Les difficultés de la vie ont fait d’elles des proies faciles. Comment avec peux de moyens parvenir à se payer un loyer et subvenir à ses besoins ? Les grossesses en milieu scolaire, un vrai danger pour les jeunes filles. Dossier.
Sous son visage d’ange, se cache une triste réalité. A 16 ans, elle est élève en classe de troisième au Lycée municipal de Sikensi et est mère d’un petit garçon qui a un peu plus d’un an. A midi, pendant que ces camarades de classe cherchent à manger et à se préparer pour la reprise des cours à 14 heures, Flora doit se dépêcher de rentrer à la maison, pour s’occuper de son bébé. «Quand je viens à l’école, c’est ma petite sœur qui s’occupe de mon enfant. Et comme le père ne donne pas toujours le nécessaire pour l’achat du lait, je fais l’allaitement mixe. Pendant que je suis au cours, on lui donne le biberon, mais à midi, je dois venir lui donner le lait maternel, m’occuper un peu de lui avant de retourner en classe», explique la jeune mère, un peu honteuse. Une autre jeune fille de ce même établissement, N. Yolande a14 ans et est en classe de 4ème. Elle a un petit garçon d’un an 5 mois. «Le père de mon enfant est élève en classe de 1ère. il a 20 ans et il a la chance d’habiter avec ses parents. Au départ il était mon confident, il a su être proche de moi. Il m’aidait régulièrement vu que mes parents ne parvenaient pas à assurer le loyer de ma maison et me permettre de vivre dignement. Vu qu’il m’aidait, je me suis mise avec lui, et malheureusement je suis tombée enceinte.
C’est ainsi que me parents ce sont complètement désengagés. Et c’est le père de mon petit ami qui payait mon loyer », explique Yolande, un peu triste. Après avoir perdu une année scolaire, Yolande a pu bien heureusement reprendre les cours l’année suivante. Mais quelle galère ! « J’étais contrainte de confier quelquefois l’enfant à des voisines avant d’aller à l’école. Et après les cours, il fallait venir m’occuper de lui, faire la cuisine pour mes frères et moi avant de penser à étudier », explique la jeune fille. Elle ne manque pas de reconnaitre que quelquefois, les études ne deviennent plus une priorité. «La priorité, pour une fille mère, c’est la survie », soutient l’élève qui regrette cette période de sa vie et le dit à qui veut l’entendre : «Si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, malgré les difficultés que je vivais je n’aurais pas contracté cette grossesse », lâche t-elle. Une résolution que partage K. Monique, élève en classe de 2nde A dans le même lycée. Cette dernière a un enfant d’un an 2 mois. Une grossesse contractée avec un manœuvre (un seigneur) de 23 ans dans une plantation d’hévéa. (Lorsque mes parents ont su que j’étais enceinte, mon père qui vit à Abidjan a souhaité que le jeune homme me marie. Il a aussitôt pris la poudre d’escampette me laissant seule face à la difficulté. Lui qui avait promis m’aider dans mes difficultés, d’être toujours prêt de moi, a décidé de me lâcher, avec un enfant sous la main », raconte Monique, encore écœurée. La jeune élève qui a voulu fuir la pauvreté en se mettant avec ce jeune seigneur vit dans un petit village de Sikensi, grâce à l’aide de son ‘’beau père’’. «Ma mère cultivatrice, est contrainte de s’occuper de mon enfant pendant que je suis à l’école. Mais dès mon retour, je dois prendre le relais. Comment concilier la vie d’élève et celle de mère ? », s’interroge la jeune fille, qui répond toute seule à son interrogation, ‘’la situation est là, et il faut vivre avec’’.
La ville de Sikensi ne détient pas la palme des grossesses en milieu scolaire. Mais aujourd’hui, le lycée municipal de Sikensi inquiète avec les taux élevés de grossesses. Selon N’Dri Anne Marie, Inspecteur d’éducation spécialisée, pendant l’année scolaire 2013-2014, le lycée municipal de Sikensi a enregistré 22 cas de grossesses et l’âge des jeunes filles allait de 13 à 24 ans. L’année scolaire d’après, ce sont 13 filles dont l’âge variait de 13 à 22 ans qui ont été engrossées. Pendant l’année scolaire 2015-2016, ce sont 15 filles de la 5ème à la Tle et dont l’âge varie de 12 à 19 ans qui ont été mises enceintes. L’année scolaire 2016-2017, l’établissement a enregistré 32 cas de grossesse, avec des filles qui avait entre 11 et 24 ans. La plus jeune étant en 6ème et la plus agée en Tle.
Et pour la majorité de ces cas, les jeunes filles semblent vouloir fuir une réalité : La Pauvreté. «La majorité de ces jeunes filles vivent dans des maison dont elles paient le loyer. Si les parents parviennent à payer le loyer, ils ont des difficultés à assurer le quotidien et vice versa. C’est pourquoi la majorité des «metteurs enceintes » sont des gens de petits métiers, tels les manœuvres, les mécaniciens, les chauffeurs de taxis, et quelquefois des élèves », soutient Diomandé Zibé Sopoudé, proviseur du lycée. Il ajoute qu’aujourd’hui l’instrument principal du ministère est la Leçon de vie. Pendant l’année scolaire, l’on fait 4 séances au cours desquelles on apprend aux élèves tout ce qui est relatif aux questions de fécondation, de Vih, les Mst… «C’est vrai qu’il n’est pas facile de parler d’éducation sexuelle avec les enfants, mais il y a un effort qui est fait pour faire passer ce message », reconnait le proviseur. Cette réalité des grossesses en milieu scolaire n’est pas propre au Lycée de Sikensi. Dans la région du Gbêkè, le phénomène fait également ravage.
Ces jeunes hommes qui engrossent tranquillement
Nonobstant les nombreuses campagnes de sensibilisation, les filles continuent de se faire enceinter. A Bouaké, rares sont les établissements qui enregistrent « zéro grossesse ». Koffi Aya L. en seconde A dans un lycée de Bouaké s’est faite engrosser par un planteur qui vit à Duékoué. «Je vis entièrement sous sa responsabilité. Il paye la maison à raison de 15.000frs par mois. Chaque mois, il me fait parvenir de l’argent via orange money et je suis à l’abri du besoin » révèle Mlle Koffi. Même si elle avoue regretter cette situation parce que difficile à supporter : « Je regrette sincèrement. Parce que très souvent fatiguée, j’ai envie d’abandonner l’école » Elle a obtenu 07 comme moyenne au 1er trimestre. Kouadio A. Sabine élève en Tle A, n’a pas pu échapper ‘’aux rapaces’’ « Mon père est un vieux cultivateur qui vit dans un village de Sakassou. Il n’a plus les moyens de subvenir à mes besoins. Une nièce, élève comme moi m’a recueillie depuis la seconde. Mais, cette année elle m’a mise dehors. C’est un jeune homme qui, après son baccalauréat, se débrouille dans les cours à domicile, que je connaissais dans le quartier à Ahougnanssou, qui a bien voulu me recueillir chez lui », explique la jeune fille. Et ce qui devait arriver, arriva ! Prise dans la nasse, elle dit entre deux sanglots : «J’ai pu faire que deux visites à l’hôpital. Il n’a plus d’argent. Il paye le loyer, la popote », fait-elle remarquer.
Tout comme le Gbêkè, Soubré ploie également sous le poids des grossesses scolaires. K. Yah Florence a été contrainte de quitter ses parents en pleine année scolaire après que ceux-ci l’aient mise dehors. « Et pourtant tout se passait bien. Mes parents s’occupaient correctement de moi mais ma mère a mal pris le fait que je contracte une grossesse pendant que je vais encore à l’école. L’auteur de ma grossesse n’a pas reconnu et cela a provoqué une colère noire chez mes parents. Aujourd’hui, Florence est gérante de cabine téléphonique. Selon Dr Attobrah Pascal, responsable du centre de santé scolaire et universitaire de Soubré, dans près de 80% des cas, les parents abandonnent les jeunes filles en état de grossesse et exigent que le responsable de la grossesse ou ses parents les prennent en charge. «50% des jeunes filles qui contractent des grossesses dans la direction régionale de Soubré, vivent en location individuelle. C’est une situation qui les rend vulnérables. Déjà elles ont des difficultés pour se prendre en charge car les parents les laissent sans grand moyens. Devenu des proies facile, elles se retrouvent à la merci des prédateurs », explique le médecin. Une triste réalité qui nécessite que l’on aide ces jeunes filles en détresse.
Encadré 1: La technique de report de scolarité
Afin de pourvoir permettre à ces jeunes filles de ne pas perdre leur année scolaire, il existe la technique de report de scolarité. Une fois que la grossesse est constatée, on conseille à la jeune fille de se rendre dans un centre de santé afin de prendre un carnet, elle voit un médecin qui lui produit un certificat de grosse et un arrêt de scolarité. «Avec ces documents, elle reviens nous voir avec les reçus d’inscription en ligne et physique. Parce que lorsque l’élève n’est pas inscrite, elle est renvoyée. On lui demande ensuite une demande manuscrite rédigée par un responsable de la jeune fille. C’est un courrier d’engagement de report de la scolarité », explique N’Dri Anne Marie, Inspecteur d’éducation spécialisée. Donc dans les dossiers, la jeune fille est non classée, son année est invalidée et tranquillement l’année suivante elle peut reprendre les cours, après l’accouchement. Et c’est ceux à quoi certaines ont pensé, à travers la création du Centre d’hébergement Esther de Sikensi.
Encadré : Actions entreprises pour la réduction des grossesses en milieu scolaire
La problématique des grossesses en milieu scolaire demeure. L’on se pose la question de savoir si des actions sont entreprises en vue de mettre fin à ce fléau qui gangrène l’école. Il est nécessaire de savoir que le ministère de l’Education nationale et de l’Enseignement technique, à travers la Direction de la pédagogie et de la formation continue a initié depuis plus de 4 ans, la campagne « zéro grossesse à l’école ». Cette opération dont l’objectif à long terme est d’éradiquer le phénomène des filles mères en Côte d’Ivoire se traduit sur le terrain par l’éducation sexuelle dénommée leçon de vie. Le premier cours du premier trimestre de l’année scolaire 2015-2016 porte sur « les grossesses précoces et la communication parents-enfants sur la Santé sexuelle et de reproduction des jeunes (Ssrj) ». Il s’agit à travers cette leçon, d’amener les élèves à connaitre la définition et les caractéristiques d’une grossesse précoce, la définition et les caractéristiques de la communication parents-enfants, les causes et les conséquences des grossesses précoces.
Sans oublier les stratégies de communication comme moyens de prévention des grossesses précoces, et surtout l’importance de la communication parents-enfants sur la sexualité. Cette campagne qui se fait avec l’appui du Fonds des nations unies pour la population (Unfpa), a permis la mise en place de comité de veille dans certains établissements. Selon Konaté Alimatou, professeur de Français et présidente du comité de veille du Lycée moderne Henry Konan Bedié 1 de Daoukro, l’objectif dudit comité est ‘’Zéro grossesse’’ à l’école. Et la meilleure manière d’y parvenir, c’est la sensibilisation. « Ce sont de jeunes filles et comme on le sait, en Afrique, les questions de sexe sont des sujets Tabou. Nous nous avons décidé de briser la glace à travers notre comité qui a été crée en mai 2014 et qui comprend 22 femmes et 44 filles. Notre rôle est de veiller sur ces jeunes filles qui se sont fait remarquer à travers leur travail en classe. Elles ont des moyennes qui varient de 15 à 17. Nous sommes en quelques sorte leur tutrice, chacune d’entre nous encadre deux filles et nous leurs prodiguons de sages conseils sur la l’éducation sexuelle, la santé de la reproduction et la planification familiale afin qu’à leur tour elles puissent être des relais auprès de leurs amies», poursuit Tanoh Hélène, Educatrice au lycée Moderne HKB 1 et tutrice. Une technique qui a porté. De 21 cas de grossesses en 2013, les Lycées modernes HKB 1 et HKB 2 en 2014 étaient à 10 cas.
Paola Dominique Dakouri, créatrice du Centre d’hébergement Esther
« Un meilleur encadrement peut sauver ces filles »
Vous êtes l’initiatrice de la création du centre Esther de Sikensi. Comment vous est venue l’idée de la création de ce centre qui vise à lutter contre les grossesses en milieu scolaire?
Professeur détaché à la Promotion de l’Excellence au Lycée Municipal de Sikensi, l’on a enregistré trente quatre grossesses dont une fillette de onze ans.J’ai réalisé avec les entretiens faits avec la plusrt des jeunes filles, ces dernières vivaient dans des conditions de précarité sociale et étaient livrées à elles mêmes. Toutes ces raisons m’ont poussées à apporter ma modeste contribution à la réussite de ces jeunes filles eu égard à mon expérience d’ancienne élève interne, de professeur
d’éducation musicale et de professeur détaché à l’éducation pendant près de dix ans au Lycée Sainte Marie de Cocody, par l’ouverture d’un Centre d’hébergement, d’encadrement et de formation de la jeune fille défavorisée des lycées et collèges de Sikensi dénommé Centre Esther. Parce que je me suis dit qu’un meilleur encadrement peut sauver ces filles.
Quel sont les objectifs que vous comptez atteindre avec ce centre, à court moyen et long terme?
Il faut dire que nous avons effectivement des objectifs clairs que nous visons. A court terme, nous voulons régler la question de l’hébergement et de la nourriture en plus d’offrir un cadre propice aux études et à la socialisation. A moyen terme, notre objectif est de favoriser la réussite scolaire de ces jeunes filles, ce qui va impacter positivement le taux de réussite scolaire dans le Département de Sikensi. Et à long terme, nous voulons faire de ces jeunes filles des femmes prêtes à relever le défi de l’autonomisation de la femme car en plus d’hébergement et l’encadrement, les jeunes filles reçoivent des cours pratiques en maraîchage, en entrepreneuriat, en Education à la vie familiale…
Combien de filles prenez-vous en charge au centre pour l’instant?
Nous avons cinq élèves internes au Centre Esther et une quinzaine de jeunes filles qui bénéficient de formations du Centre.
De quel moyen disposez-vous, excepté votre revenu salarial, pour vous occuper de ces filles?
C’est vrai que nous n’avons pas grand moyens, mais nous avons une grande vision pour ces jeunes filles. Mais à coté de cela, nous avons bénéficié de l’appui de personnes physiques ou structures qui ont cru en cette action et qui nous ont accompagné de diverses manières: renforcement de capacité, appui matériel et financier…Qu’il me soit permis de leur manifester notre infini gratitude! Leur soutien a contribué à l’amélioration de façon significative les résultats scolaires de nos jeunes filles. Ce sont : le Rotary Club Abidjan Riviera, le Lycée Sainte Marie et les Anciennes dudit Lycée, Actu Conseil, l’Institut de Formation de la Jeune filles de Tiassalé, le Collège Lamartine de Marcory, le Lycée Municipal de Sikensi. Et les résultats scolaires de ces jeunes filles nous montrent que nous n’avons pas eu tord.
Voici ces résultats des premier, deuxième, troisième trimestre et moyenne annuelle de ces jeunes filles. GABOU Marie Paule, 6ème :
14.90 / 15.22 /17.18 /15.94 ; AHUI Diane, 3ème :
09.85 /11.36 / 12.28 /11.42 ; ADOU Thérèse :
08.45 /09.85 /12.00 /10.43 ; ADOU Félicienne
07.00 /09.26 /10.07 /09.13 ; N’Guessan Brou Celine , Tle A2 : 12.70 /12.63 /14.00 / 13.19.
Etes-vous satisfaite de ces résultats ?
Oui, parce que je suis convaincue qu’elles n’auraient pas pu avoir ces résultats si elles étaient restées en famille avec les taches domestiques et autres charges auxquelles elles doivent subvenir en étant dans les maisons.
Combien chaque famille doit débourser pour que sa fille ait accès au centre?
Chaque famille doit débourser la somme de 180 000 cent quatre vingt mille francs l’année au lieu de quatre cent soixante dix mille francs 470 000. Sur nos 5 pensionnaires seulement 3 ont payé la pension annuelle. Le Centre a comblé le déficit.
Quels sont les difficultés que vous rencontrez après 6 mois d’existence?
Les difficultés sont nombreuses mais je citerai le plus englobant qui est l’encadrement de la jeune fille dans le monde rural.
Mais également on peut citer la non implication des parents quant à l’éducation de leurs enfants et l’insuffisance et irrégularité des sources dont nous disposons pour faire fonctionner le Centre
Etes-vous en contact avec le ministère de l’Education national et le Fonds des nations unies pour la population qui interviennent ds ces domaines? Si oui, quels ont été leur apport dans votre projet?
Nous avons adressé un courrier à la Direction des Cantines Scolaires du Ministère de l’ Education Nationale et de la Formation Professionnelle et Technique et nous attendons
la suite. Nous prévoyons de présenter le projet au Fond des Nations Unies pour la Population dans les prochains jours.
Entretien réalisé par Touré Yelly