Sale temps! Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale, maire de Yopougon et fondateur du groupe Snedai, n’est pas au bout de ses ennuis politico-judiciaires.
Le dernier en date est sa condamnation à verser 6,23 milliards de FCFA à Martine Coffi-Studer, dirigeante de la Société Civile Immobilière OCEANOR.
Elle revendique un titre foncier sur la parcelle de Treichville (sud d’Abidjan) où opère la Société de Transport Lagunaire (STL), filiale de Snedai.
La condamnation dans l’affaire Coffi-Studer n’est qu’un épisode parmi d’autres dans la tourmente que traverse Adama Bictogo.
En janvier 2024, un rapport explosif de la Cour des comptes révèle que seulement 792 000 FCFA – soit moins de 1 200 euros – ont été reversés à l’État ivoirien pour les recettes des cartes nationales d’identité et des passeports établis en 2022 par Snedai, alors même que ce marché constitue une manne financière colossale. Face aux interrogations, la société a réagi en assurant s’être « toujours acquittée de ses obligations ».
Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là. En 2023, une autre affaire, cette fois sur le terrain judiciaire international, rattrape l’homme d’affaires. Il est poursuivi en France pour « escroquerie » par la société Soeximex, spécialisée dans le négoce international. Cette dernière accuse Bictogo d’avoir failli à un engagement de remboursement d’un prêt contracté dans les années 2000, en pleine crise politico-militaire en Côte d’Ivoire.
L’origine du différend remonte à un accord passé entre Côte d’Ivoire Fruits, une société alors dirigée par Adama Bictogo, et Soeximex. En échange de cargaisons de cacao, la firme française avait accordé un prêt de plusieurs millions d’euros. Mais selon Soeximex, les livraisons de fèves réalisées entre 2004 et 2006 via le port autonome de Lomé n’auraient pas couvert l’intégralité de la dette. Un échéancier de remboursement en cinq tranches avait été signé, mais son non-respect a conduit Lucien Dagher, PDG de Soeximex, à porter l’affaire devant la justice française.
Dans le cadre de cette procédure, un bien immobilier appartenant à Adama Bictogo aurait été hypothéqué en France. Si cette affaire suit encore son cours, elle vient ajouter un nouveau foyer de tension pour l’homme d’affaires et haut responsable politique ivoirien.
Un scénario digne d’Emmanuel Dioulo ?
Ce que traverse aujourd’hui Adama Bictogo rappelle étrangement l’histoire d’Emmanuel Dioulo. En 1982, alors maire d’Abidjan, Dioulo se positionne comme un successeur potentiel de Félix Houphouët-Boigny, face à des poids lourds comme Henri Konan Bédié et Jean-Konan Banny. Soucieux de séduire le chef de l’État, il propose publiquement le transfert de la capitale à Yamoussoukro, une initiative qui plaît au « Vieux », mais ne change rien à son choix de privilégier Bédié.
Deux ans plus tard, un coup de tonnerre : la BNDA, principale banque avec laquelle travaille Dioulo, lui réclame 30 milliards de FCFA en remboursement de prêts et d’agios. L’homme d’affaires conteste le montant et saisit la justice, qui fixe finalement sa dette à 7 milliards de FCFA. Un chiffre toujours colossal, mais qu’il est en mesure d’honorer, préservant ainsi son avenir politique.
C’est alors qu’un acharnement médiatique et judiciaire se met en place. Sous l’impulsion du pouvoir, la télévision, la radio et la presse écrite lancent une offensive contre lui. Son immunité parlementaire est levée, et des poursuites pénales sont engagées. Pris dans un étau, il quitte discrètement le pays pour l’Europe, menaçant de publier un « Livre blanc » compromettant sur Houphouët. Ce bras de fer aboutit à une réconciliation en mars 1986 : Emmanuel Dioulo rentre en Côte d’Ivoire à bord du Concorde qui ramène Houphouët du sommet de la Francophonie de Paris. Mais il ne se relèvera jamais politiquement.
Bictogo, un homme à « abattre » ?
Les similitudes entre les deux trajectoires sont frappantes. Comme Dioulo en son temps, Adama Bictogo est un homme d’influence, aussi puissant sur le plan politique qu’économique. Et comme Dioulo, il est aujourd’hui pris dans une spirale où affaires judiciaires et mises en cause publiques se succèdent.
S’agit-il d’une simple coïncidence ou d’une volonté d’écarter un acteur devenu trop encombrant ? Dans l’histoire politique ivoirienne, de telles chutes spectaculaires ne sont pas rares. Mais une chose est certaine : lorsque le destin commence à bégayer, mieux vaut s’en méfier.
Fulbert Yao