Le vendredi 17 juillet 2020, Amadou Gon Coulibaly est porté en terre sous les yeux larmoyants de ses parents et autres intimes, à l’abri des regards de la foule qu’il savait haranguer pourtant. Après la prière mortuaire à la grande mosquée de Korhogo, vient le moment de l’ultime séparation. La dépouille prend la direction du caveau familial. Le défunt premier ministre passe sa première nuit tombale ce vendredi à Korhogo, à côté d’autres illustres membres de la famille Gon Coulibaly, qui l’ont précédé sur le chemin du non-retour. Au moment où la grande nuit s’apprête à avaler notre AGC, me vient à l’esprit la grande formule de Sartre : « l’existence précède l’essence ».
Cette formule me vient à l’esprit parce qu’elle est un postulat qui permet à Sartre d’indiquer que « l’être n’est pas ce qu’il parait ». L’homme devient ce qu’il se fait être au-delà de ses apparences. L’existence précède l’essence parce que l’homme est un projet qu’il doit réaliser par le biais de son existence. Ainsi, au commencement, l’homme n’est rien. Il utilise son existence pour être ce qu’il se sera fait. Ce qui induit qu’on ne découvre réellement l’homme qu’après son existence. Aujourd’hui, l’opinion découvre l’être d’Amadou Gon Coulibaly après son existence, très loin des apparences. Ceux qui ont connu son être réel avant, sont ceux qui ont pu le découvrir au-delà des limites de l’apparence. Mais pour tous les autres, la mort vient de lever le voile de l’apparence. Ils découvrent un homme loin des clichés.
À la vérité, beaucoup découvrent vraiment son essence au moment où il est vêtu que de linceul, au moment où l’apparence n’a plus sa place. Homme discret, pudique, quasiment timide, l’existence d’Amadou Gon cachait sa gaité débonnaire. Sa discrétion cachait sa grande générosité. Ceux qui bénéficiaient de sa grande générosité gardaient cela comme un secret, car sa pudeur ne permettait pas l’ostentation. La discrétion d’AGC cachait sa grande ouverture d’esprit. On le pensait introverti, voire méchant. Des langues soumises à un regard tronqué, le dépeignent sous un tableau sombre. Pendant ce temps, Amadou Gon Coulibaly combat la misère sociale, va à la conquête du bien-être des populations, des plus démunis. Homme de l’ombre par nécessité, Amadou reste à l’ombre de son mentor. Il n’était pas encore fait pour la lumière, alors qu’il apportait la lumière dans des contrées assombris par l’obscurité du sous-développement.
Amadou Gon Coulibaly fait le choix de rester dans l’ombre en vue d’un meilleur murissement politique. L’ombre sous laquelle AGC mena son existence, n’était nullement une ombre haineuse, une ombre sectaire, ségrégationniste. Cette vérité abyssale est aujourd’hui à nu, à travers les nombreux témoignages de tous ceux qui ont gardé le secret de sa générosité. Tous s’accordent à dire qu’ils avaient un sens réel de la fraternité et de l’amitié, qu’il avait le sens de l’écoute, du dialogue et du compromis honorable, qu’il était un homme d’amour qui aimait vraiment son prochain, sa famille, sa terre natale, sa patrie. Et pourtant !
Si son existence moins ostentatoire peinait à cacher sa compétence et sa rigueur unanimement reconnues, sa fidélité, sa loyauté, son courage, son intrépidité, perceptibles à travers son engagement et son vécu politiques auprès de son idole Alassane Ouattara, son existence moins ostentatoire cachait son moralisme, son humanisme, son « frerisme », son altruisme. On le disait peu chaleureux, assez distant, très solitaire, trop solipsiste. Et Pourtant ! la mort vient de lever le voile sur son être réel, son être authentique. Ce que l’apparence de l’existence camouflait. J’aurais pu considérer ces témoignages posthumes comme un jeu de courtoisie politique. Mais, non, les témoignages vont au-delà de la classe politique. Ils embrassent le monde artistique et culturel, ses amis d’enfance, ses collaborateurs, ses parents et les anonymes de Korhogo. Amadou Gon Coulibaly était au service des autres, tous l’auront dit.
De toutes ses qualités que la mort nous révèle, celle qui me semble la plus impressionnante est celle du rassemblement. OUI, AGC était un rassembleur. Amadou Gon Coulibaly a rassemblé la Côte d’Ivoire autour de sa dépouille. Ses obsèques ont revivifié les alliances à plaisanterie si chères à nos traditions. Toutes les régions du pays se sont retrouvées au pied du mont Korhogo pour rendre un hommage mérité à l’illustre disparu. Le jeudi 16 juillet 2020, nous vîmes toutes les composantes de la société ivoirienne, les unes après les autres, saluer la mémoire du grand homme et témoigner de l’attachement qu’il avait avec chacune d’elles. AGC était un rassembleur. Il savait préserver ses amitiés. Il savait cultiver la fraternité humaine. Il savait se mettre à la disposition de la collectivité. Il savait s’effacer, se mettre en veilleuse pour le chef. Cela participait de sa stratégie de rassemblement. Le sous-chef n’est pas le chef. Le sous-chef organise sous l’autorité du chef. AGC avait hautement conscience de son rôle d’orchestrateur. Mais la miseen musique est définie par le chef. AGC est donc resté dans l’ombre pour tisser le rassemblement, pour se faire le fil de tissage qui rassemble.
Ses qualités humaines que révèle sa mort, nous révèlent une autre vérité. Le président Ouattara eut raison dele proposer comme le candidat du RHDP à la candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2020. À l’occasion du conseil politique du RHDP, le 12 mars 2020, le président Ouattara affirme : « que ce soit au plan personnel, professionnel, politique, en mon âme et conscience, Amadou Gon est la personne que je vous délègue pour être le chef d’équipe. Il sera un bon président ». Beaucoup ont cru au choix d’Amadou Gon parce que le président Ouattara est une boussole qui oriente nécessairement dans la bonne direction. Mais il eut certainement des sceptiques inavoués, vu que la discrétion d’AGC cachait ses autres qualités. Aujourd’hui, la mort lève le voile sur ce que Ouattara savait déjà.
Aujourd’hui le choix du dirigent politique doit se faire en résolvant une équation. Laquelle ? Celle du choix du dirigent qui allie la compétence et l’humanisme ? Le compétent crée de la richesse et l’humaniste distribue rationnellement la richesse, les acquis de la croissance. Les dirigeants humanistes mais peu compétents, échouent à créer de la richesse qu’ils sont censés redistribuer. Leur propension à distribuer de la richesse qu’ils ne peuvent pas créer, accélère la paupérisation. Et, ils essaient de prospérer par populisme en cultivant le misérabilisme politique. Le dirigeant compétent mais peu ou pas humaniste, crée de la richesse qu’il ne distribue pas. Les fruits de la croissance restent confinés dans le haut sommet de la pyramide sociale, quand les masses laborieuses se meurent. AGC était le choix de la compétence et de l’humanisme. C’est tout le sens du libéralisme à visage humain prôné par Alassane Ouattara.
Après la disparition subite du lion du RHDP, il lui faut un candidat qui remplit les critères de compétence et de capacité de rassemblement de toutes les tendances du jeune parti né de l’union-fusion de vieux partis. Le critère de rassemblement est tout aussi important que celui de la compétence, car le déficit de rassemblement provoquerait une implosion. AGC était la solution à l’équation. La résolution de cette équation est le plus bel hommage politique que le RHDP se doit de rendre à AGC. Car, c’est à ce prix que le RHDP survivra. S’unir en mémoire d’AGC et gagner pour AGC !
À Dieu le premier ministre !
À Dieu AGC !
À Dieu le lion !
Dr Gaoussou KARAMOKO,
Philosophe et politiste, karamokogao@gmail.com
Chef du département en charge de la recherche et de la production scientifique et littéraire de l’institut politique du RHDP.