L’opération de révision de la liste électorale n’emballe pas. Trois jours après le lancement, ce n’est pas l’engouement du côté des populations. C’est le constat fait, hier, dans des centres d’enrôlement de différentes communes du District d’Abidjan.
Lancée le 18 juin, l’opération de révision de la liste électorale prend fin dimanche. Chapeautée par la Commission électorale indépendante (CEI), elle a pour objectif l’actualisation de la liste électorale de 2016 en y apportant les modifications intervenues, depuis lors, dans le corps électoral. A cet effet, elle cible les nouveaux-majeurs – les personnes qui ont eu 18 ans à la date du 31 mai 2018 –, les personnes qui, bien que majeures, n’ont jamais figuré sur la liste ou les personnes qui veulent changer de lieu de vote ou ayant connu des modifications sur leurs données personnelles, notamment les femmes qui portent le nom de leurs époux après mariage.
Trois jours après le début de cette opération, qui doit offrir un fichier électoral pour des élections municipales et régionales de qualité, ce n’est pas l’affluence dans les centres du District d’Abidjan, du moins dans ceux que nous avons visité, hier.
Le premier centre à nous recevoir est le Groupe scolaire Nord dans la commune de Koumassi. Dans ce grand établissement, la CEI a ouvert trois bureaux de vote. Il est 9 heures passé de quelques minutes lorsque nous y arrivons. L’ambiance qui y règne est morose. Les quelques voix et cris qu’on entend viennent des élèves de Terminale qui ont choisi ce lieu pour préparer le baccalauréat. Au-delà de la présence des élèves en ce lieu, c’est l’échange d’un agent de la CEI avec un monsieur devant le bureau de vote Nord 2, qui attire notre attention. Tenant l’attestation d’identité de son interlocuteur entre les mains, l’agent recenseur tente de le convaincre qu’il ne fait pas partie des personnes concernées par l’opération. « Si vous avez voté lors des élections législatives, c’est que vous êtes sur la liste électorale. Cette opération concerne ceux qui ne sont pas sur la liste électorale ou qui veulent changer de lieu», a expliqué l’agent recenseur. Qui a invité son interlocuteur à revenir le 19 juillet pour consulter la liste provisoire. Juste à côté, son collègue est au téléphone. Il est reconnaissable par sa chasuble aux couleurs nationales.
Chef du bureau de vote Nord 3, il nous explique que les trois premiers jours n’ont pas accueilli grand monde. «Les deux premiers jours, nous avons enregistré certains. Mais, aujourd’hui, c’est une seule personne qu’on a pu enrôler (NDLR, il était presque 10 heures)», confie-t-il. «Les populations vaquent à leurs occupations les matins et c’est entre midi et deux qu’elles viennent se faire enrôler», tente-t-il de justifier.
Une de ses collègues qui remplit au stylo les en-têtes des formulaires d’identification explique qu’elle le fait pour gagner du temps, «au cas où des personnes viendraient pour se faire enrôler».
On ne se bouscule pas à Koumassi et à Abobo…
Une quinzaine de minutes plus tard, nous voilà, dans un autre centre, l’EPP BAD 5 et Municipalité 2 toujours à Koumassi. Le constant est le même. Contrairement au précédent établissement, un seul bureau de vote accueille les populations. Pour tout le temps que nous y avons passé (NDLR, une trentaine de minutes environ), seulement cinq personnes ont saisi la perche tendue par la CEI pour figurer sur la liste électorale. Ici, nous rencontrons un superviseur du Rassemblement des républicains (RDR). Djibo Lansina – son nom est inscrit sur le mandat qu’il nous présente – explique que son parti veut ainsi s’assurer du «bon fonctionnement» de l’opération dans le centre. «Au cas où des dysfonctionnements sont constatés, nous faisons remonter l’information vers nos responsables», indique-t-il.
En plus de cette fonction principale, il a la lourde charge de noter les coordonnées de ceux qui viennent se faire enrôler pour garder avec eux, un contact permanent. «Nous accompagnons les personnes enrôlées (…) et prenons leurs données personnelles. Au moment opportun, nous leur enverrons des informations relatives à la suite du processus», ajoute Djibo Lansina.
Autre lieu, autre commune. A Abobo, comme à Koumassi, le constat est le même. Notamment, à l’EPV Makan Traoré à Abobo Clouetcha et au Centre d’éducation préscolaire d’Abobo-centre où nous nous sommes rendus. A l’EPV Makan Traoré d’Abobo Clouetcha, Sékongo Kagnaniman, chef de centre le reconnaît : «il n’y a pas d’engouement». «Nous savons que les Ivoiriens attendent toujours les derniers moments pour se mobiliser. Nous pensons qu’ils se mobiliseront le week-end pour se faire enrôler», se console-t-il. Depuis le matin, ils n’ont enrôlé que 7 personnes.
A quelques lieux de là, au Centre d’éducation préscolaire d’Abobo-centre, le chef Sidibé Siaka, se tourne les pouces. Ils n’ont enregistré que 26 personnes dont la «majorité est constituée de nouveaux-majeurs», depuis le lancement de l’opération.
L’éclairci vient de Cocody, dernière commune visitée. En termes d’engouement, la commune chic aura eu la palme d’or de la journée. Du moins pour ce qui est des centres visités. Pour la journée d’hier, les agents commis par la CEI à l’EPP Angré 1 ont du pain sur la planche tant ils ont eu plusieurs cas à traiter. Lorsque nous arrivons en ces lieux, la cour de l’école grouille de monde. Assis sur les tables-bancs, dans le bureau de vote, certains jeunes attendent patiemment d’être reçus.
…quand des électeurs sont convoyés à Cocody
C’est vers l’une d’entre eux, assise dehors, que nous nous dirigeons. Lorsque nous déclinons notre identité, elle appelle sa sœur à son secours. Comme si elle ne voulait pas prendre sur elle la responsabilité de dévoiler ce que nous apprendrons quelques minutes. Celle que notre interlocutrice nous présente s’appelle Joëlle Kouamé épouse Konan. A la question de savoir si tout se passe bien, la dame répond par l’affirmative. « Nous avons fini depuis 9 heures (NDLR, il était 12 heures 30 minutes) », nous dit elle. Une réponse qui nous a paru à la limite suspecte. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Face à cette question, elle marque une pause. Joëlle Kouamé épouse Konan prend le temps de regarder « sa sœur » qui lui lance un sourire avant de répondre. «Nous attendons des amis. Nous venons tous de Yopougon et nous devons rentrer ensemble», relate-t-elle. Et de continuer son récit : « Nous sommes venus nous faire enrôler ici à Cocody pour soutenir des amis qui veulent être candidats». Nous comprendrons un peu plus cette situation à mesure que le temps passe. Alors que nous sommes prêts à quitter les lieux, nous croisons sur notre chemin un minicar qui stationne à l’entrée de l’établissement. A bord des jeunes qui ont choisi une stratégie surprenante pour ne pas attirer les regards. Une fois débarqués, ils entrent l’un après l’autre, dans l’établissement, comme s’ils n’étaient pas venus ensemble.
Cette tournée dans les centres d’enrôlement a permis de voir que trois jours après le début de l’opération, le bilan est mitigé. Car, si dans certaines communes, l’opération se déroule bien, il est clair qu’elle piétine dans d’autres. Espérons que les populations se mobiliseront pendant les jours restants afin de permettre à la CEI de produire une liste électorale de qualité.
Philippe Nado