Yopougon pour être reçu. Le médicament est gratuit», fait-elle savoir.
Certains hémophiles ont honte de leur statut
Mais qu’est-ce que l’hémophilie et comment contracte-t-on cette pathologie incurable. A ces questions, le Pr Mohammed El Khorassani, consultant de la Fédération mondiale des hémophiles, chargé de la gestion du Programme Hémophilie au Maroc et qui a conduit deux visites de formation sur l’hémophilie et la maladie du sang en Juillet et en octobre, apporte des éléments de réponse. L’hémophilie, explique-t-il, est une maladie hémorragique génétique qui empêche la coagulation du sang, causant des saignements anormalement longs en cas de blessure et parfois en l’absence de blessure. Elle est due à une mutation génétique qui entraîne le manque ou l’absence de protéines coagulantes empêchant la formation d’un caillot assez solide pour arrêter l’hémorragie.
Elle n’atteint que les sujets mâles et concerne une naissance de garçon sur 5000. Les filles peuvent être porteuses de la mutation génétique en cause et développer une forme mineure de la maladie. Une personne sur 12 000 est atteinte d’hémophilie. Il existe deux types d’hémophilie qui sont l’hémophilie A et l’hémophilie B. La prévalence de l’hémophilie A est supérieure à celle de l’hémophilie B. Ainsi, une personne sur 6 000 est atteinte d’hémophilie A contre une personne sur 30 000 pour l’hémophilie B. «L’hémophilie A, c’est lorsque le facteur 8 est absent et B quand le facteur 9 est absent. Les deux facteurs sont importants pour la coagulation du sang. En effet, Un enfant va obligatoirement se blesser dans sa vie et si l’enfant n’a pas ces protéines, même les soins dentaires ne peuvent lui être dispensés.
Lorsque l’enfant hémophile se blesse, cela peut donner des complications très graves et lorsqu’il va courir, il peut avoir des saignements dans les articulations et s’il saigne plusieurs fois, l’articulation va être détruite et cela va donner un autre handicap qui devient un handicap moteur. L’hémophilie A est plus fréquente que l’hémophilie B et dans la population hémophile il y a 80% d’hémophiles A et 20% hémophiles B. Même si ce n’est pas la même pathologie, sur le plan du saignement, de la symptomatologie, c’est exactement la même chose.
Les saignements sont toujours provoqués et prolongés par un choc ou un traumatisme », dévoile l’expert. Il ajoute que l’hémophilie est une maladie héréditaire mais elle peut être sporadique quand elle survient dans une famille où il n’y a pas d’antécédent. Quant à la prise en charge et la possible prévention contre cette pathologie, le consultant de la Fédération mondiale des hémophiles se veut optimiste.
80% souffrent d’hémophile A
Il révèle que des traitements permettent aujourd’hui de prévenir et de juguler les hémorragies. Ils consistent à administrer par voie intraveineuse le facteur anti hémophilique : le facteur 8 pour les hémophiles A et le facteur 9 pour les hémophiles B. «Ces médicaments anti hémophiliques sont élaborés à partir des produits dérivés du sang d’origine plasmatique, ou fabriqués par génie génétique. Ils sont administrés par des injections régulières et systématiques pour prévenir les hémorragies ou à la suite d’un accident hémorragique.
La kinésithérapie permet également aux personnes hémophiles d’entretenir la souplesse des muscles et la mobilité des articulations qui ont subi des saignements répétés.Aujourd’hui, la science est en train de travailler sur la génie génétique. On est en train de modifier le gène et comme c’est la femme qui donne la maladie, on peut faire des fécondations in vitro afin d’enlever le x qui est malade pour mettre un x qui est normal. Toutes ces expériences sont très compliquées», prévient Mohammed El Khorassani.
Le spécialiste évoque également la situation des hémophiles au Maroc, dont le nombre est de 1 000. Il explique que l’expérience marocaine dans la prise en charge est assez enrichissante. Et l’un des problèmes majeurs qui se posait au Maroc était la circoncision qui s’avérait trop chère à cause des médicaments. «Nous avons donc mis en place un protocole marocain qui fait que la circoncision est beaucoup moins chère et consomme moins de médicaments.
Le but de notre visite est d’échanger avec les collègues ivoiriens sur comment faire la circoncision et comment la rendre moins chère. Le deuxième volet est d’échanger avec l’association sur la prise en charge des hémophiles. Un hémophile bien traité peut revenir moins cher grâce à la gestion de l’handicap en lieu et place de la gestion du syndrome hémorragique. Les circoncisions traditionnelles qui sont faites chez les enfants qui sont hémophiles mais dont leur état est ignoré, provoquent des saignements qui conduisent au décès. C’est ce qu’on appelle syndrome hémorragique », instruit Mohammed El Khorassani. Il ajoute que tout geste chirurgical sur hémophile doit être fait si et seulement si le facteur 8 ou 9 est disponible. Il a souhaité que les autorités ivoiriennes fassent une grande sensibilisation sur cette pathologie qui est handicapante afin que l’enfant hémophile grandisse bien.
Napargalé Marie