C’est une maladie plus ou moins connue. Malheureusement, jusqu’à ce jour, il n’existe quasiment pas de traitement pouvant aboutir à la guérison de la drépanocytose. Cependant l’on peut vivre avec son mal. Comment y parvenir ? Dossier.
Elles sont nombreuses les personnes du quartier qui ont été témoins de sa souffrance. S. Yvette était régulièrement pâle et se plaignait constamment de douleurs. Pendant les périodes de fraîcheur, elle était toujours couverte, comme un nouveau-né à la recherche de chaleur. Pour certains, Yvette était une fainéante, qui ne voulait rien faire. Pour d’autres, la jeune fille était née prématurée, donc cible de toutes les maladies. De son côté, l’élève de 3e du collège moderne d’Adjamé tentait toujours de se justifier. « Quand il fait froid, j’ai énormément mal aux articulations et dans le dos. Et je suis anémiée», s’expliquait-elle très souvent. A la moindre crise, elle devait être hospitalisée pour au moins une semaine. Et généralement, elle ne regagnait son domicile familial qu’après avoir fait une transfusion sanguine. Dans son établissement, ses camarades de classe se posaient toujours la question de savoir de quel mal souffrait leur amie. Jusqu’au jour où, s’étant rendus à son chevet à l’hôpital suite à une crise drépanocytaire, ils apprennent que la jeune fille souffre de la drépanocytose. C’est cette vilaine maladie qui l’empêchait de grossir, d’être au mieux de sa forme, d’être régulièrement en classe avec ses amies, de courir partout dans l’établissement comme ses camarades de classe. Quelle est cette pathologie qui absorbe le sang des patients tout en les présentant régulièrement affaiblis? Combien sont-ils les Ivoiriens qui, malheureusement, vivent avec cette lourde charge ? Au dire du Pr Sanogo Ibrahim, chef du service hématologie du Chu de Yopougon, la drépanocytose est une maladie héréditaire du sang, particulièrement du globule rouge.
C’est une pathologie liée à une anomalie génétique. «L’Information génétique qui est à la base de la production de l’hémoglobine (protéine contenue dans le globule rouge) est modifiée. L’hémoglobine produite chez le drépanocytaire entraîne la transformation du globule rouge en forme de faucille», explique le spécialiste. Si pour l’instant, l’on n’a pas de statistique nationale à jour, les spécialistes de la maladie évaluent à 12% le taux de personnes atteintes par cette pathologie invalidante avec environ 600 nouveaux cas enregistrés chaque année. Une situation due à l’inobservance des règles prénuptiales et à l’accroissement général de la population. Concernant les causes de la drépanocytose, les hématologues sont unanimes : La cause de la drépanocytose n’est pas identifiée. Mais l’on peut dire qu’à un moment donné, il y a eu une mutation, la transformation d’un code génétique qui fait que la protéine produite sur la base de ce code est modifiée. Elle est différente de l’hémoglobine normale qui est l’hémoglobine AA. Chez le malade de la drépanocytose, l’on parle de l’hémoglobine SS. «Et dans ce cas, le patient fait la maladie, avec quelques périodes de crise et d’hospitalisation », précise le médecin qui poursuit en disant que quand le patient a l’hémoglobine AS, c’est la forme de la transmission de la maladie. «Il ne fait pas la maladie. Mais comme c’est une maladie héréditaire, le mariage de deux personnes ayant l’hémoglobine AS peut donner un enfant SS, donc malade », clarifie le spécialiste du sang. Il révèle que pendant chaque grossesse de la femme AS avec un homme AS, ‘’il y a 25 % de chance d’avoir un enfant bien portant (AA), 50 % de risques d’avoir un enfant AS et 25% de risque d’avoir un enfant SS (malade)’’. Et à chaque grossesse, cette probabilité est relancée.
«C’est dire que le risque de retomber sur un enfant SS existe», précise Pr Sanogo, qui rompt avec la vision traditionnaliste qui avançait que le drépanocytaire ne pouvait pas vivre au-delà de 18 ans. «Les connaissances ont évolué aujourd’hui. Avec le suivi, les SS peuvent vivre 50 ans et plus, si le patient suit son traitement et consulte rapidement son médecin traitant en cas de crise » clarifie Pr Sanogo. Et pour le faire, il faut pouvoir connaitre la pathologie. A ce niveau, les spécialistes définissent 5 formes.
Les différentes formes et leurs spécificités
Il s’agit des formes SS ; SF ; SC ; SAFA2 et AS. La forme la plus grave reste la forme SS. C’est la forme la plus dangereuse et elle provoque régulièrement l’anémie chez le patient, lors de ses différentes crises. Ensuite la forme SF qui est un peu pareille que la forme SS mais avec une fraction un peu plus importante de l’hémoglobine F (hémoglobine fœtale) qui protège un peu le drépanocytaire. Ce qui améliore le tableau, mais à l’observation clinique, c’est quasiment pareil à la forme SS. Et puis, l’on a la forme SC et la SAFA2 qui sont des formes bien tolérées, donc moins grave. Pour la forme SAFA2, la présence des hémoglobines A et F protège le malade. La 5e forme qui est la AS, n’est pas symptomatique. Cette forme ne donne pas signe ou de manifestation mais est susceptible de transmettre la maladie. Et une fois transmise, la drépanocytose se manifeste selon deux grands tableaux : l’anémie et la douleur.
Les manifestations
L’anémie est généralement chronique constante, d’intensité plus ou moins importante selon la forme. Dans les deux premiers cas, l’anémie est importante. Elle va nécessiter souvent la transfusion. On parle de formes anémiques. Dans les deux autres formes, l’anémie est modérée, elle est compatible avec une vie normale et la transfusion est rare. Au niveau de la seconde manifestation, à savoir la douleur, elle est primo, osseuse ou articulaire. Elle a des caractéristiques connues. Ce qui fait dire aux spécialistes que ‘’lorsque le médecin interroge bien le malade, il peut faire le diagnostic au téléphone, parce que généralement le patient a des antécédents personnels et familiaux’’. Secundo, c’est une douleur épisodique, traitée ou non traitée. Non traitée, elle va durer de quelques heures à quelques jours. Tertio, la douleur est périodique, parce qu’elle a des facteurs déclenchants (froid, saison pluvieuse, harmattan, fièvre quelle que soit la cause, certains médicaments, …). Et comme la douleur évolue de façon périodique et épisodique, on dit qu’elle va se manifester sous forme de crise. On parle donc de ‘’crise drépanocytaire’’. En dehors des épisodes de douleur, on parle de phase inter-critique, où le malade est stable. Mais malgré cette stabilité, il y a toujours une anémie. L’anémie caractérise la phase stationnaire et la douleur, la phase critique», précise le spécialiste.
L’évolution de la maladie :
En tant que pathologie héréditaire due à la transformation du gène du patient, la drépanocytose va donc évoluer toute la vie. Cette évolution est émaillée de complications multiples qu’on classe en trois grands groupes : complications anémiques, complications ischémiques ou dégénératives et complications infectieuses. Le sujet drépanocytaire est anémié parce que ces globules rouges sont fragiles. Ce sont des globules rouges qui se déforment difficilement. Le Professeur explique que ‘’le globule rouge a la propriété, par sa membrane très déformable, de passer à travers les petits vaisseaux pour aller jusqu’aux tissus pour leur transmettre de l’oxygène et récupérer le gaz carbonique. Mais avec le globule rouge du drépanocytaire qui n’est pas flexible, lorsqu’il rentre dans la circulation, il peut obstruer le vaisseau. Dans ce cas, les tissus se trouvant au-delà de l’obstruction sont asphyxiés. Ils vont souffrir, passer par une phase d’infarctus, de souffrance extrême et aller jusqu’à la mort», explique le spécialiste. Dans ce cas, on parle de nécrose tissulaire. La drépanocytose étant une maladie systémique, c’est tout l’organisme qui est concerné. Les petits vaisseaux des yeux (ce qui a pour conséquence la possibilité de provoquer la cécité chez des patients jeunes), des os, du rein, de la hanche… . Ces complications ischémiques vont invalider le patient.
Les complications anémiques sont représentées par la possibilité de complications cardiaques pouvant aller jusqu’à l’insuffisance cardiaque. A tout cela, il faut adjoindre la grande susceptibilité du patient à faire les infections. Face à ce tableau, il y a lieu de songer au traitement.
Le traitement
Jusqu’à une période récente (dans les années 80), on ne parlait pas de guérison de la maladie, parce qu’il n’y en avait pas. Mais grâce à des travaux menés par des équipes européennes (Françaises et belges), il y a eu des greffes de moelle osseuse chez des patients drépanocytaires. Si la greffe marche, le patient SS qui est la forme la plus grave devient AS, la forme asymptomatique. Dans ce cas, il est guéri de sa drépanocytose. Mais cette greffe est difficile à réaliser pour 4 raisons : la probabilité d’avoir un donneur ; un laboratoire qui puisse faire l’examen en vue d’identifier le donneur compatible ; la réalisation du traitement qui comporte une phase dite du conditionnement du patient. Ce conditionnement se fait par une chimiothérapie lourde susceptible de complication ; et le coût de la greffe qui varie de 80 millions de Fcfa à 150 millions de Fcfa. Malheureusement cette greffe n’est pas faisable en Côte d’Ivoire.
Nos praticiens ont donc opté pour le traitement préventif de la crise drépanocytaire. Ce dernier que l’on nomme encore traitement de la phase stationnaire, a pour but d’améliorer la qualité de vie du malade, de sorte que les crises soient espacées. «Il s’agit d’administrer au drépanocytaire des médicaments pour lui permettre de reconstituer le sang, de remplacer les globules rouges qui se détruisent ; de prendre des mesures pour éviter les infections, la déshydratation, l’effort physique, le froid, qui sont des facteurs déclenchants. Mais ce traitement consiste également à faire les consultations régulières en faisant un bilan des organes qui sont cibles de la maladie au cours de son évolution ; en faisant un bilan rénal, traumatologique pour voir s’il n’y a pas de problème au niveau de la hanche, … Tout ceci vise à améliorer la qualité de vie du malade. Et cette prise en charge préventive des malades de la drépanocytose est évaluée à 500.000 Fcfa par an, ‘’non compris les complications’’.
A ce traitement préventif, les hématologues ont adjoint la prévention primaire et les conseils génétiques. Ceux-ci se font par le biais de l’information, la sensibilisation et la vulgarisation du dépistage, afin que chacun sache s’il est AS, AA, SAFA2, SF, SC ou SS. Cela vise à éviter de créer les couples à risques. D’où l’organisation ce lundi, de festivités marquant la journée mondiale de lutte contre la drépanocytose. Outre la sensibilisation et l’information, les hématologues font deux propositions concrètes. Primo, qu’un cours sur la drépanocytose soit introduit dans les programmes scolaires, et secundo que les autorités ivoiriennes décident de la combinaison de l’électrophorèse de l’hémoglobine (examen permettant de faire le diagnostic de la maladie) au groupage sanguin. Ainsi en remettant les cartes de groupe sanguin, les agents de santé pourront donner des conseils aux patients drépanocytaires, quelle que soit la forme.
Touré Yelly
Encadré1 : Le cas de la femme enceinte drépanocytaire
La grossesse chez la femme drépanocytaire est problématique. Sous le sceau de l’anonymat, un hématologue du Chu de Cocody nous confie qu’une grossesse chez la femme drépanocytaire peut à tout moment être interrompue du fait de la souffrance fœtale. Lui emboitant le pas, le Pr Sanogo Ibrahim, chef du service d’hématologie du chu de Yopougon précise qu’il faut surveiller la grossesse de la femme drépanocytaire parce qu’elle est à risque et elle peut déclencher des crises. Pis, «la drépanocytose elle-même est un facteur de déstabilisation de la grossesse», soutient le professeur.
Encadré 2 : La journée célébrée le 19 juillet à l’Université FHB
Cette année, c’est l’amphi A de l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody qui accueille ce 19 juillet la cérémonie officielle des festivités marquant la journée mondiale de lutte contre la drépanocytose en Côte d’Ivoire. Outre les discours, cette journée sera marquée par un symposium sur la drépanocytose. Ce symposium verra l’intervention de 3 éminents professeurs. La première conférence sera dite par le Pr Ibrahim Sanogo, hématologue, chef du service d’hématologie du Chu de Yopougon et portera sur le thème : «La drépanocytose en Côte d’Ivoire : état des lieux ». La seconde conférence sera animée par le Pr Tolo Aissata et portera sur la prise en charge préventive de la drépanocytose en Côte d’Ivoire. La dernière intervention du jour sera l’affaire du Pr Koffi Kouassi Gustave qui parlera de la prise en charge curative de la drépanocytose en Côte d’Ivoire et les perspectives. Mais déjà la veille, le 18 juin, des manifestations (Gala Drépa foot) sont prévues, dont un match de Gala à Sol Béni à MPouto, en présence de Wilfrid Bony, parrain de la lutte contre la drépanocytose en Côte d’Ivoire.
T.Y